Inflation et fièvre de consommation en Russie
C’est un paradoxe de la crise que traverse la Russie: l’effondrement du rouble provoque une fièvre de consommation pour de nombreux Russes qui se pressent à acheter matériel électronique, meubles ou même voitures avant de voir leur prix flamber.
A priori la chute de la monnaie, qui a perdu depuis le début de l’année un tiers de sa valeur face à l’euro sur fond de crise ukrainienne et de chute des cours du pétrole, plombe le pouvoir d’achat des ménages, avec une inflation attendue à 10% d’ici à la fin de l’année.
La mesure inévitable mais très risquée : Russie. La banque centrale a relevé son taux à 10,5%. Sans convaincre le marché.
La banque centrale de Russie a durci sa politique monétaire hier pour la cinquième fois cette année pour tenter de juguler la flambée des prix causée par l’effondrement du rouble, tout en avertissant qu’une longue période difficile s’ouvrait pour le pays.
L’augmentation radicale du loyer de l’argent porte à 10,5% le taux directeur de la Banque de Russie, fixé depuis novembre à 9,5% mais au début de l’année à 5,5%, un niveau de plus en plus difficile à supporter pour une économie au bord de la récession.
L’institution a beau avoir affiché sa fermeté, promettant de nouvelles hausses de taux si nécessaire, elle n’a pas convaincu le marché puisque sa décision a été suivie d’un plongeon de la monnaie russe à des records de faiblesse, à 69,29 roubles pour un euro et 55,85 roubles pour un dollar.
La hausse annoncée «est le minimum que pouvait faire la banque centrale vu la baisse récente du rouble», ont commenté les économistes du cabinet londonien Capital Economics.
La plupart des économistes jugeaient inévitable un relèvement des taux dans un contexte d’envolée des prix et d’effondrement du rouble, qui a perdu le tiers de sa valeur depuis le début de l’année face à l’euro et 40% face au dollar.
La Banque de Russie est placée dans une situation délicate: calmer une tempête causée par des facteurs qui ne dépendent pas d’elle, la crise ukrainienne et l’effondrement du pétrole.
Elle doit à la fois montrer qu’elle ne reste pas les bras ballants pour éviter un mouvement de panique sur les marchés et de la part des épargnants, et agir avec doigté pour ne pas porter un coup fatal à une économie au bord de la récession avec des taux d’intérêts insurmontables pour les entreprises.
La banque centrale a estimé la hausse des prix à la consommation à 9,4% sur un an actuellement et anticipe 10% à la fin de l’année, puis encore plus au premier trimestre 2015. Sa présidente, Elvira Nabioullina a estimé hier que l’inflation pourrait retomber à environ 8% à la fin de l’année prochaine. Elle a jugé le rouble sous-évalué de 10% à 20% par rapport aux fondamentaux du marché, à cause notamment de la spéculation et de l’inquiétude des ménages qui ont converti leurs économies en devises cette année pour environ 20 milliards de dollars.
Malgré ces propos confiants, le tableau de l’économie dressé par la banque centrale est bien sombre. Elle prévoit ainsi une croissance «proche de zéro» l’année prochaine, sans surprise alors que le gouvernement prévoit une récession, mais aussi pour 2016, repoussant toute perspective de reprise à 2017.
Elle a justifié ces prévisions par la «considérable détérioration des conditions extérieures résultant de la chute des prix du pétrole et la fermeture de l’accès aux marchés financiers étrangers» due aux sanctions occidentales imposées à Moscou.
Mme Nabioullina a par ailleurs estimé que les fuites de capitaux du pays, qui se sont brusquement accélérées cette année, resteraient intenses l’année prochaine à environ 120 milliards de dollars, après 128 milliards cette année, contre moins de 60 milliards en 2013.
Effet des sanctions occidentales
Comme le remarque Igor Jurgens, vice président du syndicat patronal russe RSPP: «Tous les milliardaires russes sont frappés par les sanctions occidentales, et pas seulement ceux qui figurent sur les listes. De facto, les principaux secteurs de l’économie russe sont privés de financements.» Les grandes valeurs boursières russes se sont écroulées, qu’elles soient pétrolières, bancaires ou du secteur de la consommation. Seules certaines valeurs métallurgiques résistent grâce à une reprise globale de la demande.
Igor Bounine, expert des relations entre l’Etat et le monde des affaires, note que «les milliardaires sont très touchés par la crise actuelle. La plus grande partie d’entre eux s’efforcent de diversifier leurs placements de capitaux, surtout en Occident. D’autres ont déplacé leur siège à Hongkong. Certains sont plus actifs et en profitent pour moderniser leur appareil de production.»
Pour lui, l’objectif des sanctions européennes ne peut être atteint que dans plusieurs années. «Dans une première phase, nous observons une consolidation de la société. Le mécanisme psychologique de la forteresse assiégée s’est mis en place, aboutissant à une consolidation de l’élite et de la population. Dans une seconde phase, lorsque la crise économique et la chute du rouble seront ressenties par le plus grand nombre, il y aura une distanciation entre la société et le pouvoir, mais c’est un processus qui prend du temps et qui durera plusieurs années.» A l’inverse, Leonid Polyakov, professeur à la Haute Ecole d’économie de Moscou, estime que les sanctions sont vouées à l’échec: «Elles ne parviendront pas à l’effet recherché, c’est-à-dire à faire en sorte que l’élite fasse pression sur Vladimir Poutine pour qu’il change de politique.» Plus optimiste que son confrère, Polyakov estime que le gouvernement peut sortir le pays de la crise «s’il arrive à maintenir le rouble à son niveau d’aujourd’hui, car il permet à notre industrie d’être plus compétitive».
En attendant, Washington a décidé vendredi de durcir les sanctions contre Moscou. Le Congrès américain a voté une loi autorisant des sanctions contre le secteur de la défense russe et contre Gazprom, en cas de perturbation des livraisons de gaz à ses clients européens et à l’Ukraine.
Google retire tous ses ingénieurs de Russie
Le géant internet américain Google a indiqué vendredi qu’il transférait tous ses ingénieurs hors de Russie, se refusant à toute explication sur cette décision prise dans un contexte de renforcement du contrôle d’internet par les autorités russes.
Le groupe californien a confirmé dans un communiqué transmis à l’AFP ce transfert révélé par le site spécialisé The Information, assurant conserver «une équipe en Russie dédiée au support» des utilisateurs et clients locaux.
Il s’est refusé à tout commentaire sur les raisons de ce départ, les médias russes remarquant que ce dernier intervient après l’adoption de lois renforçant le contrôle sur internet.
En juillet, Vladimir Poutine a promulgué une loi qui contraint les entreprises web, russes et étrangères, à stocker les données de leurs utilisateurs en Russie d’ici à deux ans.
Une source proche du dossier a cependant souligné à l’AFP que cette décision n’était pas spécifique à la Russie, les équipes d’ingénieurs ayant été transférées ces dernières années hors de Suède, Finlande et Norvège, et que Google prévoyait d’augmenter ses investissements en Russie en 2015.