La globalisation est morte, nous entrons dans l’‘Âge du Désordre’

L’équipe d’analystes de la Deutsch Bank (DB) a conclu, dans un rapport circonstancié et hautement considéré, à ce que tout le monde sait ou devrait savoir dans tous les cas, mais qui jusqu’ici n’a pas être affirmé de façon si claire, à un tel niveau et dans un tel milieu. La globalisation est morte, est-il annoncé, et nous entrons dans l’‘Âge du Désordre’. Les quarante années que l’on pourrait désigner comme les ‘Quarante-Simulacre’ depuis 1980, avec le couple Thatcher-Reagan en ouverture de la grande cavalcade, sont terminées parfaitement à l’heure. On conviendra que calendrier est conciliant et arrangeant, et surtout il est symboliquement complice comme s’il voulait nous faire passer un SMS ou un texto des dieux. “Ce qui avait commencé en 1980, nous disent nos informateurs divins, se termine en 2020, ce qui nous fait effectivement quarante ans tout rond”.
Il n’empêche… Même s’il répète des évidences qu’il est difficile d’écarter malgré tous les moyens faussaires et de simulacre dont nous disposons, il reste que le rapport de la DB montre un remarquable pessimisme pour un travail prospectif d’une telle organisation. Plus encore, le fait de le rendre public rend compte sans aucun doute de l’intensité de ce pessimisme : la DB veut faire savoir dans quelle humeur sombre et noire elle se trouve, et il est bien probable qu’elle rencontre ainsi une humeur généralisée.
Ci-dessous, voici le texte complet (traduction et adaptation) de RT-com sur le rapport, qui en communique les principaux aspects. Non seulement le rapport constate la fin de la globalisation (et non ‘mondialisation’), mais en plus il expose ce qu’il juge être les principales tendances qui caractériseront l’époque qui va suivre, – celle qui est désignée comme l’“Âge du Désordre”. Il s’agit d’un rapport de situation autant que de prévision, et cela parce que jamais sans doute la situation présente, à cause de ses avatars crisiques inattendu et la rapidité des événements qui sont tous également de nature crisique, n’a autant bouleversé les prévisions et ne les autant maîtrisées aux dépens des opérateurs humains.
« L’ère de quatre décennies de globalisation touche peut-être à sa fin, et nous pourrions entrer dans “l’Âge du Désordre”, qui va remodeler à la fois les économies et la politique, estiment les analystes de la Deutsche Bank dans leur dernière analyse.
» L’une des principales caractéristiques de ce nouvel Âge sera la fin de la globalisation sans entraves, a prédit l’équipe d’analystes dirigée par le stratège Jim Reid. Alors que nous avons connu “la meilleure croissance combinée des prix des actifs de toutes les époques de l’histoire, avec des rendements d’actions et d’obligations très élevés dans tous les domaines” depuis 1980, “l’Âge du Désordre” va probablement briser cette tendance.
» La détérioration des relations entre les États-Unis et la Chine est un autre thème (sur huit) qui définira la prochaine ère distincte dans les temps modernes, ère “qui est accélérée, mais non causée par la pandémie”. Les analystes notent que l’économie chinoise comblera l’écart avec les États-Unis et pourrait finalement les dépasser d’ici la fin de la décennie.
» “Un choc des cultures et des intérêts s’impose donc, d’autant plus que la Chine se rapproche de la première économie du monde”, selon le rapport.
» Heureusement, il est peu probable que cette impasse économique déclenche un véritable conflit militaire entre les deux États, comme cela se produit généralement lorsqu’une puissance montante tente de contester celui qui est au pouvoir. La guerre économique, – droits de douane, sanctions, cyberattaques, – se poursuivra au contraire, estiment les analystes. Quel que soit le vainqueur de l’élection présidentielle de 2020 aux États-Unis, le fossé entre les deux superpuissances va se creuser.
» Alors que la crise du coronavirus a déjà mis l’économie européenne à la croisée des chemins, la Deutsche Bank affirme que la prochaine décennie pourrait devenir “une décennie décisive pour l’Europe”. Parmi les autres facteurs définissant l’avenir, on peut citer l’augmentation de la dette et la généralisation de la distribution d’argent cash au public (technique inaugurée par Bernanke, dite des “billets de banque largués d’hélicoptère”), – des politiques nettement inflationnistes.
» Les inégalités pourraient même s’aggraver dans le monde de l’après-Covid-19, avant qu’un retournement de situation ne se produise, selon la banque. L’inégalité est étroitement liée au fossé intergénérationnel, mais les analystes s’attendent à ce que le nombre de jeunes électeurs dépasse celui des personnes nées avant 1980 d’ici la fin de la décennie. Cela pourrait entraîner des changements politiques majeurs dans de nombreux domaines, de la politique des prélèvements à la politique écologique.
» “Un tel changement dans l’équilibre des pouvoirs pourrait inclure un régime fiscal plus sévère pour les héritages, moins de protection des revenus pour les retraités, plus d’impôts sur la propriété, ainsi qu’une augmentation des impôts sur le revenu et sur les sociétés… et des politiques plus redistributives dans tous les domaines”, selon le rapport de la Deutsche Bank.
» Enfin, les dix prochaines années montreront si la hausse exponentielle de la valeur des entreprises technologiques en valait la peine. Elles vont soit déclencher une révolution technologique, soit être la deuxième bulle Internet. »
Pour notre compte, et sans disposer de la moindre équipe d’experts de calibre de ceux qu’emploie évidemment la Deutsch Bank, nous avions noté (avec une avance certainement un peu déloyale parce que due à notre seule conviction) quelque chose de nouveau du côté de la globalisation.
(Nous insistons toujours sur l’emploi du terme ‘globalisation’ qui est approprié pour cette situation, alors que le terme ‘mondialisation’ ne l’est pas. Nous nous demandons toujours pourquoi les Français, qui disposent d’une des très rares sinon de la seule grande langue véhiculaire à disposer des deux termes, n’en usent pas d’une façon adéquate, qui expose crûment les caractères des idéologies concernés, – ou bien peut-être et au contraire, ceci explique-t-il cela.)
Nous mettions l’accent de façon beaucoup plus décisive sur le phénomène Codiv19, qui constitue une démonstration en malfaisance et temps réels, des travers catastrophiques de la globalisation. Selon nous, en effet, le Codiv19 n’est pas seulement catastrophique pour ses effets sur l’économie, il l’est au départ par la façon dont il démontre combien la globalisation accélère et dramatise d’une façon décisive le phénomène de la diffusion des événements catastrophiques. En même temps, cette rapidité et cette volatilité empêchent la moindre stratégie de prévention et précipite les directions politiques dans des situations hyper-défensives, sinon de grande panique, rendant quasiment impossible une réponse adéquate et efficace.
Par ailleurs, oui et bien sûr, la crise qui donne un coup fatal à la globalisation a largement mûri avant Cofdiv19, mais pour des raisons beaucoup plus générales, dépassant tous ces domaines. Il s’agit alors des phases préparatrices et initiales de la Grande Crise d’Effondrement du Système (GCES).
…Quoi qu’il en soit, ainsi écrivions-nous le 3 mars 2020, confiants dans nos propres analystes, émanant en fait des suggestions des dieux qui constituent (les dieux) nos sources principales :
« Ainsi en vient-on à la quatrième période, notre quatrième Temps Crisique, du tournant précis des deux décennies et notre entrée dans nos Roaring Twenties du XXIème siècle. Avec le recul de quelques semaines, cette nouvelle décennie apparaît comme une rupture formidable et absolument naturelle, comme une tension trop forte qui se rompt avec quelle brutalité ! Et s’ouvrent effectivement nos “Vingtièmes rugissantes”, comme les marins des légendes d’antan baptisèrent les mers furieuses entre les “Quarantièmes rugissants” et les “Cinquantièmes hurlants” des latitudes correspondantes vers le Sud extrême des étendues glacées où jamais le vent ne s’arrête de souffler et la mer de déferler, où les marins disent qu’au-delà vers l’au-delà du Sud Dieu n’est plus.
» J’ai tenté de dire tous les événements formidables caractérisant ce passage à 2020 mais, après tout, on pourrait me dire qu’il ne s’agit que de quelques crises monstrueuses de plus, et là rien de vraiment nouveau, je veux dire ontologiquement, dans un temps qui est crisique par définition. Pourtant non, un événement colossal sans nul doute, ontologique lui, bien que dans le domaine de la perception, – c’est la fin du rêve de la globalisation, – la fin de la globalisation comme rêve de notre avenir.
» Ce poison s’est instillé partout et partout vous le sentez progresser, ce doute terrible face à cette globalisation, laquelle est l’évidente coupable de la crise-Covid-19 qui nous dévaste psychologiquement en faisant entrevoir les mécanismes de l’effondrement, d’une économie-monde qui se défait comme un Meccano mal vissé, qui bascule comme une portée de dominos en rang d’oignons, inarrêtable, inéluctable. Il se dit que le virus envahit notre monde-globalisé par ce qu’il y a de plus globalisant, de plus post-postmoderne, la très-pollueuse et très-luxueuse aviation de transport civil qui relie les capitales, les continents et les régions les plus lointaines, dans le vrombissement élégant des Airbus faisant la courte échelle au virus d’un aéroport l’autre (les Boeing, c’est moins sûr, on sait pourquoi, et Covid-19 s’en méfie comme de la peste si j’ose dire).
» Il me semblerait même que cela (le rêve fracassé de la globalisation) explique la folie qui a transformé Washington D.C. en “D.C.-la-folle”, tandis qu’apparaît le second événement qui marque cette rupture rugissante… L’outil fantastique de puissance, qui semblait au service de la globalisation, qui chaque jour la trahit un peu plus ! Le système de la communication triomphant signe son empire sur le monde en apparaissant comme un Janus qui poignarde la globalisation dans le dos, répandant partout les alertes et les fantasmes de Covid-19, remplaçant le chaos de 2014-2015 par l’attaque de la contagion, cette Grande Peur des Ancien Temps retournée contre la globalisation de l’hypermodernité elle-même… »
On peut couper la têteComme on peut le lire dans notre texte, il n’est donc pas question de prévisions sinon le constat de la fin de la globalisation par une sorte de “coup d’État” du Covid19, démontrant les circonstances catastrophiques qu’installe la globalisation en cas de catastrophe impliquant sa transmission mortelle. Pour notre compte, nous allons nous servir de la prospective de la DB, qui pour la critiquer, qui pour développer certaines de nos conceptions que l’analyse renforce.
Nous maintenant que le choc du Covid19 était nécessaire pour tuer la globalisation, au lieu d’accepter l’observation purement technique et financière du rapport de la DB, selon laquelle l’“Âge du Désordre” (fin de la globalisation) a été « accéléré, mais non causé par la pandémie ». Nous ignorons complètement et même émettons quelques doutes sur l’hypothèse que les événements auraient tout de même pris cette tournure, même si Covid19 n’était pas intervenu; nos doutes viennent du constat que nous faisions auparavant, tant était grande et puissante la réticence à admettre des menaces contre la globalisation dans les milieux financiers où règne la religion de l’ultra-libéralisme. D’une certaine façon, on peut dire que c’est par tous les moyens, au moins depuis la crise de 2007-2008, que la globalisation est soutenue “de force” en activité, pour satisfaire au bréviaire ultra-libéral.
L’intervention de Trump, avec son unilatéralisme affiché, n’a fait que mettre en évidence ce qu’a réellement été la globalisation, – selon le principe, utilisé depuis 1945 et peut-être même depuis 1918, des USA qui nous dit que “ce qui est à moi est à moi, ce qui est à vous est négociable”. La globalisation a été constamment dès les origines, un processus (dit de ‘libre-échange’) constamment à l’avantage des USA, avec la force pour faire pression ou faire chanter les autres, et au désavantage de ces “autres” (les membres ‘Junior’ du club du ‘Monde Libre’ devenu ‘Bloc-BAO’).
Trump n’a fait que dire tout haut ce que les USA ont toujours fait tout bas, derrière des discours ronflants et hautement moralisateurs, et il a de ce fait mis en évidence les fragilisation accélérée et la décadence des moyens de pressions des USA sur les autres. Covid19 est venu mettre tout le monde d’accord en tranchant dans le vif, par un fantastique coup d’arrêt à l’économie, et la mise en balance sinon en danger d’extinction d’activités aussi fondamentales et globalisatrices que le tourisme et les transports d’agrément (naval notamment), le transport aérien et l’industrie aéronautique, etc. La cerise sur le gâteau du Covid, c’est bien entendu son extrême imprévisibilité (s’arrêtera-t-il ? Quand s’arrêtera-t-il ?) et l’espèce de paralysie à prévoir des directions politiques devant la décision de déclarer terminée la pandémie.
Effectivement, l’analyse de la DB prend évidemment en compte ce désastre extraordinaire sans en détailler la cause mécanique irrésistible (le Covid) ni ce que cette cause a de résiliente dans la mesure où nul n’en connaît ni la durée, ni l’issue, ni la façon réellement de la contrôler, ni les effets à moyen et à long terme aux niveaux social, sociétal et psychologique. Dans ce cadre, la seule chose d’assurée dans ce rapport, c’est le titre qui lui est donné (l’“Âge du Désordre”), car c’est bien de cela (du désordre) qu’il s’agit, et d’ores et déjà dans le chef des diverses directions-Système.
Un facteur qui apparaît de plus en plus, même s’il n’est pas défini de la sorte (sauf par le titre, justement), c’est qu’il n’y a pas un ‘ordre international’ qui en remplace un autre. La prééminence de la Chine est de plus en plus sérieusement affirmée, mais elle n’aboutit absolument pas à un simple changement de leadership, ni même à une stabilisation du type bipolaire, voire multipolaire. Il apparaît évident, selon ce qui est détaillée sans que les conséquences de tous ces détails soient analysées d’un point de vue holistique, que les USA refuseront absolument l’affirmation de la Chine et qu’ils continueront plus que jamais à conduire une guerre économique et à contester toute tentative de mise en ordre qui ne les placerait pas en première et incontestée première place; c’est-à-dire qu’ils continueront à produire du désordre, si eux-mêmes n’y sombrent pas les premiers…
En effet et là-dessus, on observe bien sûr l’absence dans la prospective de prise en compte marquante des événements intérieurs. Il ne suffit certainement pas, aujourd’hui, d’écrire : « Quel que soit le vainqueur de l’élection présidentielle de 2020 aux États-Unis, le fossé entre les deux superpuissances va se creuser » ; il faut surtout se demander si l’élection se déroulera d’une façon qui permettra de déterminer un vainqueur, et si ce vainqueur pourra assumer son mandat. Cette sorte d’interrogation pourrait d’ailleurs affecter nombre d’autres puissances, tant la véritable question que soulève la prospective est celle de l’ordre public par rapport à des citoyens dont plus personne ne peut plus assurer qu’ils se tiennent dans le cadre politique, c’est-à-dire démocratique, ni qu’ils n’évoluent pas vers le le risque d’une explosion ou d’une sorte d’insurrection. A cet égard, l’“Âge du Désordre” est plutôt une perspective d’abord intérieure, ce que n’aiment pas vraiment les experts et analystes des prospectives de la situation générale.
La question centrale revient donc à se demander si les directions politiques et financières actuelles, selon leurs organisations, selon les psychologies régnantes, selon le système de la communication tel qu’il fonctionne, ont encore leur place là où elles se trouvent, si elles sont en réelle position de capacité. Si la réponse est négative, comme nous serions tentés évidemment de le penser, alors l’“Âge du Désordre” serait comme un canard à qui la tête n’aurait plus aucune utilité, donc ce serait une situation qui conduirait les mécontents et les furieux à juger préférable qu’on lui coupât la tête. On sait que certains continuent à marcher lorsqu’ils sont privés de leur tête, et ce pourrait être après tout le cas.
En réalité, la seule précision-prévision du rapport de la DB qui nous parait intéressante, par ce qu’elle dit de la confiance des élites (dont font partie ces experts-DB) dans l’avenir technologique (du technologisme), c’est l’incertitude qu’elle avoue quant à l’avenir des technologies dont les promoteurs nous disent constamment qu’elles sont destinées à changer l’homme, le cosmos, le monde, Dieu éventuellement (voir le transhumanisme et tout ce qu’il nous annonce); eh bien le rapport envisage que cela puisse également et tout simplement se terminer ‘en bulle’ :
« Enfin, les dix prochaines années montreront si la hausse exponentielle de la valeur des entreprises technologiques en valait la peine. Elles vont soit déclencher une révolution technologique, soit être la deuxième bulle Internet. »
Cette observation rattrape toutes les autres en nous découvrant implicitement un aveu de taille, et qui est certainement une nouveauté importante. Elle nous dit rien de moins que l’extraordinaire pression exercée par les lobbies et les diverses capacités d’influences du technologisme sur les dirigeants et les financiers est désormais insuffisante à emporter une adhésion aveugle et sans condition. Il s’agit là d’une révélation qui, à notre sens, est imputable indirectement à l’effet de la crise du Covid19 ; c’est-à-dire la crise des médecines, des laboratoires, etc., de tout ce qui est technologie (scientifique) dans un domaine donné (sanitaire), et qui s’avère impuissant, aussi bien mécaniquement que psychologiquement, à s’affirmer face à un processus ‘naturel’ (qu’il soit ou non d’origine ‘naturelle’, l’essentiel étant d’admettre que le processus, lui, l’est).
Les Millennials veulent l’argent des Boomers : Une banque voit le conflit intergénérationnel éclater au cours de la décennie
PAR
·A la fin de la semaine dernière, nous avons publié le résumé de la dernière étude de Jim Ried sur le rendement des actifs à long terme intitulée “L’Ère du Désordre” dans laquelle l’auteur explique que les cycles économiques vont et viennent, “mais au-dessus d’eux se trouvent les super-cycles structurels plus larges qui façonnent tout, des économies aux prix des actifs, à la politique et à notre mode de vie en général”.
- La première ère de la mondialisation (1860-1914)
- Les grandes guerres et la dépression (1914-1945)
- Bretton Woods et le retour à un système monétaire basé sur l’or (1945-1971)
- Le début de la monnaie fiduciaire et la période de forte inflation des années 1970 (1971-1980)
- La deuxième ère de la mondialisation (1980-2020 ?)
- L’Ère du désordre (2020 – ?????)
… Reid pense que le monde est à l’aube d’une nouvelle ère – “une ère qui sera d’abord caractérisée par le désordre”.
Bien que les implications socio-économiques et politiques de cette nouvelle “ère de désordre” soient considérables, car elle remplace l’actuelle deuxième ère de mondialisation, un aspect clé sur lequel Reid s’est concentré est le marché (après tout, il est banquier), et plus particulièrement la façon dont les évaluations mondiales actuelles, qui atteignent des niveaux records, sont menacées par la “nouvelle ère” qui s’annonce, qui, selon le stratège de la Deutsche Bank, aurait d’énormes répercussions sur huit grands thèmes mondiaux, de la détérioration des relations entre les États-Unis et la Chine à l’explosion des niveaux d’endettement mondiaux, en passant par l’inflation galopante à venir et l’aggravation des inégalités de richesse et de revenus, mais surtout, peut-être, le conflit générationnel à venir entre les jeunes (les “pauvres” millennials et ceux de la Génération Z) et les vieux (càd les riches).
Étant donné que le fossé entre les générations, non seulement aux États-Unis mais dans l’ensemble du monde développé, pourrait être encore plus perturbateur que le fossé record en matière de richesse, nous examinerons de plus près les observations de M. Reid sur les raisons pour lesquelles le fossé intergénérationnel s’est creusé ces dernières années et semble devoir devenir encore plus problématique dans l’avenir immédiat.
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Une fracture intergénérationnelle à la fin à cette décennie ?
L’inégalité est un domaine aux multiples facettes, et le fossé intergénérationnel pourrait bien être l’un des sous-domaines de désordre à en sortir. Ce fossé s’est creusé ces dernières années et devrait encore s’accentuer dans un avenir immédiat.
Pour l’instant, le fossé entre les générations se situe à des niveaux relativement extrêmes. Ceux qui ont intégré le marché du travail au cours de la dernière décennie ont déjà subi le double choc de la crise financière mondiale et maintenant de la pandémie de coronavirus – les deux pires chocs économiques depuis la Grande Dépression des années 1930. Les jeunes ont donc été perdants sur le plan économique par rapport à leurs prédécesseurs et sont en retard sur les générations précédentes sur des questions allant de l’accession à la propriété au niveau d’endettement des étudiants. En même temps, on constate un clivage croissant sur d’autres questions, par exemple sur la manière dont les jeunes ont été parmi les plus énergiques à réclamer des mesures sur le changement climatique. Et ce, avant même de se demander comment les jeunes vont hériter du lourd fardeau de la dette nationale qui s’est accumulé.a
Ces différences d’âge se manifestent de plus en plus dans les préférences politiques, avec de plus en plus d’élections dans le monde entier qui se déroulent selon des critères générationnels.
Nous pensons que ce conflit intergénérationnel va probablement s’aggraver au cours de la prochaine décennie. Le vieillissement des populations en Occident exacerbe bon nombre de ces tendances. Les prix élevés des logements et le retard de la croissance des revenus des personnes âgées et de la génération Z dans un certain nombre de pays continuent à susciter la colère et le ressentiment. Et les jeunes ont tout à fait le droit d’être lésés. Le graphique 49 montre qu’aux États-Unis, la valeur nette médiane réelle par âge du chef de famille (du ménage) a divergé sensiblement depuis les années 1980.
Au Royaume-Uni, les revenus médians des ménages des personnes nées dans les années 1980 et 1990 ne sont pas beaucoup plus élevés que ceux des personnes nées dans les années 1970 à un âge similaire. C’est une grande différence par rapport aux cohortes précédentes, où chacun avait tendance à être sensiblement mieux loti à un âge donné que son prédécesseur.
Entre-temps, grâce à la Grande Crise Financière (GCF) et au choc du Covid, le chômage des jeunes a déjà connu une hausse importante au cours de la dernière décennie et il semble probable qu’il le fasse à nouveau, surtout par rapport au reste de la population.
Après la GCF et la crise de la dette souveraine qui a suivi, le chômage des jeunes a atteint un pic de plus de 25 % en France et de plus de 50 % en Espagne et en Grèce. Aux États-Unis et au Royaume-Uni, il a atteint un peu moins et un peu plus de 20 %, respectivement. Bien que ces taux aient reculé dans les années suivantes, l’impact de la pandémie de coronavirus a anéanti ces progrès, et les jeunes ont une fois de plus vu leurs perspectives de carrière compromises par des circonstances indépendantes de leur volonté. En effet, en Amérique, les rangs des jeunes sans emploi sont plus nombreux aujourd’hui qu’ils ne l’étaient à leur apogée après la crise financière.
Cet héritage risque de durer longtemps, même si l’économie renoue avec la croissance. Les faits montrent que pour ceux qui obtiennent leur diplôme en période de récession, comme c’est le cas pour de nombreux diplômés de l’enseignement supérieur et de l’université, non seulement il est plus difficile de trouver un emploi au départ, mais les salaires en pâtissent également pendant des années par la suite. Intuitivement, cela s’explique par le fait que les jeunes seront beaucoup moins pointilleux lorsqu’il s’agira d’accepter des offres d’emploi et seront plus susceptibles d’accepter un rôle moins bien rémunéré que ce qu’ils auraient pu faire sur un marché du travail plus fort.
Les jeunes d’aujourd’hui ont donc eu la malchance d’avoir connu les deux plus grandes crises économiques depuis la Grande Dépression. Il est clair que les jeunes d’aujourd’hui se tiennent à une certaine distance de ce qu’étaient les générations précédentes au même âge.
D’une manière générale, les jeunes d’aujourd’hui se retrouvent exclus du marché du logement, vivent plus longtemps chez leurs parents et doivent reporter des étapes importantes de leur vie comme le mariage et les enfants. Il n’est pas étonnant que beaucoup aient l’impression d’avoir perdu par rapport aux générations précédentes au même moment.
Plus récemment, la fracture générationnelle s’est manifestée dans les préférences politiques, les jeunes étant généralement du côté des perdants, en particulier dans les référendums binaires ou les systèmes contrôlés par le bipartisme. Bien que les jeunes aient longtemps eu tendance à se tourner vers la gauche, ce clivage selon l’âge est devenu de plus en plus fréquent ces dernières années.
Il suffit de regarder deux des plus grandes décisions politiques de part et d’autre de l’Atlantique, le référendum du Brexit et l’élection de Donald Trump. Ces deux scrutins ont révélé un tel clivage en fonction de l’âge, au point qu’une grande majorité des jeunes se sont trouvés face à un résultat pour lequel ils n’avaient pas voté. Les graphiques montrent que la génération des millennials (environ 40 ans aujourd’hui) a été le pivot pour déterminer si vous étiez plus ou moins susceptible de voter pour le Brexit ou Trump.
Bien sûr, la démocratie a toujours un côté perdant. Pourtant, il s’agit d’un phénomène plus récent, où des générations entières se considèrent comme perdantes, et il est prouvé de manière décisive que ce phénomène s’est élargi au fil du temps. Prenons par exemple le groupe des 25-34 ans au Royaume-Uni et comparons son soutien au Parti conservateur au niveau national. Nous l’avons également constaté aux États-Unis. La proportion d’électeurs qui s’identifient comme républicains ou ayant une tendance républicaine s’est considérablement accrue par génération au cours de la dernière décennie.
Il est évident que le retour de bâton a commencé même si les Millennials n’ont pas encore eu vraiment le poids des chiffres. Lors des deux dernières élections britanniques, le soutien le plus fort au parti travailliste d’opposition a été celui des jeunes électeurs, qui ont soutenu un manifeste comprenant des mesures qui les visaient directement, comme la suppression des frais de scolarité, ou l’interdiction d’augmenter les loyers au-delà de l’inflation. En effet, malgré leur défaite aux élections générales de décembre 2019 – où le soutien des générations plus âgées au Brexit a eu le dessus – ils ont fait un retour inattendu dans la compétition de 2017, en remportant 40% des voix. De même aux États-Unis, Bernie Sanders, qui se décrit lui-même comme un socialiste Démocrate, a été propulsé en partie par l’enthousiasme des jeunes électeurs envers ses politiques de gauche. En 2016 et 2020, il a été le second candidat démocrate à l’élection présidentielle et a été favori pendant une période tardive dans la course à cette dernière.
Ce n’est pas un phénomène propre aux États-Unis ou au Royaume-Uni. En Europe continentale, le candidat le plus populaire à l’élection présidentielle française de 2017 parmi les 18-24 ans n’était ni le président Macron ni Marine Le Pen, mais le candidat de gauche Jean-Luc Mélenchon. Lors de l’élection irlandaise du début de l’année, le Sinn Fein a reçu le plus grand nombre de votes de première préférence, en partie à cause du mécontentement lié au manque de logements abordables, grâce au soutien important des jeunes électeurs. Là encore, il a été difficile de franchir la ligne de démarcation dans la plupart des pays car leur population n’est pas majoritaire – mais pour revenir à l’élection française de 2017, un petit écart de % au premier tour aurait facilement pu conduire à ce que le second tour se joue entre deux candidats extrêmes : Le Pen et Mélenchon.
À l’avenir, si cette jeune génération n’est pas en mesure de réaliser ses aspirations économiques – surtout maintenant, compte tenu des effets de la pandémie – pourquoi son point de vue sur ces questions économiques devrait-il changer avec le vieillissement des membres, comme beaucoup le supposent ? En effet, cette jeune démographie pourrait bientôt se mobiliser en une majorité électorale.
Un renversement de pouvoir potentiellement perturbateur
L’hypothèse générale est que la fracture intergénérationnelle s’aggravera avec le vieillissement de la population et que ce groupe veillera à ce que l’intérêt personnel du statu quo se maintienne. Cependant, on oublie le point essentiel selon lequel l’âge auquel la fracture intergénérationnelle commence n’est pas statique. Il est probable que cet âge augmentera au fil du temps, car l’âge moyen des laissés-pour-compte continuera à augmenter, car un fossé s’est creusé dans les revenus et les richesses qu’il est très difficile de combler naturellement. Ainsi, à un moment donné, la jeune génération de laissés-pour-compte dépassera celle qui a bénéficié des conditions financières favorables qui ont été cimentées lors des récentes élections successives. Lorsque cela se produira, la possibilité d’un changement sismique de politique lors des élections deviendra plus probable. Nous pensons qu’au cours de la prochaine décennie, la jeune génération de la gauche deviendra une force électorale de plus en plus puissante, surtout si elle continue à être laissée pour compte en raison de l’impact de la pandémie.
Le graphique 56 examine les cohortes de millennials, de la génération Z et des plus jeunes par rapport à celles nées avant le millénaire dans les pays du G7 sur la base d’une population agrégée non pondérée. Nous n’avons inclus que les personnes en âge de voter pour chaque année passée et future. Étant donné que la base de données des Nations unies fonctionne par tranches de cinq ans, nous avons supposé que les personnes âgées au milieu de la tranche des 15-20 ans avaient le droit de voter.
Les générations qui ont précédé les millennials ont pris le dessus, et dans une large majorité, au cours des dernières décennies. En 2005 encore, le groupe des aînés détenait un avantage électoral de 497 000 contre 69 000 dans les pays du G7. En 2015 (à peu près à l’époque des votes Brexit et Trump), l’avantage était encore de 442 000 contre 167 000. Cependant, à l’approche de 2030, cet écart se réduira à zéro, et après cela, tous ceux nés après 1980 commenceront à dominer les élections.
En supposant qu’il n’y aura pas un grand nombre de Millennials qui trouveront la vie économique beaucoup plus favorable en vieillissant, cela pourrait être un tournant pour la société et commencer à changer les résultats des élections et donc à faire évoluer la politique. Aux États-Unis, où nous pouvons utiliser le recensement pour obtenir encore plus de granularité, 2020 semble être la dernière élection où les personnes âgées et plus jeunes sont nettement désavantagées. Les compilateurs du recensement ont des estimations légèrement plus agressives que les Nations unies et pensent que d’ici 2028 environ, ils atteindront la parité des voix en termes de nombre. Elle sera relativement proche en 2024. Pour le contexte en 2016, l’avantage était de 156 000 électeurs pour 92 000 électeurs en faveur du groupe le plus âgé.
Il est intéressant de noter que parmi les pays du G7, l’Italie et le Japon voient le passage de l’un à l’autre jusqu’en 2035-2040, ce qui reflète leur démographie relative et absolue plus faible à l’avenir. Cela peut aider à expliquer pourquoi le Japon continue d’être dominé par les groupes d’intérêt des personnes âgées, car la croissance démographique à partir de la génération des millennials n’a tout simplement pas été suffisante pour menacer la domination de la cohorte d’avant les années 1980. Cela suggère également que des pays comme les États-Unis et le Royaume-Uni, où la domination des jeunes par rapport aux personnes âgées se produit beaucoup plus tôt (entre 2025 et 2030), ne connaîtront pas nécessairement les mêmes tendances économiques que celles que le Japon a connues ces dernières années et qu’il est probable qu’il connaîtra à l’avenir. En Allemagne et en France, la transition se fera probablement au début des années 2030, de sorte que même ici, les thèmes des jeunes électeurs se feront de plus en plus sentir au cours de la prochaine décennie.
Les années 2020 s’annoncent donc comme la décennie au cours de laquelle les millennials et ceux qui les suivront feront de grandes percées numériques dans la base électorale de la génération précédente. Bien que la fracture intergénérationnelle risque de s’aggraver d’abord, car ils continuent à être plus nombreux et à subir le choc du Covid-19, il est de plus en plus probable qu’ils puissent provoquer un changement sismique lors d’une élection majeure au cours de la prochaine décennie. Nous pensons donc que la domination électorale de la coalition pré-millennials touche à sa fin et que, lorsqu’elle se renversera, elle pourrait avoir un impact dramatique sur le fossé intergénérationnel et sur les politiques et les résultats économiques de l’”ère de la mondialisation” qui se renforcent d’eux-mêmes.
En guise de mise en garde, nous devons dire que cette analyse suppose une participation électorale égale, ce qui, selon l’histoire, est nettement plus faible chez les jeunes. Toutefois, ce n’est pas une hypothèse figée et si un mouvement se développe, dans lequel les jeunes sont fortement impliqués et pensent pouvoir gagner, la participation électorale pourrait changer. De plus, cette analyse suppose que les personnes âgées n’héritent pas simplement des attitudes et de la richesse de la génération précédente lorsqu’elles vieillissent et font partie du groupe d’intérêt de la génération précédente. Étant donné le fossé générationnel en matière de propriété, de revenus et d’endettement, il sera difficile pour les différentes tranches d’âge de combler naturellement le fossé financier qui s’est creusé. Nous devons souligner que de nombreux membres de la génération plus âgée sont favorables à une politique alternative par rapport à la majorité de leur propre groupe d’âge – ainsi, à mesure que nous nous rapprochons d’une répartition 50/50, un changement de direction politique peut se produire à tout moment, avec une coalition d’électeurs.
Une victoire électorale pour la génération post-millennials marquerait probablement un renversement des politiques qui ont favorisé les personnes nées avant, disons, 1980. Il pourrait s’agir d’un régime fiscal plus sévère pour les héritages, d’une moindre protection des revenus des retraités, d’une augmentation des impôts fonciers, d’une hausse des impôts sur les revenus de haut de gamme, d’une augmentation des impôts sur les sociétés et d’un plus grand nombre de politiques de redistribution globale. La “nouvelle” génération pourrait également être plus tolérante à l’égard de l’inflation dans la mesure où elle érodera le fardeau de la dette dont elle hérite et fera souffrir les détenteurs d’obligations, qui ont tendance à avoir un parti pris en faveur de la génération des retraités.
Même en l’absence d’un changement électoral extrême, à mesure que la génération post-millennials de gauche deviendra plus puissante sur le plan électoral, il est probable qu’elle façonnera de plus en plus les politiques de partis plus traditionnels. Ainsi, même sans changement sismique, nous pourrions encore être en train de passer d’une époque où les politiques de type “boomer” étaient en plein essor à une époque où les préférences des millennials commencent à avoir un impact sérieux sur la politique. En termes de prix des actifs, la plupart des actifs sont simplement transférés d’une génération à l’autre à un prix de compensation du marché. À moins que la génération post-millennials ne bénéficie d’une augmentation soudaine de ses revenus, le prix qu’elle sera prête ou capable de payer pour les actifs de la population pré-millennials – que cette dernière veut ou doit vendre – sera probablement soumis à une certaine pression par rapport à la croissance passée, en particulier la croissance stupéfiante de l’”ère de la mondialisation”.