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Eric Maskin : «Il n’y a pas de mécanisme capable d’arrêter une crise bancaire»

 prix Nobel d’économie 2007, Eric Maskin, apporte sa  propre contribution aux idées de réforme de la finance

PLUS DE CONTRIBUTIONS EN SUIVANT : 

Le système bancaire est «une externalité pour l’économie», selon le Prix Nobel Eric Maskin.

Car «ce qui est bon pour les banques n’est pas nécessairement bon pour les autres agents. En cas de défaillance, le coût est supporté par le reste de l’économie.» L’emploi de cette approche originale associe la finance à l’économie de l’environnement.

Eric Maskin était l’un des trois lauréats du Nobel d’économie invités à Londres au 4e colloque européen de la finance organisé par Pioneer, cette semaine à Londres, et auquel Le Temps était convié. Les deux autres Prix Nobel étaient Michael Spence, lauréat en 2001, et Robert Merton, en 1997.

Pour Eric Maskin, il n’existe pas de mécanisme autocorrecteur capable d’empêcher la propagation d’une crise bancaire. Dans l’agriculture par exemple, si l’industrie écossaise de la patate fait faillite à cause d’intempéries, son prix renchérit, ce qui incite d’autres producteurs à augmenter leur offre. Tout revient dans l’ordre sans aide de l’Etat. Mais si une banque fait faillite, le marché ne peut de lui-même corriger les déséquilibres en raison de l’effet de levier (leverage) et de la prise de risque. Eric Maskin explique que la finance a donc besoin d’un mécanisme ex post (le sauvetage) et ex ante (réglementations), car les banques sous-estiment le coût du levier et de la prise de risque». Ce chercheur de Princeton encourage la constitution de contraintes telles que des limites à l’effet de levier, au ratio de fonds propres, ainsi que des standards minimaux à l’octroi de crédit. Ces réglementations ne doivent pas nécessairement être réalisées en coordination avec les autres pays, a-t-il ajouté.

La théorie des externalités implique que la crise n’a été causée «ni par l’irrationalité, ni par la taille des banques, ni par les bonus, ni par l’opacité des dérivés, ni par l’avarice des banquiers, ni par la surconsommation américaine», a tenu à préciser le Prix Nobel. Eric Maskin se révèle par ailleurs très optimiste sur les perspectives économiques à l’horizon de 5 ans. Mais l’économie devra négocier le défi à court terme de la fin des politiques de stimulation de la demande.

source Par Emmanuel Garessus, de retour de Londres le temps jan10

LE LIEN : Portrait de Eric Maskin (cliquez sur le lien)

EN COMPLEMENTS INDISPENSABLES :

La théorie de la conception des mécanismes d’incitation (ou théorie de la conception des mécanismes de marché) est une théorie économique qui fait partie de la théorie des jeux, au sein de la microéconomie. Leonid Hurwicz en posa les fondements dans les années 1960, fondements sur lesquels Eric Maskin et Roger Myerson ont développé cette théorie dans les années 1970 et 1980[1].

Cette théorie analyse le fonctionnement des marchés et des institutions économiques, et la façon dont de tels marchés émergent, en fonction de l’intérêt des créateurs. Elle prend en compte les asymétries d’information, en particulier les situations dans lesquelles les acteurs mentent et où, pour cette raison, les transactions risquent de ne pas se faire, ou de se faire à un prix qui ne serait pas socialement optimal. En cela, elle élargit le concept de main invisible de la théorie classique, aux cas où les hypothèses, très strictes, ne sont pas vérifiées : concurrence imparfaite, information imparfaite, existence d’externalités, etc.

Elle montre que l’allocation optimale des biens entre les agents peut se faire grâce à des marchés et à la mise en place de mécanismes institutionnels d’incitation. Cependant, il n’existe pas de marché efficace (au sens de Pareto) pour l’allocation des biens publics.

La théorie permet de concevoir des jeux, où les agents économiques se comportent de manière rationnelle et doivent atteindre les objectifs fixés par les concepteurs.

En 2007, le « prix Nobel » d’économie a été décerné à Leonid Hurwicz, Eric Maskin et Roger Myerson pour leurs travaux dans ce domaine[2].

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Leonid Hurwicz, Eric Maskin et Roger Myerson ont été récompensés par le Prix Nobel de science économique pour leurs travaux novateurs concernant la théorie « des mécanismes d’incitation » [1], ou mecanism design theory. Étonnamment, certains ont saisi cette occasion pour dénigrer l’économie de marché. En vérité, les lauréats doivent beaucoup aux défenseurs du libre marché qui les ont précédés.

La mecanism design theory est un champ de la recherche économique qui se concentre sur la manière dont les structures institutionnelles peuvent être manipulées par un changement des « règles du jeu » dans le but d’atteindre des objectifs sociaux optimaux. Les meilleures intentions visant au bien commun ne seront d’aucun effet si les structures institutionnelles ne sont pas compatibles avec l’intérêt des différents décideurs.

Les travaux de Myerson sur la manière de concevoir des enchères afin d’obtenir de l’information sur la valeur du bien mis en vente – et sur la manière de maximiser le revenu issu de l’enchère – a influencé de nombreuses privatisations de biens publics au cours des vingt-cinq dernières années. Maskin a également contribué à la théorie des enchères, et a appliqué la mecanism design theory pour évaluer certaines institutions politiques comme les systèmes de vote.

La mecanism design theory a été développée pour tenter de répondre au principal défi laissé par Ludwig von Mises et F.A. Hayek. Tout débute avec la réponse d’Hurwicz au célèbre article de Hayek, « L’utilisation de l’information dans la société ». Dans les années 1930 et 1940, Hayek s’était impliqué dans le débat sur le « calcul économique en société socialiste ». Mises, le mentor de Hayek à Vienne, avait soulevé ce problème fondamental dans son ouvrage Socialisme, et auparavant dans un article : quand les moyens de production ne sont pas privés, le système économique ne génère ni les incitations ni les informations qui permettent de choisir efficacement entre les usages alternatifs de ressources rares. Sans la propriété privée des moyens de production, certains résultats sociaux souhaitables resteront hors d’atteinte.

Avec la publication en anglais par Hayek, au milieu des années 1930, de l’essai de Mises dans son livre La Planification économique collectiviste, le débat se déplace vers la Grande-Bretagne et les États-Unis. Hayek y résume le problème fondamental que les partisans du socialisme auront à résoudre. L’argument de Hayek, un perfectionnement de celui de Mises, établit que le problème fondamental auquel une société fait face, n’est pas la manière d’allouer des ressources données, mais la manière de mobiliser et d’utiliser la connaissance dispersée partout dans l’économie.

Hayek développe l’argument selon lequel la modélisation mathématique, qui repose sur une série d’hypothèses données, a fait passer ce problème fondamental aux oubliettes. Il n’avait pas été analysé depuis qu’il avait été mis à l’écart dans les modèles mathématiques du socialisme de marché présentés par Oskar Lange et, à sa suite, Abba Lerner. Milton Friedman, quand il a fait la critique de l’« Économie du contrôle » de Lerner, a montré que ce dernier conduisait son analyse économique des politiques publiques dans un vide institutionnel. En réalité, Lange expliquait que la question des incitations dues à la bureaucratie n’appartenait pas à l’économie et gagnait à être laissée à d’autres disciplines, comme la psychologie ou la sociologie.

Léonid Hurwicz, dans ses articles les plus connus « Sur le concept et la possibilité d’une décentralisation de l’information » (1969), « Sur les systèmes d’information décentralisés » (1972), et « La structure des mécanismes d’allocation des ressources » (1973), pénètre au coeur des questions posées par Hayek. Il développe la mecanism design theory afin de tester la validité de l’affirmation de Mises et Hayek selon laquelle le socialisme n’est pas en mesure de mobiliser la connaissance dispersée dans la société d’une manière qui permette un calcul économique rationnel concernant les usages alternatifs de ressources rares. Pour Mises et Hayek, remplacer la main invisible du marché par celle du gouvernement ne peut pas fonctionner. Hurwicz a souhaité voir s’ils avaient raison, et sous quelles conditions il serait possible d’affirmer qu’ils aient tort.

Ces recherches constituent les fondations du domaine de l’économie récompensé cette année par le Prix Nobel. Pour fonctionner efficacement, tout système économique doit, comme Hayek le faisait remarquer, structurer les incitations pour que les informations dispersées dans la société, parfois contradictoires, soient mobilisées afin de réaliser des gains par l’échange et l’innovation.

L’an dernier, Myerson a reconnu être redevable à Hurwicz – et dès lors à Hayek – dans « Théorie fondamentale des institutions : une conférence en l’honneur de Leo Hurwicz ». La question de la compatibilité des incitations a permis de souligner les problèmes d’aléa moral et de sélection adverse (comportements inattendus dus à des incitations créées par des règles supposées nous protéger, et problèmes de sélection dus à une information imparfaite). Hurwicz a contribué à faire reculer la négligence de l’analyse économique du milieu du XX° siècle pour les institutions.

Au moment où nous célébrons le talent de Hurwicz, Maskin et Myerson, nous devons également nous souvenir que ce sont les questions posées par Hayek qui sous-tendent leurs recherches. Hayek concluait que les droits de propriété privés, la liberté de contracter, et la liberté d’association restent le seul mecanism design qui permette de mobiliser et d’utiliser les connaissances dispersées dans l’économie. De plus, ceci se fait de telle manière que des gains soient obtenus par l’échange et l’innovation, que de la richesse soit créée en permanence et que l’humanité se porte mieux.

Peter Boettke est professeur d’économie à Georges Mason University et chercheur émérite au Mercatus Center.2007

[1] 1. Également théorie dite de « conception des mécanismes ». Cette théorie est un sous-ensemble de la théorie des jeux. Elle permet notamment de distinguer les situations dans lesquelles les marchés fonctionnent bien et celles dans lesquelles ils fonctionnent mal. Elle s’intéresse également aux mécanismes d’enchères. (NdT)

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