Behaviorisme et Finance Comportementale

The Economist : Aguirre ou la colère de Dieu / La planète financière devrait apprendre à mieux gérer le risque et à faire preuve d’humilité….

The Economist publie, sous le titre « The Gods Strike Back », un véritable pavé sur la gestion de risque. Et les risques que cette gestion représente pour l’économie planétaire ou pour la reprise.

La crise a révélé que le risk management des banques n’était pas aussi avancé qu’on le pensait. Les pratiques et l’organisation des banques en la matière étaient assez différenciées et un rapport du Financial Stability Board a identifié ce qu’étaient les bonnes et les mauvaises pratiques. Ceci a d’ailleurs constitué une ligne de partage claire entre les vainqueurs de la crise et les autres.

 Les vainqueurs incontestables se sont en effet caractérisés par la supériorité de leur risk management (JP Morgan, Goldman Sachs, Crédit Suisse, Santander…).Le rapport Walker a insisté sur l’importance de l’implication des dirigeants et du Conseil d’Administration dans le risk management. Pour le reste on lira le point qui est fait, dans un dossier spécial, par The Economist….

« Après chaque crise, écrit The Economist, banquiers et investisseurs tendent à oublier que c’est leur devoir d’être sceptique et nom optimiste. En finance, les dieux trouveront toujours le moyen de répliquer. »

PLUS DE DETAILS EN SUIVANT :

Dans son article (cliquez sur le lien), le magazine explique que, jusque dans les années 1990, on gérait l’économie et la finance en tenant compte du fait que certaines choses, dans la vie, ne pouvaient pas être contrôlées. Citant le livre de Peter Bernstein, l’historien du risque financier, intitulé « Against the Gods », publié en 1996 (Wiley éditeur), The Economist mentionne que les financiers ont finalement eu l’impression d’avoir pu enfin maîtriser la bête avec ces nouveaux instruments financiers sophistiqués de la fin du siècle dernier.

Dix ans de taux d’intérêt au plancher, de faible volatilité et de rendements élevés ont scellé l’illusion générale voulant que quelques modèles mathématiques puissent reléguer le risque à une composante mineure du système financier. On soutenait même qu’on pouvait aisément le transformer en produit dûment quantifiable et échangeable.

La crise financière de 2007 à 2009 a fait éclater cette suffisance chez les financiers. Finie la sécurité ou le sentiment de fausse sécurité. L’idée que les marchés pouvaient se surveiller eux-mêmes a fini par coûter 15 trillions de dollars américains en injections de capitaux et autres formes d’aide. Ce fut l’erreur la plus coûteuse de l’histoire de l’humanité. En fait, le système financier actuel est tellement fragilisé que certains mathématiciens considèrent que, reproduites dans la nature, les différentes crises majeures des dernières années n’auraient dû se produire, individuellement, qu’une seule fois dans l’histoire de l’univers!

Bref, impossible de limiter la gestion de risque aux mathématiques. Il faut aussi en faire une question de jugement.

Ce qui ne marche pas

Le magazine analyse en profondeur ce qui a flanché dans la dernière crise :

 réglementation financière laxiste du côté des hypothèques, politique monétaire trop permissive, trop grande dépendance de sociétés comme Fannie Mae et Freddie Mac, endettement trop élevé des firmes financières… Les grandes banques américaines avaient, en moyenne, emprunté jusqu’à 37 fois leur équité : elles pouvaient faire défaut à partir d’une perte de 2 ou 3% de leurs actifs.

À cela s’ajoute l’accumulation inouïe de dettes à court terme adossées à des actifs à long terme peu liquides et d’échanges financiers gré à gré peu supervisés par les autorités.

La liste s’allonge et les explications sont fascinantes. Mais le constat est clair : les gens ont été payés en fonction des mauvais risques, jugés de la mauvaise façon.

Car les financiers ont été aveuglés par leur manque de culture historique du risque, la tentation de se mesurer au voisin pour juger de sa performance et des modèles mathématiques faussés. Le magazine explique que certaines formules mathématiques font partie de la réalité quotidienne des banquiers et des financiers, qui ne sauraient s’en passer pour évaluer le risque.

Mais, le problème, c’est qu’ils ne les comprennent pas vraiment. Le magazine cite l’exemple du VAR (value at risk), un système développé chez JP Morgan à la fin des années 1980. Non seulement les gestionnaires comprennent mal cet outil de base du monde de la finance, mais il ne permet pas les comparaisons entre grandes institutions financières, car celles-ci utilisent des formules différentes de VAR pour mesurer leurs propres risques de placement!

Les limites des ordinateurs

The Economist refuse pourtant de jeter le bébé avec l’eau du bain. Les outils mathématiques destinés aux financiers sont utiles. Mais on doit connaître leurs limites. « Ils devraient être considérés comme des métaphores (…) qui ne peuvent décrire le monde parfaitement ».

De manière assez fascinante, le magazine rappelle un discours de Madelyn Antoncic livré à Genève en décembre 2006. La « chief risk officer » de Lehman Brothers exprimait ses inquiétudes quant à la complaisance face au risque qui animait les financiers de l’époque. Deux mois après son discours, elle fut progressivement « tassée » par le grand patron de Lehman, Dick Fuld. Depuis la crise financière, toutefois, ceux qui doivent gérer le risque au sein des institutions financières ont gagné beaucoup d’importance. Et le phénomène a aussi migré vers les grandes sociétés actives dans tous les secteurs de l’économie. On devrait s’en réjouir. Mais il ne faudrait pas que ce nouveau pouvoir des gestionnaires du risque s’étiole quand l’économie reprendra du mieux dans les pays développés.

C’est pourquoi les autorités tentent de limiter l’exposition des banques aux risques externes. Elles ont proposé plusieurs réformes de la réglementation actuelle, notamment sur les réserves de liquidités. Une mesure compréhensible quand on sait qu’en 2008, les appels de marge ou de contrepartie ont drainé, en quelques jours, l’essentiel des liquidités des firmes de courtage. Normal : leurs clients, apeurés par la hausse soudaine du risque d’écroulement du marché, exigeaient leur argent illico.

En trois jours, Bear Stearns a vu ses réserves de liquidités diminuer de 90%. Après la faillite de Lehman Brothers, Morgan Stanley a enregistré 43 G$US de retraits en une seule journée, la majorité provenant de fonds de couverture. C’est ce genre de « stampede », ou d’effet de domino entre grandes sociétés financières, que tentent de limiter les régulateurs. D’autant plus que les problèmes de liquidités mènent invariablement à des problèmes de solvabilité, qui affectent ultimement tous les secteurs de l’économie et qui forcent les gouvernements à s’endetter pour réparer les pots cassés.

Dans cette optique, une cinquantaine de lois et réglementations sont actuellement devant les parlements du monde, relate Bloomberg. Mais le risque n’est pas juste une affaire de produits financiers sophistiqués ou de modèles mathématiques basés sur la physique quantique. Le risque est avant tout une question de comportement humain.

Un vrai partage

C’est pourquoi The Economist suggère que l’on aligne le risque et les intérêts personnels des financiers. La rémunération devrait être étalée davantage sur la performance à long terme, avant tout sur la stratégie d’entreprise et non sur la performance liée à des stratégies d’endettement. Elle devrait aussi s’accompagner d’une grande transparence lorsqu’il est question de titrisation et de produits dérivés.

Enfin, The Economist en appelle à la fin du système de reconnaissance gouvernementale des agences de crédit. Ces dernières ont systématiquement sous-estimé le risque de défaut de grandes quantités de titres de dette. Elles étaient pratiquement situation de conflit d’intérêts puisque leur rémunération vient des émetteurs. L’imprimatur (« sceau d’approbation » en latin) gouvernemental actuel envers les agences de crédit confirme leur statut au sein d’un oligopole. En ouvrant ce marché à la compétition, les agences de notation devront prouver la validité de leurs cotes. Mais, malheureusement, les gouvernements se montrent peu pressés de changer la donne dans ce domaine.

Malgré tout, les meilleures réformes réglementaires du monde et un usage plus rationnel de la gestion quantitative du risque ne changeront pas grand-chose à l’avenir. Surtout lorsque surviendront les prochaines bulles spéculatives. Car les investisseurs et les financiers ont la mémoire de plus en plus courte. « Après chaque crise, écrit The Economist, banquiers et investisseurs tendent à oublier que c’est leur devoir d’être sceptique et nom optimiste. En finance, les dieux trouveront toujours le moyen de répliquer. »

 Rapport spécial de The Economist :
http://www.economist.com/specialreports/displayStory.cfm?story_id=15474137

-Editorial de The Economist:
http://www.economist.com/opinion/displayStory.cfm?story_id=15501592

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