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Nicolas Baverez : L’industrie française victime du colbertisme

L’industrie française est naufragée et menacée de mort. La production et l’investissement manufacturiers se sont effondrés de 13 % en 2009 tandis que 196 000 postes de travail disparaissaient, soit 42 % des suppressions d’emplois, alors que le secteur n’occupe plus que 11 % de la main-d’oeuvre. Les parts dans les exportations de la zone euro ont chuté de 16 à 12,5 % depuis 2000. Au plan intérieur, les signaux d’alerte se multiplient : pannes à répétition dans le transport ferroviaire ; affaissement historique à 78 % de la disponibilité du parc nucléaire ; défaillance du réseau électrique dans l’ouest et le sud du pays… A l’international, les revers s’accumulent : rupture par Siemens de l’alliance avec Areva, désastre financier de l’EPR finlandais et échec à Abou Dhabi pour la filière nucléaire ; mise hors jeu des offres françaises pour les 42 lignes ferroviaires à grande vitesse construites en Chine et pour le projet saoudien Médine-La Mecque, comme pour les satellites Galileo ; entrée en force des opérateurs chinois dans les concessions autoroutières polonaises et les transports urbains scandinaves et envol des importations créant un déficit commercial de près de 10 milliards d’euros. 

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 L’économie française ne peut se passer de son industrie. Le dynamisme de l’industrie est essentiel pour la croissance française, qui ne peut être tirée par les seuls services, la finance ou la construction. Ensuite, l’industrie joue un rôle moteur pour l’emploi, générant pour chaque poste de 6 à 10 créations dans les services, mais aussi pour les exportations, pour les gains de productivité et la recherche : un pays sans usines est un pays sans innovation. Pour ces raisons, les pôles d’excellence industriels sont le vecteur de l’insertion dans la mondialisation. Leur fragilisation du fait de la dégradation de leurs performances et de la concurrence des émergents – la Chine, l’Inde et le Brésil mais aussi la Corée, l’Indonésie ou la Malaisie – accélère le déclassement de notre appareil de production.  

La crise économique a provoqué un retour en force de l’Etat dans l’industrie. L’intervention de l’Etat était parfaitement légitime pour contenir l’arrêt simultané de la demande privée et du crédit en 2008 comme pour secourir les secteurs sinistrés. 

Mais cette mobilisation provoque en France la restauration de l’économie administrée sous quatre formes. Le protectionnisme. Le contrôle de l’orientation des capitaux, de l’investissement et de la recherche à travers la constitution du FSI ou le grand emprunt, qui fait renaître de ses cendres le Commissariat général du plan. Le pilotage centralisé des grands programmes d’exportation depuis le sommet de l’Etat. Le retour du Meccano industriel sur une base hexagonale au détriment des restructurations européennes ou mondiales.  

La renaissance du colbertisme se révèle meurtrière pour l’industrie. 

Le protectionnisme vaut condamnation à mort de notre industrie, alors que les groupes qui résistent le mieux, tels Total, Air liquide, Schneider ou L’Oréal, sont les plus internationalisés. La centralisation de la politique industrielle entraîne les dirigeants à faire le siège des antichambres parisiennes au lieu de définir une stratégie. 

Les interventions publiques échappent à toute cohérence : le bonus écologique a biaisé le marché automobile en faveur des modèles de bas de gamme ; la volonté de diminuer artificiellement la dette publique conduit à ériger l’agence de gestion des infrastructures ferroviaires en pseudo-entreprise et ruine le modèle économique du TGV ; la taxe carbone s’apprête à donner le coup de grâce à l’attractivité. 

Enfin, l’Etat se montre le pire des actionnaires. Loin de moraliser le capitalisme, il confie deux entreprises géantes au même dirigeant, au mépris des règles élémentaires de gouvernance. Loin d’inscrire la stratégie dans la durée, il ne cesse de la déstabiliser : l’assujettissement de l’intérêt social des entreprises publiques aux contingences gouvernementales se résume à un abus de bien social permanent.  

La politique industrielle est indispensable face à la crise et aux mutations du capitalisme mais mérite d’être repensée.L’objectif central doit être l’insertion dans la mondialisation et la réponse au défi de la concurrence des émergents. Du côté des prix, cela implique de mettre un terme à l’envolée des coûts du travail ainsi que des prélèvements fiscaux et sociaux

Du côté des structures, la priorité doit aller au capital humain – à travers l’université, la formation continue mais aussi les incitations au maintien dans l’emploi, qui permettent à l’Allemagne de limiter le taux de chômage à 7,5 % en dépit d’une récession de 5 % -, à l’orientation de l’épargne longue vers les entreprises, au soutien des PME et à l’innovation. 

Au sein de la sphère publique, l’accent doit être placé sur la modernisation des infrastructures et sur le respect de l’autonomie des entreprises. Enfin, l’Europe a vocation à devenir le coeur de la politique industrielle : depuis dix ans, l’Agenda de Lisbonne a fixé les principes d’une stratégie de compétitivité cohérente qui est restée lettre morte. L’industrie française a autant à gagner à la relance de l’intégration européenne qu’elle a tout à perdre à la résurrection du colbertisme. 

EN COMPLEMENTS INDISPENSABLES : France : Les formules colbertistes ne créeront pas d’emplois (cliquez sur le lien) 

L’inéxorable déclin économique de la France : perspectives historiques (cliquez sur le lien)

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