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Bruno Bertez : Les dangers de l’austérité

Bruno Bertez : Les dangers de l’austérité

   La rigueur fiscale va provoquer ralentissement et aggravation du poids relatif des dettes. Mais surtout avoir un impact dévastateur sur la liquidité globale. La question de refinancement du stock de dettes des entreprises va se poser avec acuité.

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 La crise qui s’est révélée en septembre 2008 par la faillite de Lehman Brothers est réelle. C’est une crise des passifs comptables, c’est à dire une crise de la finance et, en même temps, c’est une crise des actifs, c’est à dire de l’économie réelle.

Face à la menace d’effondrement économique, sociale et politique, les grands moyens, moyens exceptionnels et non conventionnels ont été utilisés.

Les marchés financiers ont été placés sous respiration artificielle; les économies ont été mises sous perfusion.

La dépression a été évitée. Elle a été évitée par l’action conjointe de la politique monétaire et de la politique fiscale. Le mot important est «conjointe». Il n’est pas possible de dissocier les deux. L’analyse ne permet pas de séparer ce qui est imbriqué car l’indissociabilité des deux est organique. Aussi bien le fiscal que le monétaire devaient être mis en œuvre pour dégeler les comportements, pour évacuer la frilosité générée par la peur.

Le point de rencontre des deux actions, la monétaire et la fiscale, le résultat de leur synthèse au sens fort de la chimie et même de l’alchimie, ce fut le retour de l’appétit pour le risque. Nous le prenons non pas au sens des marchés, sens étroit, étriqué et truqué, nous prenons l’appétit pour le risque au sens commun: la confiance, la moindre peur de l’avenir, la capacité à l’envisager sereinement. Plus sereinement, et ainsi à reprendre des comportements plus rationnels, plus habituels, sinon plus normaux. C’est à dire consommer, entreprendre, investir, jouer, spéculer.

Le sens profond, ultime des opérations de sauvetage, est simple. Sous une apparente complexité et une volontaire opacité, il s’est agi, en dernier ressort, de substituer la puissance publique, le souverain, au privé.

Le crédit public a été mis à la place du crédit privé; la demande publique a suppléé la défaillance de la demande privée. Et c’est ainsi que le Système, financier, économique, social et politique, a été préservé.

L’autre caractéristique du sauvetage, outre la substitution du public au privé, tient dans le fait qu’il a fallu faire tout, exactement le contraire, de ce que l’on aurait dû faire avant, pour éviter la crise. Il a fallu augmenter massivement le crédit pour lutter contre les excès de crédit; il a fallu augmenter les incitations à dépenser pour lutter contre les excès de dépenses.

Les autorités n’ont guère eu le temps de réfléchir à l’avenir. Elles ont paré en catastrophe au plus pressé. Un peu comme on écope sur un bateau qui prend l’eau, sans se soucier des courants qui précipitent vers les récifs. Tout au plus ont-elles imaginé ou espéré qu’un miracle se produirait et qu’une fois passée la grande peur de la crise, tout allait pouvoir reprendre comme avant. Le niveau des théories économiques utilisées ne dépassait pas le sens commun. On a rêvé que cela allait se passer comme sur une bicyclette: on tombe, on vous aide à vous remettre en selle, on vous pousse et, à la faveur de l’équilibre ainsi retrouvé, on peut pédaler et reprendre sa route. Hélas, l’économie, ce n’est pas le sens commun. C’est ainsi que l’on a cru que le crédit allait repartir, que les agents économiques allaient recommencer à s’endetter et que les prêteurs allaient recommencer à prêter.

Cela ne s’est pas passé de cette manière. La masse de dettes accumulées dans le système, trop grande avant la crise, est devenue encore plus lourde après. Ce que l’on appelle le besoin de deleveraging, c’est à dire le besoin de réduire ses dettes, reste entier. Et même au-delà, si cela était possible. Les greens shoots de Bernanke n’ont pas pris racine. La croissance auto-entretenue n’est pas venue au rendez-vous. L’emploi, qui est l’élément central de toute reprise et de toute remise en route de la machine économique, l’emploi, malgré les subterfuges, est resté gelé. Il a été victime de la nécessité pour les entreprises de se préserver de la faillite par la réduction des charges et l’augmentation de la productivité.

L’économie globale n’est pas repartie comme espéré. La question du maintien des dispositifs de survie artificielle monétaire et fiscale reste posée. Les marchés se réveillent, ils perdent confiance dans la capacité des Etats souverains à rembourser leurs dettes.

C’est la phase II.

 La phase II se définit comme celle dans laquelle les «remèdes» à la crise révèlent leurs limites. Limites dans le résultat obtenu et surtout limites dans l’usage que l’on peut en faire.

La crise grecque a agi comme nous l’avions analysé. Son incidence mécanique était limitée, mais son incidence émotionnelle a été considérable. La contagion, pensions-nous, allait se faire au niveau des prises de conscience, au niveau du cheminement des idées.

Ainsi, l’Europe est maintenant engagée dans une action de correction des déficits. Cela touche même les pays en situation acceptable comme l’Allemagne. Le premier souci du nouveau gouvernement anglais a été la mise en place d’un plan d’austérité budgétaire. Ce jour où nous écrivons, le Premier ministre japonais annonce un plafonnement des dépenses et des émissions de bons du Trésor: «je pense qu’ainsi nous pourrons obtenir la confiance des marchés», explique le gouvernement.

La tendance mondiale à vouloir assainir les budgets souverains se précise. Aux Etats-Unis, elle se renforce.

Alan Greenspan vient de publier dans le Wall Street Journal du 18 juin un texte qui, une fois n’est pas coutume, est clair. Clair et fort. Il abat le mythe sur lequel repose le crédit américain: les Etats-Unis ne peuvent faire défaut car ils sont endettés dans la monnaie qu’ils émettent. En abattant ce mythe, il règle leurs comptes aux keynésiens et aux inflationnistes. Il explique «l’idée que les Etats-Unis disposent encore d’une large capacité d’emprunt est trompeuse» … «les valeurs du Trésor américain ne comportent certes pas de risque de crédit, mais ils ne sont pas à l’abri du risque de taux»… «et les taux peuvent monter brutalement comme ils l’ont fait entre octobre 1979 et février 1980». La hausse, rappelons-le, avait été de 4 points.

La grande porte de la phase II est ouverte. Le train de la correction fiscale est lancé à toute vitesse. Un à un, ceux qui sont restés sur le quai se précipitent pour grimper en marche. Le ralliement des gouvernements renforce, valide le thème de la nécessité de l’austérité fiscale. Il valide les marchés dans leur vigilance et leur exigence. Bientôt, nul ne pourra rester à l’écart tant la concurrence est forte pour les ressources.

Nous en venons à l’idée centrale que nous avons introduite en début de cette chronique. L’austérité fiscale va provoquer ralentissement économique et aggravation du poids relatif des dettes, cela tout le monde le sait.

 Mais ce qui est ignoré, manqué, c’est l’incidence de cette austérité fiscale sur la liquidité globale. Déjà, elle se réduit fortement et la question de refinancement du stock de dettes des entreprises se pose et va se poser avec acuité. Ce n’est qu’un début. Les deux dispositifs de survie, le monétaire et le fiscal, sont inséparables. Le monétaire ne joue que si le fiscal est là pour réduire le risque, bonifier les anticipations et favoriser l’audace, le jeu, le financier. La courroie de transmission du monétaire dans l’économie, c’est le financier et la chaîne monétaire/fiscal/financier ne peut être rompue. Vouloir débrancher la perfusion tout en croyant que la respiration artificielle suffira est une incommensurable erreur. Les deux sont nécessaires.

Le monétaire sans le fiscal débouchera soit sur la spéculation généralisée sur les refuges, soit sur la déflation sanglante. Ou encore sur les deux à la fois.

Il a fallu depuis 2008 des déficits cumulés de 3,2 trillions aux Etats-Unis pour stabiliser l’économie. Dans la période, le GDP n’a réussi à progresser que de 0,7%!

Dans le même temps, il a fallu doubler le bilan de la Réserve fédérale à 2,4 trillions!

De combien faudra t’il multiplier le bilan de la Fed pour obtenir le même résultat si l’austérité fiscale s’impose aux Etats-Unis?

On comprend que certains choisissent de pousser l’or dans ses records. (BBz)

 bruno bertez agefi juin10

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