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RENCONTRE avec l’économiste Nassim Taleb

RENCONTRE avec l’économiste Nassim Taleb

La leçon de Nassim Taleb, le père du Cygne noir. ..

L’auteur du Cygne noir veut croire aux vertus de l’Europe.

Nassim Taleb : « Vous ne vous rendez pas compte, l’Europe est plus riche aujourd’hui qu’elle ne l’a jamais été, et elle va beaucoup mieux que les Etats-Unis! » Nassim Taleb aime les paradoxes. Expert en mathématiques financières, ancien trader, philosophe du hasard et de l’incertitude, l’auteur du best-seller Le Cygne noir (éd. Les Belles Lettres) – 2,2 millions d’exemplaires vendus – raisonne ainsi: « Prenez deux personnes qui ont le cancer. L’une se soigne et les séances de chimiothérapie la fatiguent, l’autre ne fait rien. La première a l’air malade, pas la seconde. » Traduction: les pays européens sont très endettés, mais ils s’attaquent au problème. Les Etats-Unis, eux, ne font rien pour réduire leur dette, une « pure chaîne de Ponzi », sur le modèle de celle qui fit les beaux jours de Madoff avant de le ruiner, ainsi que ses clients. Ce Libano-Américain âgé de 52 ans, aujourd’hui professeur à l’Université de New York, planchait le 27 mars devant des clients de l’agence d’informations financières Bloomberg. Nassim Taleb est écouté comme un gourou par ce public prompt à adorer ceux qui ont fait fortune pendant la crise de 2008.

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Sa théorie du « cygne noir » a presque fait de lui un prophète du XXIe siècle pour les marchés. L’oiseau en question représente un événement ayant une faible probabilité de survenir, mais qui, s’il se produit, a des conséquences d’une portée considérable. En comprenant que les modèles utilisés par les banques et la plupart des intervenants de marché excluaient ces événements, l’homme a fait fortune. A l’époque, il trouvait surtout immoral que des imbéciles puissent gagner de l’argent. Aujourd’hui, il s’en prend violemment aux bonus distribués sans risque de malus quand cela tourne mal. Et plus généralement au « hasard moral », que l’on peut défnir comme la tendance d’individus persuadés qu’ils seront sauvés à prendre des risques excessifs. « C’est l’une des raisons de la crise, qui n’a rien à voir avec un excès de cupidité, qui a toujours existé et existera toujours, explique-t-il. Il ne faut pas sauver les individus ou les entreprises qui ont failli. »

L’exemple de l’éléphant

Ce philosophe à tendance rousseauiste pioche ses exemples dans la nature. « La mort d’un éléphant n’affecte pas tous les autres, alors que celle d’une banque oui, parce la doctrine du « too big to fail » maintient en vie des institutions non adaptées. » Il vante en revanche les mérites des hedge funds, qui vivent et meurent sans que personne ne s’en soucie. . Cet homme très cultivé, qui truffe ses interventions de références aux philosophes antiques et aux textes sacrés, n’est pas à une contradiction près. Lorsqu’on lui demande ce qu’il faut faire des mastodontes bancaires nés de la crise, ce libéral répond: « Il faut nationaliser les banques si c’est nécessaire. » Nassim Taleb vante aussi les mérites de l’euro, qu’il préfère au dollar, mais souhaite à ses auditeurs – dont des traders – que l’on revienne à des monnaies nationales pour qu’ils puissent « s’amuser ».

Son grand sujet du moment, c’est la fragilité croissante de nos systèmes économiques. Elle est d’abord accrue par la technologie. Avoir un smartphone augmente votre efficacité, mais s’il tombe et se casse, vous perdez beaucoup de données. Le Kindle d’Amazon permet d’emporter avec soi des centaines de livres, mais si on renverse son café dessus, il devient inutilisable. La fragilité naît aussi de la mondialisation. « Il y a beaucoup plus de diversité écologique au mètre carré sur une île que sur un continent, exposet-il. La mondialisation, qui diminue la diversité puisqu’elle accroît la spécialisation des pays, augmente le risque de crise. »

La dette, ennemi numéro un

Enfin, il existe trop de grandes structures, trop fragiles. Taleb prend l’exemple de la Société générale. « Lorsqu’elle a dû liquider les énormes positions prises par Jérôme Kerviel, elle a perdu 5 milliards d’euros, explique-t-il. Alors que si on avait eu dix mini-Société générale et dix mini-Kerviel agissant indépendamment, les pertes auraient été négligeables. » Nassim Taleb en est sûr, ces mastodontes finiront par disparaître « comme les grands mammifères ».

Ces disparitions feront sans doute des dégâts, notamment pour les entreprises qui ont grossi en s’endettant. Or la dette est, selon Taleb, l’ennemi public numéro un pour les Etats comme pour les entreprises. « On dit que l’endettement a permis la croissance, mais c’est faux, rappelez-vous que l’on ne prête qu’aux riches », lance-t-il. Pour nous permettre d’éviter que de nouveaux cygnes noirs ne viennent mettre à bas nos fragiles édifices, il n’a qu’une solution: « Transformez vos dettes en actions. » Voilà qui peut sembler un peu court. Mais sans doute Nassim Taleb ne veut-il pas dévoiler les secrets du livre qu’il écrit, et dont le titre de travail est… Anti-Fragility.

Par Irène Inchauspé/Challenges avril12

1 réponse »

  1. Et les injections massives de la BCE, le LTRO….??
    Désolé de contredire Taleb, mais l’Europe pratique le même traitement très dangereux que les Etats-Unis : la morphine, et elle en est devenuie accro…. Elle n’achète pas directement de la dette des Etats mais de la dette des banques, qui en contreepartie achètent des dettes souveraines….

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