Art de la guerre monétaire et économique

L’Allemagne “MerKantiliste” : L’Empire du Milieu de l’Europe

L’Allemagne “MerKantiliste” : L’Empire du Milieu de l’Europe

L’imbrication de plus en plus grande des économies allemande et chinoise crée un nouveau déséquilibre européen. Pékin s’en réjouit. Mais pour l’Europe, il est urgent de développer un partenariat stratégique avec la Chine afin de satisfaire l’Allemagne, met en garde une étude.

Une Europe allemande pour redresser le continent? Certains redoutent ce scénario, d’autres en rêvent. C’est le cas de la Chine, pays qui se découvre de plus en plus d’affinités avec l’Allemagne et qui caresse l’espoir d’un axe Berlin-Pékin pour faire contrepoids à Washington. La complémentarité de leurs économies et les recettes partagées de leur développement axé sur les exportations incitent l’Allemagne et la Chine à renforcer toujours plus leur coopération. Au point que cela devient problématique, estime le Conseil européen des relations étrangères, un centre de recherche dont la dernière étude souligne que «l’émergence d’une relation spéciale entre l’Allemagne et la Chine est à la fois une opportunité et un danger pour l’Europe»*.

Les auteurs constatent la symbiose économique «presque parfaite» entre une Chine qui a besoin de technologies et une Allemagne à la recherche de marchés. Résultat: l’Allemagne est le premier partenaire commercial de la Chine en Europe (près de la moitié des exportations européennes) et la Chine devrait bientôt supplanter les Etats-Unis comme principal débouché des exportations allemandes, après la France.

Ce succès allemand – très envié en France – tient à deux facteurs principaux. D’abord l’approche non idéologique des Allemands envers la Chine «communiste». C’est dans la droite ligne de l’Ostpolitik de Willy Brandt que les sociaux-démocrates alliés des Verts, sous l’ère Schröder, ont développé une stratégie chinoise tous azimuts. Le paradoxe est que, si la diplomatie allemande s’est distinguée par son «réalisme» en matière de droits de l’homme, la presse allemande est, elle, l’une des plus critiques vis-à-vis des atteintes aux libertés en Chine.

Le débat économique suscité par la crise financière de 2008 a par ailleurs mis en lumière les similitudes entre les deux pays dans leur approche de la globalisation. Tous deux enregistrent d’importants surplus de leur balance commerciale grâce à une compétitivité accrue de leur main-d’œuvre et une monnaie sous-évaluée.

Si les Etats-Unis et des Etats européens s’inquiètent de l’austérité budgétaire allemande, la Chine applaudit. Du coup, l’Allemagne a pu être qualifiée de Chine de l’Europe. Si la Chine est la puissance émergente globale, l’Allemagne est la puissance émergente européenne, pense-t-on à Pékin. «Quand ils observent l’Allemagne, les Chinois voient deux évolutions dans le long terme: un pouvoir renforcé de l’Allemagne au sein de l’UE et une dépendance grandissante de l’Allemagne envers la Chine», note les auteurs de l’étude.

Les Chinois se sentent d’autant plus confortés dans leur choix allemand que les institutions de l’Union européenne – et particulièrement sa diplomatie – sont impuissantes. «Si l’on veut faire passer un message à Bruxelles, il faut parler aux Allemands», dit-on à Pékin. Les Chinois souhaitent un redressement de l’Europe par l’affirmation de l’autorité allemande. Une Europe plus forte, donc plus allemande, représenterait un frein à la domination américaine. L’opposition de Berlin à l’intervention en Libye en est un exemple récent. Ce serait en définitive une façon de relativiser le poids de l’Occident en le divisant.

La perception allemande de ce couple est bien entendu beaucoup plus nuancée. Les critiques envers la «naïveté» des dirigeants allemands qui pensent pouvoir changer la Chine par le commerce ne manquent pas. Le risque d’une industrie chinoise tuant ses concurrents allemands en se réappropriant leur technologie est déjà réel, comme l’a montré le solaire. Surtout, dixit un officiel allemand: «A la fin, nous sommes 80 millions et l’on rapetisse.» Or, les Chinois sont 1,35 milliard et n’ont pas fini de croître.

Le seul équilibre possible passe par l’UE. Mais pour convaincre les Allemands de rester de bons Européens en ce domaine, il devient urgent de développer un «partenariat stratégique» entre l’UE et la Chine, conclut l’étude. L’agressivité des nouveaux leaders français envers Pékin ne présage rien de tel dans l’immédiat.
* «China and Germany: why the emerging special relationship matters for Europe», Hans Kundnani and Jonas Parello-Plesner.

Par Frédéric Koller/le temps mai12

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