Un nouveau Guignol’s Band à la tête du Titanic européen Par Eric Verhaeghe
On n’en finit pas d’alarmer sur l’approche des icebergs autour du Titanic européen, mais le nouveau Guignol’s Band qui prend la tête de la Commission continue la route ouverte par l’équipe précedente toutes voiles dehors.
Du Guignol’s Band Barroso au Guignol’s Band Juncker
Et voilà! mercredi 22 octobre, la commission Juncker a réussi son investiture au terme d’un parcours du combattant, et José Manuel Barroso faisait ses adieux au Parlement, après 10 ans d’échecs inlassables et devant un hémicycle quasi-vide: 170 députés sur 751 étaient venus assister à cette oraison funèbre digne du parti communiste de l’Union Soviétique. Barroso est notamment parvenu à ne pas prononcer une seule fois le mot « citoyen » dans son discours, qui a par ailleurs fait l’impasse sur les dégâts sociaux des politiques qu’il a méticuleusement menées. Pour celui qui fut le candidat des Britanniques, la boucle est donc bouclée.
Face à cette bonne tranche de rire, Juncker a tenté de faire bonne figure :
Le Luxembourgeois a pourtant tout fait pour susciter une adhésion. Humour pince-sans-rire, élan lyrique quand il a invoqué « une Commission de la dernière chance» et position assumée d’un exécutif européen qui sera « plus politique » et veillera à ce que l’Europe obtienne un « AAA social » : Jean-Claude Juncker s’est nettement démarqué dans son discours de politique générale de son prédécesseur, José Manuel Barroso.
L’exercice semble avoir laissé sceptique, puisque 67 députés de sa prétendue majorité se sont abstenus lors du vote. Il n’aura finalement récolté que 60% de votes favorables, alors que Barroso en son temps avait atteint 66%… Les défections sont venues du camp social-démocrate. Un excellent début, donc.
La farce commence très fort
Dès son discours d’investiture, Jean-Claude Juncker a renvoyé l’ascenseur à celle qui l’a assis sur son siège: Maman Merkel. Evoquant le traité transatlantique, il a annoncé qu’il ferait ce que l’Allemagne demande:
« L’accord que ma Commission soumettra en dernière instance à l’approbation de cette chambre ne prévoira rien qui limiterait l’accès des parties aux juridictions nationales ou qui permettrait à des juridictions secrètes d’avoir le dernier mot dans des différends opposant investisseurs et États ».
Il semblerait que le vice-président de la Commission, l’atlantiste (et social-démocrate) néerlandais Frans Timmermans, soit chargé de mettre en place cette décision tout à fait conforme aux revendications allemandes. On ne se plaindra pas forcément de cette hâte sur un sujet sensible, mais Juncker donne déjà la pleine mesure de sa subordination à sa bienfaitrice teutonne.
L’Italie montre les dents à la commission Juncker
Avant même d’avoir reçu son investiture, la Commission avait (illégalement) commencé à travailler, alors que son mandat n’entre en vigueur que le 1er novembre. C’est donc le nouveau commissaire à la rigueur budgétaire Jyrki Katainen, dont j’ai déjà rappelé quelques faits d’armes, qui a signé les courriers comminatoires aux mauvais élèves de l’Union sur leur déficit budgétaire (l’Italie et la France, mais aussi l’Autriche, la Slovénie et Malte, sans compter la Grèce qui est sous quasi-tutelle de la troïka et n’a donc plus besoin de courrier).
L’affaire de ces lettres a occupé la fin de semaine, puisque le Premier Ministre italien l’a immédiatement publiée, en montrant les dents, alors que François Hollande la jugeait tellement banale qu’il ne voyait pas l’intérêt de la rendre publique. Il faut dire que les deux pays ne sont pas exactement dans la même situation. L’Italie est bel et bien parvenue à mettre son déficit public sous la barre des 3% pour 2015, alors que la France, qui avait pris le même engagement, s’offre le luxe de rester à 4,4% (0,1 point de moins que l’année précédente), tout en ayant placé son ex-ministre des Finances au poste de commissaire aux Affaires économiques.
Cette petite différence rend évidemment beaucoup plus difficile pour la France la réponse tonitruante de l’Italie (qui exerce la présidence de l’Union en ce moment, rappelons-le…):
Le chef du gouvernement italien Matteo Renzi a annoncé jeudi son intention de mettre sur la place publique le coût des institutions européennes, après avoir été sommé par la Commission européenne de revoir son projet de budget pour 2015.
« Nous allons publier les données sur tout ce qui est dépensé par ces palais. On va bien s’amuser, a-t-il lancé en marge du sommet des dirigeants de l’UE à Bruxelles. »
La communication cataclysmique de Hollande
Le dossier du déficit budgétaire aura donné une nouvelle preuve de l’incompétence profonde de François Hollande (et de son gouvernement) en matière de communication politique. Rappelons en effet que, la semaine dernière, Emmanuel Macron avait assuré que la France ne recevrait aucune remontrance de Bruxelles:
« Je suis totalement sûr à ce stade qu’il n’y aura pas d’avis négatif de la Commission parce que nous ne nous mettons pas dans cette situation », a déclaré le ministre de l’EconomieEmmanuel Macron, invité du « Grand Jury RTL-LCI-Le Figaro ».
Bon, ben maintenant, quand Macron dira: « Je suis totalement sûr de… », on saura à quoi s’en tenir! Une fois la lettre envoyée, alors que Renzi la publiait, Hollande s’ingéniait à la banaliser et à vouloir la dissimuler. Mais comment cet animal politique peut-il encore imaginer qu’un argument du type: « c’est tellement anodin que je ne veux pas vous le montrer » ait une quelconque chance de convaincre?
Immédiatement, des députés de la majorité demandaient à voir le document en affirmant, une larme de crocodile à l’oeil:
« Le budget de la France relève de sa pleine souveraineté et aucune mesure visant à réduire notre déficit structurel [corrigé de l’impact de la conjoncture] et qui aurait comme conséquence d’empêcher la nécessaire lutte contre la déflation ne peut nous être imposée », ont jugé dans un communiqué Karine Berger, secrétaire nationale du PS à l’Économie, Yann Galut, Valérie Rabault, Alexis Bachelay et Colette Capdevielle.
Tôt ou tard, on reprendra les propos sur l’Europe tenus en leur temps par quelques-uns de ces députés, et on rappellera comment, il y a quelques années, ils appelaient à « plus d’Europe budgétaire ». Quels farceurs, ces frondeurs!
Résultat des courses, c’est Mediapart qui a publié le texte, évitant à François Hollande une peine inutile, et lui signifiant du même coup qu’il était bien naïf de croire qu’il pourrait esquiver cette demande.
La France entre dans un long cycle d’humiliations
Jyrki Katainen qui, rappelons-le, entre en fonction le 1er novembre, a demandé à la France d’indiquer quelles mesures elle comptait prendre pour respecter ses engagements avant le 24 octobre:
J’attends donc de connaître votre position dès que vous le pourrez, et si possible d’ici le 24 octobre. Cela permettrait à la commission de prendre en compte les positions françaises, dans la suite de la procédure.
Cet amical ultimatum conclut avec le sourire une semaine commencée triomphalement par Macron et Sapin à Berlin, où les deux Dupont de l’économie française sont allés faire une indigestion de Merkelwürst. Ce que la France présentait comme la préparation d’un pacte secret destiné à lui éviter une sanction bruxelloise a très vite tourné au fiasco. A Berlin, Macron a officiellement plaidé pour un échange « gagnant-gagnant » de 50 milliards d’économies en France et 50 milliards d’investissements publics en Allemagne, qui s’est heurté à une fin de non-recevoir au nom du « Schwarze Null« .
En revanche, il est à peu près clair que l’Allemagne profite de cette situation pour dicter à la France les mesures que le Gauleiter Valls doit exécuter sans barguigner, et si possible avec moins de scrupules que von Choltitz en 1944.
Cette mise en orbite de la France dans le Lebensraum de la collaboration avec l’Allemagne garantit-il nos intérêts nationaux? François Hollande le croit peut-être, mais peu d’analystes partagent son avis, en tout cas à Wall Street où un contrat a été placé sur la tête de la République:
« La Grèce a bu la potion amère, elle a restructuré ses obligations et son économie. Elle a cessé de vivre au-dessus de ses moyens. La France, elle, semble trop fière pour se réformer »
Cette déclaration de David Einhorn, PDG du hedge fund Greenlight Capital, en dit long sur les turbulences auxquelles la France s’expose.
François Hollande et le sado-masochisme
En attendant, François Hollande continue à se ridiculiser en organisant des sommets de chefs d’Etat sociaux-démocrates pour préparer les sommets européens, où n’ont plus le temps de venir ceux qui comptent (l’Allemagne et l’Italie). Cette pratique probablement héritée de ses années passées au Parti Socialiste (à moins qu’il n’ait mis en place cette réunionnite au Conseil Général de Corrèze), lui permet de s’agiter avec des revendications à trois balles d’ordinaire balayées par Maman Angela.
Par exemple, il a cette fois-ci demandé:
le président a indiqué que les dirigeants réunis jeudi à l’Elysée et lui-même souhaitaient l’application « avec le plus de flexibilité possible » du pacte de stabilité, selon la « règle » qu’ils se sont eux-mêmes fixée.
La France, pour sa part, a déjà repoussé à 2017 le retour de son déficit public sous la barre de 3% du produit intérieur brut prévue par le pacte.
François Hollande a également appelé à une « coordination des politiques économiques » accrue. « Il y a des pays qui doivent accélérer, amplifier leurs réformes structurelles parce qu’elles n’ont pas été menées en temps utile », a-t-il relevé, prenant l’exemple de son propre pays.
« Mais il y a d’autres pays qui, ayant fait ces réformes il y a plusieurs années doivent dès lors qu’ils ont des situations meilleures, encourager la reprise de l’investissement », a-t-il enchaîné, citant cette fois l’Allemagne.
Mais pourquoi François Hollande aime-t-il tant lancé des idées qui n’ont aucune chance d’aboutir? Un plaisir sado-masochiste sans doute… A moins qu’il ne soit déjà parti dans ses rêves et ne parvienne plus à voir la réalité.
La Grèce et la Grande-Bretagne font leur crise d’adolescence
Si on souhaite bon courage à Jean-Claude Juncker pour gérer le cas François Hollande, d’autres petits soucis avec des Etats membres s’annoncent.
Au premier rang, on mettra quand même David Cameron qui a décidé d’organiser un referendum sur la sortie de la Grande-Bretagne hors de l’Union, et qui, dans la perspective de ce « Brexit » veut renégocier les termes de la relation britannique avec l’Europe. Dans l’immédiat, Cameron fait de la résistance… à la petite note de 2 milliards et quelques que la Commission Européenne lui présente pour boucler son budget 2015. Cette demande inattendue a donné lieu à quelques jolies passes d’armes:
«Je ne paierai pas cette addition le 1er décembre. Et si certains pensent que cela va arriver, ils vont voir», a lancé Cameron lors d’une conférence de presse, après la demande de Bruxelles d’une rallonge de dernière minute au budget 2014 de l’UE. «Nous n’allons pas sortir notre chéquier», a fulminé le Britannique.
Ce serait dommage puisque, miraculeusement, la France devrait pour sa part épargner 1 milliard€, et l’Allemagne 780 millions€.
Du côté grec, la demande est un peu différente: le gouvernement Samaras continue à penser que si la Troïka le maintient sous tutelle, il perdra les élections. Samaras voudrait donc retrouver sa liberté et mettre un terme au « plan d’aide » de l’Union. Quelle bonne idée pour les marchés, qui craignent tous cette issue où la Grèce reprendra ses vieilles habitudes de déficit…
Panique boursière et sueurs froides à la BCE
Ces fameux marchés sortent d’une quinzaine éreintante où le gouffre s’est ouvert sous leurs pieds, calmé par les sirènes de la BCE qui ont annoncé une intervention d’urgence. Le problème est que la BCE, qui a réduit son bilan depuis 2012 et souhaite le regonfler à hauteur de 3.000 milliards€ contre 2.000 milliards€ actuellement ne trouve guère d’actifs à acquérir à cette hauteur.
Les marchés sont pourtant à l’affût de cette intervention miraculeuse qui reviendrait à injecter 1.000 milliards€ d’argent frais dans l’économie (quand Juncker déploie un plan de relance de 300 milliards…). La politique initiée cette semaine de rachat d’actifs sécurisés n’a eu que peu d’effets sur les marchés, et il est maintenant question que la BCE fasse directement ses emplettes sur le marché obligataire des entreprises pour soutenir le crédit.
Petit problème, cette intervention directe va définitivement transformer la BCE en bad bank, en incluant dans son bilan des actifs de plus en plus risqués. Pour Mario Draghi, la situation est donc de plus en plus complexe à gérer, avec des outils trop légers pour relancer l’économie, et des risques trop grands à prendre pour améliorer son arsenal. Le banquier central européen en est donc réduit à lancer d’innombrables appels à l’aide à l’Allemagne:
« En 2011-12, nous avons évité l’effondrement de la zone euro grâce à un effort commun. Nous devrions à nouveau nous atteler à agir en commun pour éviter une rechute en récession », a observé le président de la BCE.
Pour ce faire, il faudrait évidemment que l’Allemagne investisse, etc. Bref, l’Union tourne en rond et se heurte à la résistance farouche des Walkyrie.
Les banques ont encore fait plier le pouvoir politique
Dans cet état d’extrême tension, la publication des « stress tests » bancaires tombe au plus mal et devient un exercice hautement politique, là où le nouveau régulateur bancaire européen avait annoncé que jamais cela ne se produirait. De fait, si des résultats trop négatifs devaient être publiés, il est évident que l’angoisse s’emparerait des marchés et que, dans la minute, la crise systémique tant redoutée éclaterait. La BCE est condamnée à limiter les dégâts et à intervenir de façon indirecte sur les marchés en rassurant de façon fallacieuse sur l’état de santé de notre système bancaire.
La rumeur a donc circulé cette semaine, selon laquelle 25 des 130 banques européennes testées auraient échoué au test, dont aucune en Allemagne et en France! 10 d’entre elles seulement devraient procéder à une augmentation de capital. Pour les marchés, cette nouvelle est rassurante, mais il n’est absolument pas sûr qu’elle convainque du sérieux de ces tests eux-mêmes.
En attendant, Christian Noyer a pu jubiler en se déclarant très serein pour les banques françaises.
L’Union va payer pour l’Ukraine
Toute cette agitation politico-financière dissimule à l’opinion publique la défaite diplomatique subie par l’Europe sur le front ukrainien. La Russie a en effet formulé une dernière offre sur la dette gazière de l’Ukraine, avec un rabais de 100 dollars pour 1.000 mètres cubes. Après un dernier roulement des mécaniques, Barroso a donc dû ravaler son chapeau etsortir son chéquier pour aider l’Ukraine à payer sa dette (et 800 millions€ partis en fumée). Jusqu’au bout le Guignol’s Band sortant aura fait sonner les cuivres.
BY ÉRIC VERHAEGHE · 26 OCTOBRE 2014
http://www.eric-verhaeghe.fr/nouveau-guignols-band-tete-du-titanic-europeen/
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