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France : Les formules colbertistes ne créeront pas d’emplois

La stratégie de Renault ces dix dernières années, je ne l’accepte pas !” Les commentaires de Nicolas Sarkozy sur le possible transfert de la production de la Clio de l’usine de Flins (Yvelines) vers la Turquie ont pris de curieux accents colbertistes à la veille des élections régionales. Mais on peut s’interroger sur l’efficacité économique de ce volontarisme de circonstance…..

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Renault a toujours été une cible de choix pour le pouvoir politique. Le temps de la Régie n’est pas si loin, celui de la vitrine sociale qui servait de laboratoire afin de pousser les avancées sociales. Puis l’entreprise a ouvert son capital en 1994, avant d’être privatisée en 1996. Louis Schweitzer, PDG de Renault à l’époque, croyait que le constructeur allait enfin devenir une “entreprise comme les autres”. La fermeture de l’usine belge de Vilvorde, en 1997, le ramena vite à la réalité. Le tollé suscité à gauche comme à droite montrait bien que les mythes ont la vie dure.

Renault a surmonté la vindicte, s’est réorganisé, a engrangé les bénéfices pour racheter, en 1999, le japonais Nissan. Aussi, lorsque M. Sarkozy exprime son désaccord avec la stratégie menée par le constructeur “ces dix dernières années”, il a la mémoire courte. Cette alliance a permis à l’Etat d’engranger des centaines de millions d’euros de dividendes. Qu’importe ! Renault reste un symbole national bien pratique en période électorale.

M. Sarkozy demande aujourd’hui que ” les deux tiers des sous-traitants de Renault soient français”. Il se trouve que plus de 60 % des achats des usines françaises de Renault sont réalisés auprès de fournisseurs implantés en France. Certains sont étrangers, mais la main-d’oeuvre reste française. Faut-il décourager les investissements étrangers pour laisser place à des équipementiers français à 100 % ? Cela n’est guère réaliste. Si les équipementiers tricolores n’ont pas remporté les appels d’offres, c’est parce qu’ils n’étaient pas assez compétitifs.

Le plus étonnant est que M. Sarkozy affirme intervenir non comme “président de la République mais en tant qu’actionnaire”. Mais est-il dans l’intérêt d’un actionnaire de remettre en cause l’une des obligations fondamentales des dirigeants en matière de gouvernance : augmenter la valeur actionnariale de l’entreprise ? Sous le prétexte de redynamiser le tissu industriel français, ne risque-t-il pas de pénaliser la compétitivité de l’entreprise ?

M. Sarkozy s’est également emporté sur la faiblesse de la part de salariés de Renault basés en France, citant en exemple PSA, dont les deux tiers travaillent en France. En fait le chiffre est de 55 %, contre 46 % chez Renault. Le reproche est baroque : si le groupe emploie autant de salariés à l’étranger, c’est parce que Renault a racheté le roumain Dacia, puis le coréen Samsung. A l’époque, les représentants de l’Etat n’ont pas critiqué ces acquisitions, qui ont permis à Renault de devenir plus international. Sans ces deux marques étrangères, la part des Français passe à 56 %, soit une proportion équivalente à celle que connaît Volkswagen en Allemagne.

Le psychodrame médiatico-industriel a atteint des sommets lorsque Christian Estrosi, le ministre de l’industrie, a voulu faire remonter l’Etat au capital de Renault au-delà des 15 % actuels. La puissance publique n’a-t-elle pas mieux à faire que de dépenser des centaines de millions d’euros pour quelques actions qui ne changeraient pas radicalement la donne ?

Et comme il fallait traduire le verbe par l’action, M. Sarkozy a convoqué Carlos Ghosn à l’Elysée. Comme on pouvait s’y attendre, la montagne a accouché d’une souris. Il n’y eut ni recadrage côté élyséen, ni renversement de stratégie côté Renault. M. Ghosn a réexpliqué qu’il était urgent d’attendre 2013 et la commercialisation de la nouvelle Clio pour savoir quelle proportion partirait en Turquie.

Tout cela contrevient-il aux engagements pris par Renault lorsque l’Etat est venu à son secours en pleine crise ? Pas le moins du monde : le constructeur avait promis qu’il n’y aurait aucune fermeture d’usine en France en échange d’un prêt de 3 milliards d’euros. Les pouvoirs publics savaient qu’ils ne pouvaient demander davantage. La Commission européenne avait en effet interdit que les aides publiques soient conditionnées à une localisation spécifique des investissements.

Très interventionniste chez Renault, le pouvoir politique est plus pragmatique dans d’autres dossiers. Interrogé sur la responsabilité de l’Etat à propos de l’échec de la filière nucléaire française à Abou Dhabi, Claude Guéant, le plus proche conseiller de M. Sarkozy, a déclaré : “L’Etat n’a pas pour vocation d’être industriel ni commerçant.” Ce colbertisme à deux vitesses donne l’impression qu’on est plus en présence de gesticulations politiques que d’une véritable théorie économique.

Ces effets de manches confortent l’image passéiste de la France. “Renault, c’est moi”, jubilait récemment le Wall Street Journal, paraphrasant le mot qu’aurait prononcé Louis XIV en 1655 : “L’Etat c’est moi”. En jouant sur ce registre pour des raisons électorales, le gouvernement conforte les clichés sur la France sans régler les problèmes de compétitivité du pays. C’est là que se situe la clé de la création d’emplois, pas dans les formules d’un autre âge.

 par Stéphane Lauer  LE MONDE | 03.02.10 |

EN COMPLEMENT INDISPENSABLE : Michael J. Boskin : La politique industrielle renait de ses cendres…very bad news !!!! (cliquez sur le lien)

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