Les Etats sont à la merci des marchés. Tant mieux
Les marchés ne soutiendront pas des politiques budgétaires laxistes. Ce qui permettra aux finances d’être redressées.
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Ed Yardeni s’interdit tout pessimisme quand il s’agit de perspectives économiques. L’économiste américain préfère éviter d’émettre des prophéties auto-réalisatrices.
Cela ne signifie pas que la situation est idéale, notamment en ce qui concerne la dette publique.
Recommandations du fondateur de Yardeni Research, de passage à Genève, à l’occasion du CFA Forecast Dinner.
Vous avez mentionné dans un de vos articles récents que «nous sommes tous des Autrichiens», qu’est-ce que cela signifie?
L’étendue des dettes publiques dans les pays occidentaux nourrit l’inquiétude générale. Il est légitime de se demander si la croissance sera suffisante pour éviter un cercle vicieux: la dette freine la croissance, devenant du coup difficile à financer. D’où une fin terrible. C’est la vision de l’école des économistes autrichiens, qui tiennent davantage compte de l’importance de la dette dans le cycle que les keynésiens et les monétaristes.
Une thèse qui s’est propagée à beaucoup d’investisseurs.
La situation en Grèce et les inquiétudes qu’elle suscite, notamment sur sa capacité à réellement mettre en place son plan d’austérité, l’illustrent bien.
Le plan grec, justement, n’apparaît-il pas comme irréaliste avec des objectifs aussi élevés que de réduire le déficit de 12,7% à 3% d’ici 2012?
La question n’est pas tant de savoir quel plan d’austérité les Grecs sont prêts à accepter, mais plutôt ce que le marché peut tolérer. Des troubles sociaux pourraient suivre, mais ce n’est pas le gouvernement qui impose un plan, ce sont les marchés des capitaux qui le lui dictent. Le dilemme est là. Les politiciens ne voudraient jamais imposer de telles mesures, mais nous sommes tous de plus en plus à la merci des marchés. Cela a du sens, parce que nous ne pouvons pas continuer à emprunter sans limite.
Le cas de la Grèce n’est pas une aberration ou un cas exceptionnel, c’est seulement le symptôme des emprunts «fuite en avant» des Etats. Le ralentissement de la croissance met en lumière les déséquilibres fiscaux puisque les rentrées sont beaucoup moins importantes.
Il n’est pas réaliste d’imaginer que les marchés financiers acceptent de prêter sans condition. Mais ce phénomène n’a de nouveau que son caractère occidental. Des crises de dettes se sont déjà produites dans les pays émergents.
Que peuvent faire l’UE et la BCE pour soutenir la Grèce?
Pas grand-chose en réalité. Je ne suis pas eurosceptique, l’euro survivra. Mais avoir une union monétaire sans une union fiscale pose sans conteste de nombreux problèmes. Ni la BCE, ni l’UE ne disposent de mécanisme permettant de fournir des prêts à la Grèce.
Avant l’euro, un pays en difficulté aurait dévalué sa monnaie, ce qui aurait également affectés les salariés. Partager les difficultés apparaissait peut-être plus moral, alors que le plan d’austérité s’attaque surtout à certains groupes, comme les employés de la fonction publique ou les bénéficiaires de subventions. Reste que, même s’il existait, il ne serait même pas forcément sage d’utiliser ce mécanisme pour aider la Grèce dans la mesure où le problème se trouve dans des dépenses publiques trop importantes.
Cette crise pourrait-elle convaincre l’Europe de s’accorder sur une union fiscale?
C’est le premier test pour l’eurozone. Il est donc important qu’elle le passe. Des mesures en découleront et une plus grande harmonisation fiscale est nécessaire. Selon le traité de Maastricht, les déficits ne devraient pas dépasser 3% du PIB, mais la récession a donné une excuse pour les dépasser. Le problème c’est justement qu’ils ne sont pas cycliques, mais structurels.
Comment voyez-vous l’avenir de l’euro? La monnaie unique sera-t-elle à nouveau en mesure de défier la suprématie du dollar?
Il y a six mois, dans un sondage auprès de n’importe quel acteur du marché sur les devises, le consensus universel se serait accordé pour dire que le dollar serait le premier à s’effondrer. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. On imagine plus facilement la chute de la livre, du yen ou de l’euro.
Les Etats-Unis ont un marché des capitaux extrêmement ouvert et liquide et ne s’intéressent que peu à la valeur du dollar. Nous avons toujours eu cette négligence bénigne et personne en réalité n’est responsable du niveau du billet vert: la Fed n’a pas de prérogative et ne prend aucune responsabilité à ce sujet; le Trésor semble essayer d’avoir une influence purement rhétorique. Personne n’intervient si ce n’est pour dire qu’un dollar fort est dans l’intérêt des Etats- Unis.
Comment voyez-vous la reprise?
La reprise sera soutenable mais lente. L’immobilier reste le point faible. Dans le passé, lorsque nous avions une reprise en forme de V, les ventes automobiles et l’immobilier suivaient la même tendance. Ce n’est pas le cas aujourd’hui et la disponibilité du crédit sera à cet égard très importante pour la reprise. Pour l’instant, les conditions de crédit restent strictes. Je ne dirais pas qu’il n’y a aucun risque de double dip. Les inquiétudes des pessimistes, comme Nouriel Roubini, sont légitimes. Il faut cependant éviter que les théories pessimistes ne se transforment pas en prophéties auto-réalisatrices.
Les difficultés de la périphérie de l’Europe demeurent insuffisantes pour déclencher une nouvelle crise. Mais si les marchés s’en convainquent, cela peut provoquer un nouveau désordre.
Comment jugez-vous la politique de Barack Obama?
Obama a voulu trop en faire. Il est devenu trop radical, trop à gauche. Il a payé le prix de ce revirement lors des élections du Massachussetts. Son plan de régulation des banques ne passera probablement pas. Ironie du sort: lorsque Bush était président, on l’accusait d’être un cowboy et de conduire la politique sans en discuter avec nos alliés. En ce moment, c’est ce que fait Obama avec la régulation des banques. Jean-Claude Trichet et d’autres sont déjà intervenus pour rappeler que ce sujet doit être abordé de manière globale. Je ne suis pas persuadé que les banques portent la responsabilité de la crise comme l’affirme le président. A mon avis, le problème se situe dans le financement de l’immobilier où le gouvernement était complice à travers Fannie Mae et Freddie Mac.
Quelle est selon vous la plus importante leçon de la crise?
Elle se trouve à l’opposé de la vision du consensus qui décrit une crise provoquée par des banquiers hors de contrôle.
Wall Street mérite des blâmes certes, mais, à mon avis, il s’agit surtout d’une corruption répandue à une échelle invraisemblable.
Les emprunteurs ont menti sur leur situation lorsqu’ils ont demandé des prêts;
les banques hypothécaires qui ont accepté ces prêts ont participé à la fraude;
les agences de rating ont fourni des notes ridiculement élevées sur les produits.
C’est une sorte de mystère à la Agatha Christie: le meurtre a été commis par tous les suspects. Nous avons besoin d’une meilleure régulation des banques et celles dont l’Etat garantit un grand nombre d’actifs doivent voir leur prise de risque limitée.
La régulation doit servir à ce que Wall Street revienne au modèle de partenariat, car la prise de risque doit revenir à ceux qui sont engagés comme associés. Les ennuis ont commencé lorsque les établissements se sont éloignés de ce modèle et sont devenus des corporations publiques.
source agefi fev10
“La régulation doit servir à ce que Wall Street revienne au modèle de partenariat, car la prise de risque doit revenir à ceux qui sont engagés comme associés”
Si l’on excepte l’interdiction de l’intérêt, c’est exactement le principe de base de la finance islamique.
Par ailleurs, site très intéressant !