Cela vous permet d’avoir l’oreille des politiques, et de tripler en moyenne le montant de vos indemnités de licenciement: un livre tire des leçons très immorales d’un phénomène très français
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Les noms de Molex, Caterpillar ou Continental résonnent encore aux oreilles françaises. Au printemps 2009, des patrons ont été faits prisonniers dans ces entreprises en bout de course, de quelques minutes à quelques dizaines d’heures, bloqués dans leur bureau, ou dans une salle de réunion, sans pouvoir manger, voire téléphoner pour certains, avec des gardes à la sortie, à qui il fallait demander l’autorisation de se rendre aux toilettes. L’humiliation suprême, mais aussi l’arme suprême de salariés jouant leur va-tout, même pas pour conserver leur emploi, irréaliste, mais pour partir avec plus d’argent, plus dignement.
Ce blocage absolu du dialogue social a concerné moins de 20 entreprises en 2009 en France, alors que plus de 1600 plans sociaux ont été annoncés. Mais le phénomène spectaculaire a occupé une forte place dans les médias, et pas seulement français, la presse anglaise inventant même pour l’occasion le terme de bossnapping.
Un an après, deux journalistes du quotidien conservateur Le Figaro ont décidé de revenir sur les lieux du crime, en rencontrant tous les protagonistes de ces drames – des syndicalistes aux conseillers en ressources humaines en passant par des policiers d’élite reconvertis et les cadres dirigeants eux-mêmes, bien sûr.
Les conclusions de ce Management de la colère ne sont pas forcément politiquement très correctes: «Séquestrer est illégal, mais rentable à court terme», selon Jean-Yves Guérin. «Les politiques s’intéressent à vous, les forces de l’ordre n’interviendront pas, vos supérieurs auront consigne de rechercher l’apaisement et si vous parvenez à hisser votre combat au journal télévisé du soir – la partie est gagnée.»
Le livre cite le cabinet de consultants en ressources humaines BPI: «Les entreprises détestent qu’on fasse du bruit autour de leurs marques.» Et rappelle que les séquestrations coûtent cher aux entreprises: dans plusieurs des cas cités, les indemnités supplémentaires de licenciement sont 3 à 4 fois supérieures à ce qui était prévu, là où il y a eu recours à la force. Ainsi les ouvriers de l’usine de pneumatiques Continental ont-ils finalement empoché 50 000 euros d’indemnités supra-légales, au lieu des 17 000 envisagés initialement par la direction.
Séquestrer est donc «rentable» à court terme; mais, «évidemment, à moyen terme, le calcul s’inverse: les relations dans une entreprise sont durablement détériorées lorsqu’il y a eu séquestration, entre la direction et les salariés et aussi parmi les salariés, entre ceux qui étaient pour, et les autres». Pour ne rien dire de la réputation de durs hors-la-loi que les employés vont conserver pour longtemps, et qui peut plomber les meilleurs curriculum vitae.
Le livre évoque des situations très françaises, avec une profusion de détails qui peut rebuter. Mais les auteurs réussissent à dégager de leur enquête l’archétype de la situation prête à dégénérer, dont l’intérêt est plus universel. Il n’y a pas de séquestration dans les petites et moyennes entreprises (PME) où le pouvoir reste incarné par un patron connu et reconnu, notent-ils.
Au contraire, on constate que les prises d’otages surviennent dans les filiales de sociétés étrangères, où les vrais détenteurs du pouvoir sont absents, inconnus et éloignés. «Les managers locaux n’ont pas le pouvoir de négocier et c’est insupportable pour des salariés qui veulent au minimum voir «en vrai» les vrais décideurs», rappelle Jean-Yves Guérin. C’est un lien direct avec leur plus haute hiérarchie que réclamaient les employés de Continental. C’est d’ailleurs le PDG lui-même, Karl Thomas Neumann, qui après des mois de conflit a fini par donner son feu vert à 3 heures du matin. Les dernières séquestrations en France répondent à ces critères aussi, concernant ces jours une filiale de Siemens dans la Loire, à Saint-Chamond, et une usine du groupe américain Sullair Corporation à Montbrison, dans le même département.
Enfin, on retiendra aussi de cette plongée dans le désert social français le rôle ambigu des politiques, qui pratiquent le «Faites ce que je dis, pas ce que je fais», selon Jean-Yves Guérin. Ils ne peuvent rester sourds à des manifestations même extrêmes de salariés, dont les sondages montrent qu’elles sont généralement accueillies avec compréhension par les Français qui, encore plus en période de fort chômage, dénoncent les entreprises florissantes qui ferment des filiales. Les élus eux-mêmes sont directement concernés si c’est dans leur circonscription qu’une firme ferme.
Mais les représentants de l’Etat sont aussi sollicités par les entreprises pour faire respecter l’ordre et la loi, ce qui les oblige parfois à jouer les équilibristes. Signe que la société tout entière est mal à l’aise avec les séquestrations, les ouvriers de Continental n’ont écopé que d’une amende symbolique (4000 euros) pour le saccage de la préfecture de Compiègne, symbole de l’Etat par excellence, rappellent Jean-Yves Guérin et Christine Ducros.
On retiendra encore de ce Management de la colère l’ébahissement d’un cadre étranger devant le refus d’intervenir des forces de l’ordre pour mettre fin
à une séquestration, tout illégale qu’elle était, et le témoignage d’un patron sur les séquelles psychologiques supportées pendant encore des semaines par sa famille. Signe que les situations sont encore très volatiles, cet homme qui avait témoigné à visage découvert a finalement rappelé les auteurs quelques semaines plus tard pour leur demander l’anonymat…
Par Catherine Frammery le temps mars10
Le Management de la colère
Christine Ducros
et Jean-Yves Guérin
Editions Max Milo, Paris, 2010,
255 pages
e management de la colère |
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