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Jean Pierre Petit : Zone Euro /Les failles béantes de la gouvernance

Jean Pierre Petit : Zone Euro /Les failles béantes de la gouvernance

LES REVIREMENTS ET TERGIVERSATIONS DE TROP NOMBREUX ACTEURS ONT ABOUTI À UN DISPOSITIF EXTRÊMEMENT COÛTEUX.

Jean-Pierre Petit  Les multiples ratés des interventions européennes dans la crise grecque depuis 5 mois sont consternants.

On ne répétera jamais assez que la qualité de la gouvernance politique constitue un critère décisif face à une crise financière.

PLUS DE PETIT EN SUIVANT :

Plus on attend, plus cela coûte cher aux politiques publiques et il vaut mieux en faire trop que pas assez. Le problème est que le temps des marchés n’est pas celui des politiques

Le choc Lehman n’a pas été constitué par la faillite elle-même de Lehman Brothers, mais par la confusion, l’incertitude et le sentiment d’autorités fébriles et en retard quasi-permanent sur les évènements.

Ce n’est qu’avec le deuxième plan Geithner et la véritable reprise en main de la crise par les autorités que la confiance est revenue sur les marchés.

Or, les multiples lacunes de la gouvernance européenne dans la crise grecque depuis 5 mois sont aujourd’hui consternantes. Non contents de gâcher un temps précieux, les revirements et tergiversations de trop nombreux acteurs (Présidence, Présidence tournante, Eurogroupe, BCE, Commission) ont abouti à un dispositif finalement plus coûteux pour le contribuable européen et les citoyen grecs, une confiance durablement ébranlée sur le continent, à un choc sur les marchés financiers mondiaux, à la mise en place de politiques budgétaires prématurément restrictives dans les différents pays (alors que le crédit bancaire privé baisse) … tout en réussissant «l’exploit» de susciter une opposition à l’aide à la fois de l’opinion publique allemande et de l’opinion publique grecque.

Le problème est que le risque de contagion est maximal en Europe.

Pourquoi?

D’abord il y a peu de références historiques pour «pricer» le risque de défaut souverain au sein d’une union monétaire (sous réserve des exemples -peu représentatifs- des muni-bonds ou provinces canadiennes) et au sein des pays riches.

De plus, il n’y a pas’ajustement possible du taux de change entre les pays. Il est donc facile pour un investisseur d’arbitrer entre les dettes publiques des différents pays membres de la zone. Sur le fond, la contagion est aussi plus naturelle du fait de l’intégration commerciale et financière de la zone euro (en particulier les engagements bancaires), ainsi que des similitudes structurelles entre pays (faible compétitivité, déficits jumeaux, faible crédibilité budgétaire, …) sans oublier le mimétisme psychologique et structurel (normes prudentielles qui empêchent certains investisseurs de détenir des titres mal notés)

Certes, les marchés ne pricent pas pour le moment de risques de défauts généralisés en Europe et les tensions se concentrent sur quelques pays (Grèce, Portugal, Espagne).

Mais les marchés actions vont d’ores et déjà plus loin et intègrent un problème systémique potentiel du fait notamment des engagements bancaires en Europe du Sud, avec les conséquences additionnelles qui peuvent en découler pour l’ensemble européen (provisionnement supplémentaires par les banques, choc de confiance, nécessité de mener des politiques budgétaires prématurément et simultanément restrictives…).

Le marché actions mondial a été aussi contaminé. Aujourd’hui, c’est la contagion de l’ensemble du monde par la zone euro (voire par l’Europe occidentale) qui se trouve posée. Certes, l’Europe n’est pas «leader» dans la croissance mondiale (d’autant que la crise ne frappe pour le moment que quelques pays «périphériques»), mais elle n’est pas totalement négligeable.

La zone euro représente 19% du PIB mondial en dollars courants et 15% en parité de pouvoir d’achat. De plus, le poids des importations de l’Union Européenne hors échanges intra-zone dans les importations mondiales est de 17%.

La responsabilité européenne est majeure dans cette crise. C’est donc à la gouvernance européenne de reprendre aujourd’hui la main.

JEAN-PIERRE PETIT Economiste et  Stratégiste de marché mai10

BILLETS PRECEDENTS : Jean Pierre Petit : Le déclin économique de l’UE (I) (cliquez sur le lien)

Jean Pierre Petit : Le déclin économique de l’UE (II) (cliquez sur le lien)

 EN COMPLEMENT : L’approfondissement par les crises

 Par Gaspard Kühn agefi mai10

 Au lieu de déboucher sur un échec de la monnaie unique, la tournure prise par la crise grecque ces derniers jours pourrait avoir un effet inattendu: renforcer la construction européenne. En quelques heures, la Commission est passée du statut d’institution sclérosée à celui de prêteur en dernier ressort. L’émission historique d’obligations européennes sera peut-être perçue dans quelques années comme l’un des tournants majeurs du processus erratique de centralisation du pouvoir à l’échelle continentale.

D’un coup, Bruxelles devient créancier des Etats membres. Et comme la Commission a l’obligation de se faire rembourser, elle acquiert de nouvelles prérogatives. Ce levier financier lui donne en effet un droit de regard inédit sur la gestion des Etats. N’est-ce pas dans le fond l’élément coercitif qui a manqué aux critères Maastricht, dont les manquements semblent aujourd’hui patents?

Cette évolution débouche sur un autre dérapage assumé: Bruxelles vient au secours de la monnaie unique. Les frontières entre l’UE et la zone euro, deux espaces politiques jusqu’à présent distincts, se brouillent. Au risque de contrarier des pays qui ont conservé leur devise – à commencer par le Royaume-Uni.

L’émission d’obligations a une troisième conséquence, encore plus décisive: elle dote l’Union d’une forme d’autonomie financière. Après ce ballon d’essai, la tentation sera grande de lever des fonds sur les marchés pour financer des politiques européennes sans passer par la contribution des Etats. C’est une vraie aubaine pour Bruxelles, puisque l’épisode grec vient de démontrer l’absence de politique économique cohérente.

Tout porte à croire que les pays surendettés ne seront pas exclus de la zone euro. Les répercussions sur la crédibilité de la monnaie unique seraient trop imprévisibles. L’alternative à cette sanction passe par un renforcement de Bruxelles. A terme, une harmonisation des politiques fiscales risque même de s’imposer – la Suisse aurait peut-être à y perdre.

Encore confuse, cette nouvelle phase de centralisation n’a en fait rien de surprenant. Elle donne raison à ceux qui pensent que l’Union ne peut vraiment progresser qu’en surmontant des crises. A une nuance près: les échafaudages élaborés par les chefs d’Etat finissent souvent par se heurter à un euroscepticisme qui avance à peu près aussi vite que la construction européenne elle-même.

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