Les crises favorisent désormais les économies émergentes
Les prochaines crises économiques ou financières planétaires accéléreront le rééquilibrage de l’économie mondiale en faveur des économies émergentes.
C’est le constat de McKinsey Quarterly, dans un article intitulé « Globalization’s critical imbalance » (cliquez sur le lien)ou le « Déséquilibre critique mondial ».
PLUS DE GRAVITE EN SUIVANT :
En fait, jusqu’à un certain point, le rééquilibrage de l’activité économique mondiale reflète la loi de la gravité économique, affirme le magazine. Car dans un monde où les idées peuvent s’échanger librement et où les différentes nations n’en sont pas au même stade de leur appropriation des moyens modernes de communication, de production et de distribution, les pays moins développés devraient nécessairement croître plus rapidement que les pays riches.
Voilà un argument assez puissant en faveur de ceux qui prêchent l’investissement dans les pays émergents.
Au-delà de ce constat, les pays pauvres disposent d’un avantage qui va au-delà de la valeur de leur monnaie, chroniquement inférieure sur les marchés de change (ou artificiellement dévaluée comme c’est le cas avec la Chine). C’est que, si les capitaux et les commodités peuvent s’échanger sur le marché planétaire, la main-d’œuvre, elle, demeure locale.
Ainsi, n’importe quelle compagnie qui peut exporter sa production dans un pays où cette main-d’œuvre coûte moins cher dispose d’un avantage indéniable. Une réalité qui fait mal aux employés des pays riches qui perdent leur emploi, lorsque celui-ci est exporté dans le tiers-monde. Mais un avantage pour les actionnaires de l’entreprise… et les consommateurs des pays riches, qui maintiennent un pouvoir d’achat élevé. C’est également un avantage pour les nouveaux citoyens de l’économie mondiale, qui travaillent dans les centres d’appels et les usines des pays émergents.
Tout indique que cette réalité, que l’on tient maintenant pour acquis, va changer.
Sur le front de la main-d’œuvre, par exemple, les entreprises qui ont transféré leur production dans les pays émergents peuvent, désormais, bénéficier d’une main-d’œuvre dont la qualité s’approche de plus en plus de celle des pays riches. Mais toujours à une fraction du coût. L’urbanisation, l’éducation, les investissements en infrastructure, les nouvelles technologies, le déploiement de nouvelles techniques de production et l’évolution des standards numériques ont moussé la productivité de la main-d’œuvre des pays émergents. Cette dernière est parfois plus élevée que celle des pays riches!
Ces avancées ont un impact direct sur le marché du travail des pays riches, où le chômage devient davantage structurel que cyclique. Car le transfert des emplois va se poursuivre à un rythme accéléré vers les pays émergents. L’Europe, le Japon et les États-Unis, aux prises avec un déficit fiscal élevé, ne pourront revenir à une croissance rapide de leur PIB pour contrebalancer la migration des emplois vers les pays émergents.
Il existe aussi un déséquilibre au sujet des commodités. Les citoyens des pays riches en consomment trop comparativement à ceux des pays émergents. Un thème récurrent chez les écologistes… Mais sur le front économique, il en résulte une volatilité permanente du prix des commodités, qui n’est pas corrélé aux fluctuations des devises. Ce qui se traduit par des hausses subites et importantes du prix des commodités.
En bout de ligne, cela ralentit la reprise économique mondiale et force les pays émergents à réévaluer leur devise à la hausse. Ce qui augmente ainsi leur pouvoir d’achat pour acquérir… des commodités. Mais le phénomène se traduit également par une diversification rapide des actifs financiers et des investissements directs depuis les pays riches vers les pays émergents.
Ce qui risque d’accélérer les déficits fiscaux de certains pays riches, comme ceux du PIGS ou aux États-Unis. À un certain point, certains pays riches pourraient faire défaut sur leur dette. Ce qui se traduira par de nouvelles crises financières et sociales. Un phénomène que certains jugent inévitable.
Malgré tout, le déséquilibre de main-d’œuvre actuel permet aux entreprises de profiter encore pleinement d’une foule d’opportunités. La population vieillissante des pays riches et, à l’opposé, la hausse rapide des revenus de centaines de millions de Chinois, d’Indiens ou de Brésiliens, au cours des 20 prochaines années, constituent de formidables vecteurs de développement
EN COMPLEMENT : De la tectonique des marchés
L’approche analytique fondamentale de l’économie est apparemment en phase de grands changements. C’est parce que le monde change.
En recherchant des parallèles ou des similitudes entre différentes techniques, on remarque rapidement que l’investissement financier en offre de nombreuses avec la météorologie. Cette association peut paraître surprenante au premier abord, mais en y regardant de plus près on remarque que les deux expertises partagent en effet l’objectif commun de tenter de faire des prévisions, selon une approche scientifique, sur la base de données historiques, de saisonnalité, d’interaction d’événements, et chacune dans un domaine sensible pour la plupart d’entre nous. La finance se différencie néanmoins en ajoutant à tout cela les impacts psychologiques, qui atténuent la dimension purement scientifique et qui heureusement ne font qu’influencer les marchés mais pas encore la pluie et le beau temps dans le cas de la météorologie.
Dans les deux domaines les événements s’analysent à posteriori très doctement. Le plus souvent, les prévisions se confirment avec une certaine précision ou tout au moins en tendance. Un anticyclone annonce du beau temps, comme des bons résultats d’entreprises annoncent des indices boursiers positifs. Dans les deux cas les excès sont corrigés, par un orage d’un côté ou une consolidation de l’autre, et l’on repart alors sur des bases assainies. On pourrait continuer à énumérer les similitudes comme la conjonction très rare dans les deux domaines de facteurs extrêmes qui peuvent déboucher, par des réactions en chaînes, sur des phénomènes violents et imprévisibles à détecter, comme la tempête en Europe en décembre 1999 ou l’explosion du fonds LTCM en 1998, le fameux Black Swan pour les marchés. Tout ceci est vrai en temps normal; mais dans la période particulièrement chahutée que nous traversons et en continuant l’exercice, on se rend compte que la finance, et plus largement l’économie, se comparent désormais mieux à la géologie et plus particulièrement à la tectonique des plaques.
Les événements que nous vivons depuis deux ans résultent de la rupture de forces «souterraines» sous pression, identiques aux forces sismiques. Dans les deux cas, leurs occurrences sont à terme certaines, mais les calendriers inconnus. Quelles sont ces forces sous pression?
Nos économies matures avec l’aide d’un secteur financier créatif ont fait le maximum de ce qu’elles pouvaient pour maintenir et soutenir une dynamique à tout prix, dans un environnement de croissance à bout de souffle. L’arme utilisée est bien sûr le crédit qui a été injecté à haute dose auprès de chaque acteur économique, individus, entreprises, états. Le résultat est aujourd’hui un niveau d’endettement toujours plus élevé que les différents états doivent reprendre en urgence le plus souvent à leur compte.
Les montants de ces dettes accumulées en rendent leur remboursement à terme des plus incertain. L’équation à résoudre d’une dette à résorber avec peu de croissance et une démographie vieillissante n’est pas des plus simples.
A l’inverse, les pays émergents qui ont connu une succession de crises depuis 30 ans sont aujourd’hui en ordre de marche pour connaître une croissance plus saine, à l’image de celle que nous avons connue en Europe après la seconde guerre mondiale: basée sur le développement des infrastructures, la mise en place de politiques sociales, l’accès aux loisirs, à la santé, à l’éducation, à la consommation… Le système est sous tension d’un côté et en expansion de l’autre. Ce rééquilibrage génère des chocs violents comme pour la dérive des continents avec les grandes failles… On se trouve plutôt dans la redistribution de centres de gravité, que dans des tempêtes passagères.
En conclusion, pour accompagner ces changements majeurs, gardons une vision à long terme, au delà de décisions tactiques, de ce que sera le monde de demain en intégrant d’ores et déjà ces futurs grands acteurs économiques dans nos investissements, que ce soient les entreprises, les devises ou les obligations de ces zones qui émergent.
olivier aubenas Société Générale Private Banking (Suisse)
Analyses & Perspectives
(Août – Septembre 2010)