Ben Bernanke réussit bien là où George Bush a échoué par Andreas Hofert
La récente hausse des prix alimentaires peut être vue comme l’un des déclencheurs qui a précipité les événements au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
Cela fait désormais plus de deux mois que Mohammed Bouazizi, un jeune vendeur ambulant de fruits tunisien, s’est immolé par le feu. Son acte a déclenché une réaction en chaîne qui a renversé des régimes autoritaires enracinés depuis longtemps en Tunisie et en Egypte. Cette réaction a aussi donné lieu à des manifestations de grande ampleur, voire des révolutions en Libye, à Bahreïn, au Yémen, en Algérie, à Djibouti, etc. Cela rappelle la théorie des dominos, un concept hérité de la Guerre froide qui a servi de justification à l’intervention des Etats-Unis au Vietnam. Si Saigon venait à tomber aux mains des communistes, le reste de l’Asie du Sud-est ne tarderait pas à lui emboîter le pas.
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La métaphore des dominos a été ressortie pour justifier l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis en 2003, mais, cette fois, dans le sens inverse. Certes, d’autres prétextes ont été évoqués – les armes de destruction massive prétendument aux mains du régime de Saddam Hussein, ses liens supposés avec le terrorisme international et la violation de plusieurs résolutions de l’ONU. Cependant le président des Etats-Unis George W. Bush a livré sa propre théorie des dominos dans le cadre de ce qu’on a appelé par la suite la «doctrine Bush»: une justification morale à la guerre.
«Un nouveau régime en Irak servirait d’exemple spectaculaire et impressionnant de liberté pour d’autres nations de la région», proclamait George W. Bush dans un discours prononcé au siège de l’American Enterprise Institute, un club de réflexion conservateur, juste avant l’invasion de l’Irak. Il imaginait donc un «effet domino inverse», qui propagerait la démocratie à travers le Moyen-Orient. Manifestement, rares étaient ceux dans la région qui partageaient son opinion. De plus, l’Irak actuel, occupé, en proie à des attentats récurrents et à peine en état de marche, n’est certainement pas le modèle auquel les populations arabes aspirent.
Il y a huit ans, George W. Bush n’a donc pas déclenché un effet domino démocratique. Néanmoins, ce processus semble désormais amorcé pour de bon, mais pour des raisons tout autres.
Pour paraphraser Lénine, lui-même cité par Keynes, le meilleur moyen de détruire un pays est de dévoyer sa monnaie. Si l’origine de cette remarque est contestée, je pense qu’elle résume parfaitement l’une des causes de l’agitation actuelle au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
La monnaie contrefaite a souvent été utilisée pour déstabiliser les régimes ennemis en période de guerre. Car un tel afflux d’argent déclenche des hausses de prix au point que l’inflation devient incontrôlable. Toutefois, ce n’est pas la fausse monnaie qui a précipité les Tunisiens, les Egyptiens, les Libyens dans la rue. Il s’agit plutôt de la politique monétaire laxiste des Etats-Unis. Evidemment, je ne suis pas en train d’affirmer que la politique monétaire américaine est l’unique cause du printemps arabe, d’autres facteurs (régimes autocratiques et corrompus, manque de perspectives pour une jeunesse devenue démographiquement majoritaire) sont certainement tout aussi, sinon plus importants. Cependant la hausse récente des prix alimentaires peut être vue comme l’une des étincelles qui a précipité les événements.
L’assouplissement quantitatif mené par la Réserve fédérale des Etats-Unis a inondé le monde de liquidités. Ces liquidités ont à leur tour poussé de nombreux prix d’actifs, dont les denrées agricoles, à la hausse. La sécheresse et les feux de forêt en Russie et les inondations en Australie ont sans doute contribué à la flambée des cours. Mais, à mon avis, la principale explication de l’envolée des prix agricoles réside dans la planche à billets de la Fed. Les pays dont les devises sont arrimées ou étroitement liées au dollar américain, comme c’est majoritairement le cas en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, ont été les plus durement touchés avec l’envolée des prix alimentaires.
Utilisant l’argument des armes de destruction massive, George W. Bush a tenté en vain de propager la démocratie par la force. Aujourd’hui, probablement par inadvertance, le président de la Fed Ben Bernanke a accompli ce miracle avec des armes de destruction non pas militaire, mais monétaire. Qui l’eût cru?
Andreas Höfert Chef économiste, UBS mars2011