Commentaire de Marché

Le pétrole surexploité et gravement dilapidé par Konrad Hummler

Le pétrole surexploité et gravement dilapidé par Konrad Hummler

Konrad Hummler. Associé-gérant de la banque Wegelin, le Saint-Gallois est un banquier atypique. (Keystone)

Le Commentaire d’investissement numéro 276 de Konrad Hummler (Banque Wegelin) daté du 2 mai 2011 est  désormais disponible , à consommer sans modération pour tous ceux qui ne connaissent pas encore…et pour les autres aussi !!!!

EXTRAITS :

PLUS DE HUMMLER EN SUIVANT :

Le calcul du prix néglige la valeur des réserves. Soit l’actif le plus important des pays producteurs.

Si malgré toutes les réserves et craintes légitimes, nous devions retenir le scénario fondamentalement positif d’un cheminement vers davantage de démocratie et vers un pouvoir plus légitime dans le monde arabe, un certain nombre de réflexions s’imposent néanmoins quant à la production de pétrole si cruciale pour l’économie mondiale.  Les stocks disponibles, à savoir les gisements et les réserves de pétrole supposées – la région concentre 50% des réserves mondiales et contribue à hauteur de 29% à la production globale – ont été gérés jusqu’ici par des régimes «scélérats». Qu’entendons-nous par ce terme qui n’est pas exactement neutre a priori? En fait, il s’agit d’une qualification d’ordre non pas moral mais tout bonnement économique. Si l’on analyse en effet selon quel calcul les régimes autocratiques en place ont exploité «leur» pétrole, on se rend vite compte que pendant très longtemps, notamment entre les années 1980 et 2004, les volumes produits et les prix fixés correspondaient plus ou moins aux capacités disponibles et aux coûts marginaux d’extraction. Les rapports ont certes évolué depuis pour des motifs liés à la demande (Chine oblige!), mais ils ne se sont pas radicalement modifiés.

Le «modèle d’affaires» des producteurs pétroliers autocratiques repose sur le principe que les matières premières se trouvant dans leur sous-sol sont dénuées de valeur. Tout ce qui peut être extrait de ce sol ou même jaillir plus ou moins tout seul des sables du désert finit dans une comptabilité courante, au sein de laquelle les dépenses liées à l’extraction, au raffinage et au transport sont inscrites en tant que charges.

Les recettes pétrolières qui dépassent le montant de ces coûts génèrent quant à elles des bénéfices destinés à remplir les poches du pouvoir ainsi qu’à alimenter la population en libéralités et autres primes au silence. Plus les cours du pétrole sont bas, et plus il faut augmenter la production pour pouvoir couvrir les dépenses courantes. Le cartel de l’OPE a été, fondé dans le but d’éviter une «surenchère vers le bas» («race to the bot-tom»).

Le cartel de l’OPEP a très bien fonctionné dans les années 1970, mais a perdu depuis toute influence en matière de fixation des prix. Deux explications à cela: premièrement, le pétrole s’est heurté à une concurrence – celle du gaz naturel et du nucléaire (sic!) notamment – et deuxièmement, comme tout autre cartel, l’OPEP souffre de cette caractéristique, justifiée économiquement, qui veut que les incitations à tromper les autres membres soient trop fortes.

Du pétrole sans valeur dans le sous-sol: que cela signifie-t-il d’un point de vue économique? Exactement ce que nous avons cité plus haut comme étant au centre de la problématique environnementale: le pétrole, qui constitue en soi un bien facile à délimiter et donc un bien privé, est traité comme s’il s’agissait d’un bien public. Voici donc des terres collectives sur lesquelles on ne fait plus paître des chameaux, mais où l’on croit pouvoir puiser des richesses gratuites de manière effrénée ou selon les besoins du moment, comme si la source était intarissable. Saccages, pillages et détériorations sont le lot des biens publics, nous l’avons dit plus haut. En clair, les pays producteurs traitent à tort le pétrole comme un bien public et pratiquent du même coup une politique de dilapidation.

La performance économique globale le plus souvent fort médiocre et dans bien des cas déséquilibrée affichée par les pays riches en matières premières tient précisément au mauvais calcul économique sur lequel repose leur modèle de production. Ce calcul ne tient pas compte de la valeur des réserves pétrolières et néglige donc tout simplement l’actif le plus important dont les pays concernés disposent en dehors du facteur de production humain. Il en résulte un prix du pétrole tendanciellement trop bas, des volumes d’extraction trop élevés et bien trop peu d’incitations à échanger le pétrole produit contre des actifs alternatifs un tant soit peu judicieux – ce qui explique selon nous largement le développement lacunaire de ces pays.

Il existe à notre sens deux raisons qui font que le modèle basé sur l’exploitation «scélérate» d’un bien soi-disant public en vigueur dans la production pétrolière se verra prochainement remplacé par une formule économiquement plus sensée, qui attribue une valeur adéquate à la matière première et favorise ainsi une gestion des stocks. Plusieurs éléments indiquent premièrement que les bouleversements en cours couperont net les flux de liquidités qui profitaient à une clientèle de privilégiés et étaient jusqu’ici considérés comme allant de soi.

Si tout ne part pas à vau-l’eau (ce qui est aussi possible, il faut bien le dire), l’instauration de conditions plus démocratiques pourrait entraîner également la mise en place d’une politique économique plus rationnelle. Plus rationnelle? L’auteur (…) exprimerait-il ici des espoirs illusoires tout droit sortis des limbes de la spéculation? Pas nécessairement. Car la deuxième raison, à savoir l’effondrement du dollar américain face au pétrole et face à l’or – actif de référence traditionnellement populaire dans ces régions – entraîne presque obligatoirement un changement d’approche dans ce sens. Pas besoin d’avoir une formation économique supérieure pour ressentir à un moment donné un sentiment de frustration face aux termes discutables de l’échange entre d’un côté un pétrole réel, difficilement substituable à plusieurs égards et donc appelé vraisemblablement à voir sa valeur augmenter sensiblement à l’avenir, et de l’autre un dollar nominal, autrement dit une monnaie-papier dont la capacité de réserve de valeur ne cesse de s’éroder, dont le produit des intérêts est quasiment nul et qui est régulièrement à l’origine de crises destructrices de capital au sein du système financier. Et si maintenant même les débiteurs publics jugés jusqu’ici comme sans risque se mettent à vaciller, on peut se demander s’il n’aurait pas été plus judicieux de laisser ces richesses sous terre…

Il y a longtemps que les pays producteurs de pétrole auraient dû se tourner vers un modèle de production plus durable. Le contexte économique et politique milite en faveur d’un tel changement de paradigme. Les régimes autocratiques obsolètes ne peuvent plus renoncer au modèle fondé sur la «dilapidation» du fait de leur forte propension à la dépense. Mais si changement de pouvoir il y a, ce qui a débuté comme une protestation des classes sociales les plus modestes contre la hausse des prix des denrées alimentaires (in-duite en fin de compte par la pléthore de dollars et la dépréciation continue du billet vert) trouverait un prolongement logique dans une politique économique orientée vers les valeurs réelles.

La partie industrialisée du monde se trouve confrontée à des défis majeurs. La nécessité géostratégique d’élaborer une doctrine cohérente a déjà été évoquée. L’arrangement tacite bien commode entre l’Occident et des régimes peu fréquentables est sur le point de prendre fin. Berlusconi ne va bientôt plus pouvoir (ou devoir?) embrasser la main de Kadhafi. Les ventes d’armes lucratives au Maghreb et au Moyen-Orient devraient reculer. Cela étant, le renchérissement durable des prix du pétrole et l’adaptation de l’Occident à cette nouvelle donne risquent d’être bien plus lourds de conséquences encore. Ces hausses de prix touchent l’économie et la société à un endroit sensible et surtout à un moment fort critique, puisque c’est précisément maintenant que les pressions inflationnistes extérieures s’avèrent hautement indésirables. Ce qui nous amène à la troisième trame du drame multidimensionnel qui se joue actuellement: la crise de la dette souveraine et la question de savoir si une poussée inflationniste est imminente. (KH)

Konrad Hummler/Extrait du commentaire d’investissement no 276 du 2 mai 2011

http://www.wegelin.ch/download/medien/presse/kom_276fr.pdf

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