Art de la guerre monétaire et économique

Grèce : Faut-il forcer un pays noyé sous les dettes à sabrer dans ses budgets?

Faut-il forcer un pays noyé sous les dettes à sabrer dans ses budgets?

 Posée à la fin des années 90 lors des accords sur l’effacement du passif des pays pauvres, cette interrogation fondamentale s’impose maintenant aux dirigeants européens

Source Wall Street Journal

Même si l’Assemblée grecque vote le plan de rigueur budgétaire, la question de la «soutenabilité» des dettes de l’Etat grec – 330 milliards de dollars, près d’une année et demie des richesses produites par le pays – reste entière. «Dès 2012, le pays est censé à se financer à hauteur de 40 milliards sur les marchés, ce qui est hors de portée», rappelle Caroline Newhouse, économiste chez BNP Paribas.

PLUS DAUSTERITE EN SUIVANT :

Pour Anton Brender, chef économiste de la maison d’investissement Dexia A.M., «trop d’austérité a empêché tout rééquilibrage des finances grecques et tué la confiance des marchés». De passage à Genève la semaine dernière, ce dernier souligne qu’il faut «prendre le temps de rééquilibrer les finances publiques, afin de rendre la dette soutenable sans trop casser la croissance». Selon lui la contraction de l’activité reste «la pire des choses dans des pays qui, comme la Grèce, ne peuvent pas compter sur leurs exportations pour relancer leur activité».

Qu’est-ce qu’une dette «soutenable»?

La question était au centre du forum sur la gestion de la dette organisée, il y a dix jours à Berne, par le Secrétariat d’Etat à l’économie et la Banque mondiale. La manifestation marquait le vingtième anniversaire du plan de désendettement des pays pauvres, lancé en 1991 par la Suisse. Difficile pourtant de ne pas penser à la situation grecque lorsque Peter Niggli, directeur de l’ONG Alliance Sud, rappelle les «vingt ans de dépression économique connue par l’Afrique», qui après la crise de la dette des années 80, «s’est vu proposer des crédits frais pour payer les anciens tandis qu’étaient mis en place des programmes d’austérité».

Et ce dernier de rappeler qu’il y a dix ans, dans les pays émergents, une dette étatique était considérée comme «insoutenable» si le remboursement des intérêts dépassait 15% des recettes tirées des exportations. Un ratio qui était estimé à moins de 4% lors de la reconstruction de l’Allemagne après la guerre. Il y a un an, lors de sa participation au premier plan de sauvetage en faveur de la Grèce, le FMI soulignait qu’en Grèce cette charge atteindrait un «pic de 62% avant de revenir à 17% en 2015». Depuis, l’économie grecque a continué de plonger….

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Athènes doit faire passer un train supplémentaire de mesures d’austérité contre une nouvelle aide

Une hausse de la taxe sur les boissons gazeuses; une charge spéciale sur le gaz ménager et industriel; une réduction de 3% des salaires des fonctionnaires, du secteur privé et des indépendants; une hausse de la taxe sur les piscines, les bateaux de plaisance et l’immobilier; une hausse d’impôt de 10% sur l’enregistrement d’automobiles; une nouvelle ponction sur la fortune; et, enfin, une taxe sur les retraites au-dessus de 1700 euros.

Telles sont les nouvelles mesures d’austérité que le gouvernement grec présentera au parlement le 28 juin. Son adoption est impérative pour le versement de la cinquième tranche de 12 milliards d’euros dans le cadre de l’enveloppe d’aide de 110 milliards approuvée en mai 2010 par la zone euro et le Fonds monétaire international.

Selon le Ministère grec des finances, ces mesures rapporteront 28,2 milliards d’euros d’ici à 2015, sans compter 50 milliards supplémentaires qui seront réalisés grâce à un plan de privatisation des entreprises d’Etat. Le premier ministre Georges Papandréou espère obtenir l’approbation du parlement. A cet effet, il a procédé vendredi à un remaniement ministériel afin d’assurer sa majorité.

L’opposition a déjà dit sans ambiguïté qu’elle ne le soutiendrait pas. Les syndicats ne sont a priori pas opposés à un programme d’ajustement, mais affirment que les populations les plus vulnérables ont fait jusqu’ici les plus grands sacrifices. La création d’emplois a été nulle et le chômage a grimpé à 16% au premier trimestre 2011. Le pouvoir d’achat des Grecs ne cesse de dégringoler.

Yachts et hélicoptères

Les mesures d’austérité prises l’an dernier visaient pourtant à augmenter les recettes publiques de 2,4 milliards d’euros. La TVA était passée de 19 à 21%, les taxes sur l’alcool, le tabac et les carburants avaient augmenté et une nouvelle taxe sur les produits de luxe (voitures, yachts, hélicoptères) était introduite. Enfin, l’Etat voulait renforcer la lutte contre l’évasion fiscale. De nombreux Grecs, surtout les professions libérales et les petites et moyennes entreprises, échappent au fisc.

De l’autre côté, le gouvernement avait fixé un objectif de sabrer les dépenses publiques de 2,4 milliards d’euros. Notamment par la réduction de 30% du 13e mois et de 60% du 14e mois des fonctionnaires, par la réduction de 7% des revenus et des primes payés dans les entreprises d’Etat et par le gel des retraites des salariés. Il avait aussi décidé de réformer les caisses de retraite des entreprises publiques, de réduire les investissements publics de 500 millions d’euros et de couper le budget national de l’Education de 200 millions.

Le gouvernement admet aujourd’hui que les salariés et les retraités ont porté le plus lourd fardeau ces derniers mois. La semaine dernière, la ministre grecque du Travail, Louka Katseli, affirmait au Temps que «les mesures mises en place pour combattre l’évasion fiscale ne donnent des résultats que sur le long terme». Elle promettait que les sacrifices seraient mieux partagés à l’avenir.

source le temps juin11

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«Les Grecs n’étaient pas préparés au pire» Par Stéphane Bussard

Remaniement ministériel, réunion de l’Eurogroupe à Luxembourg, grève générale annoncée pour la fin de juin. La Grèce, minée par une crise interminable, reste au centre de l’attention. Ecrivain réputé, scénariste, notamment pour le cinéaste Theo Angelopoulos, Petros Markaris est un fin observateur de la Grèce. Il jette un regard sombre sur son pays.

Le Temps: Comment évaluez-vous la situation de la Grèce après le remaniement du gouvernement?

Petros Markaris: Le remaniement a affaibli le gouvernement Papandréou car le premier ministre est lui-même sorti diminué de cette nouvelle crise. Pendant deux jours, mardi et mercredi 14 et 15 juin, le peuple grec a été le spectateur d’une tragicomédie intitulée «l’échec du consensus». Le remaniement du cabinet du premier ministre est la conséquence de cet échec. Le nouveau gouvernement a été composé en fonction des rapports de forces au sein du Pasok (Parti socialiste grec) et non pas en réponse à un souci d’efficacité dont a besoin le pays dans cette période critique et extrêmement grave. Les anciens cadres du parti sont revenus au pouvoir. Mais ils étaient déjà de hauts responsables de l’Etat. Je doute qu’ils aient la volonté d’imposer des mesures aussi douloureuses mais nécessaires que les privatisations.

Comment la société grecque vit-elle cette période, entre les blâmes européens et les énormes efforts qu’on lui demande?

Il y a trois sentiments qui dominent. Le premier est celui de la dépression. La vitalité et la bonne humeur des Grecs ont presque disparu. Le deuxième sentiment relève de la fatalité des choses. Les Grecs sont presque convaincus qu’il n’y aura aucune solution à la situation désastreuse du pays. Ils sont persuadés que la classe politique actuelle est incapable de prendre des mesures efficaces pour faire sortir le pays de sa tragique condition. Le troisième sentiment procède de l’outrage. Outrage contre le système politique, outrage contre les pays étrangers et outrage contre l’Union européenne. Ce sentiment est largement répandu, avant tout au sein de la jeunesse.

La tragédie grecque n’est donc pas qu’un concept littéraire…

– La tragédie est une réalité dans la Grèce d’aujourd’hui et pas une métaphore. Il y a des gens qui ont perdu leur travail. Le taux de chômage est passé à 16%. De nombreuses petites et moyennes entreprises ont été obligées de fermer. Quant à la jeunesse, elle est désespérée. Elle sent que même après avoir accompli des études, elle n’aura presque aucune chance de trouver un emploi dans les secteurs privé et public au moins pendant les deux prochaines générations.

Le sentiment européen des Grecs a-t-il été fortement malmené?

– Disons qu’il y a une certaine «restructuration» des amitiés. Par exemple, les Grecs avaient ressenti une grande sympathie pour les Allemands. Celle-ci a maintenant disparu à cause des hésitations initiales des Allemands pour aider la Grèce et de certaines déclarations déplacées de la chancelière Angela Merkel contre la Grèce et les Grecs. Mais aussi à cause d’une attitude très agressive des certains journaux allemands envers notre pays. Les Américains en revanche, qui ont toujours été tenus pour responsables de tous les problèmes grecs, sont devenus beaucoup plus sympathiques, en raison sans doute d’un parti pris en faveur de la Grèce.

Georges Papandréou est issu de deux cultures: grecque et américaine. Est-ce un atout ou un handicap?

– Le handicap de Georges Papandréou n’est pas sa culture gréco-américaine. Son handicap, c’est de n’avoir jamais dit toute la vérité à la population. Il a toujours essayé d’apaiser les Grecs en leur donnant de fausses raisons d’espérer et en cachant la vraie condition du pays. Les gens n’étaient absolument pas préparés au pire, aux sévères mesures préconisées par le gouvernement. Résultat: ils sont déstabilisés et ont perdu totalement confiance en leur gouvernement.

– Au vu des énormes défis à relever, faut-il craindre pour la stabilité démocratique de la Grèce?

– A ce jour, la démocratie est stable et fonctionne. Mais ces derniers jours, il y a eu des attaques quotidiennes contre le système parlementaire et les députés. Ces attaques ont été proférées par des gens très divers, indignés, dont les buts restent très obscurs. Par ailleurs, l’extrême droite est désormais beaucoup plus présente et agressive que par le passé. Ce phénomène est d’autant plus inquiétant que l’extrême droite avait presque disparu après la chute de la junte militaire en1974.

– Que faudrait-il pour faire pour remettre à flot le système de prélèvement d’impôts et empêcher l’évasion fiscale?

La collecte d’impôts et l’évasion fiscale sont les deux grands problèmes de l’Etat grec. C’est la principale critique des Grecs contre leurs élus. Les gens sont indignés. Le gouvernement a baissé les salaires et les retraites plusieurs fois, mais il est resté spectateur face aux problèmes de fiscalité et d’évasion fiscale, incapable d’imposer des règles strictes ou de mettre en place un système efficace. Ce qui n’arrange rien, c’est le secteur public, qui est corrompu et inefficace.

1 réponse »

  1. soit ils paient soit nous payons à leur place..vous connaissez un créancier qui paie de bon coeur et accepterait que ça continue comme avant?

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