Matières Premières : Le faux problème de la spéculation par Jeffrey Frankel
Les mesures destinées à réduire la volatilité des prix des matières premières et des denrées de base atteignent rarement leur objectif.
Avec Nicolas Sarkozy à sa tête, le G20 donne cette année la priorité au combat contre la volatilité des prix agricoles. Les ministres de l’agriculture des Etats-membres se sont réunis récemment à Paris pour essayer d’y remédier. Ce n’est guère étonnant, car les prix des produits alimentaires ont flambé au début de l’année, à l’image de ce qui s’était passé en 2008. Les efforts du G20 vont culminer avec le sommet de Cannes en novembre. Mais il faudra faire très attention quand seront discutées des mesures précises, car dans le passé celles destinées à réduire la volatilité des prix des matières premières ont souvent fait plus de mal que de bien.
PLUS DE VOLATILITE EN SUIVANT :
Ainsi, pour combattre l’inflation certaines banques centrales ont réagi à la hausse du prix des importations en resserrant leur politique monétaire, avec pour conséquence une appréciation de la devise du pays concerné. Il faut certes réagir aux déséquilibres commerciaux, mais pas en ayant recours à la politique monétaire.
Les pays producteurs ont aussi tenté de limiter la volatilité des prix en créant des cartels internationaux, mais c’est rarement efficace.
En théorie, les stocks des différents pays devraient diminuer les fluctuations de prix. Mais cela dépend de la manière dont sont administrés ces stocks. Ce qui a été fait dans le passé n’est guère encourageant.
Dans les pays riches (les producteurs agricoles y sont généralement influents), les stocks de produits alimentaires servent à maintenir les prix à un niveau élevé, plutôt que bas ! La Politique agricole commune (la PAC) est un exemple classique, désastreux pour le budget de l’UE, celui des consommateurs, ainsi que sur le plan économique.
Par contre, dans beaucoup de pays en développement les paysans n’ont guère d’influence politique. Les pays africains disposent d’Offices de commercialisation pour le café et le cacao. A l’origine il s’agissait pour l’Etat de racheter leur production en cas de surabondance et de la vendre en cas de pénurie, ce qui devait stabiliser les prix. Mais dans la réalité, lors des premières années d’indépendance de ces pays, les sommes versées aux producteurs de cacao et de café sans grand pouvoir politique, étaient souvent inférieures aux cours mondiaux, avec pour conséquence une baisse de la production.
Souvent les dirigeants politiques cherchent à protéger les consommateurs en contrôlant le prix des produits alimentaires de base et de l’énergie. Mais le maintien des prix à un niveau artificiellement bas suppose de rationner la consommation des ménages, or la pénurie et les queues peuvent déclencher une explosion populaire tout autant que des prix trop élevés. Par ailleurs, ce type de mesure qui répond à la demande par des importations pousse encore davantage à la hausse les cours mondiaux.
Un pays peut protéger ses propres consommateurs de la hausse des cours mondiaux d’un produit dont il est lui-même producteur en limitant ses exportations. En 2008 l’Inde a plafonné ses exportations de riz, l’Argentine a fait de même avec le blé, ainsi que la Russie l’année dernière.
Le plafonnement des exportations par les pays producteurs et le contrôle des prix par les pays importateurs pousse encore davantage à la hausse les cours mondiaux du fait de la réduction des échanges internationaux qui en résulte. Si les pays producteurs et les pays consommateurs de céréales convenaient de s’abstenir de telles mesures (en négociant au sein de l’OMS) la volatilité des cours mondiaux serait moindre.
Il faut néanmoins prendre quelques mesures de bon sens, en premier supprimer les subventions en faveur des biocarburants. Celles en faveur de l’éthanol, comme celles versées aux agriculteurs américains, ne répondent en rien aux objectifs théoriquement recherchés par les dirigeants politiques, mais contribuent à diminuer la production de céréales et donc à tirer les prix des produits alimentaires vers le haut. Cela devrait maintenant être évident pour tout le monde. Mais il ne faut pas s’attendre à ce que les ministres de l’agriculture du G20 résolvent ce problème, car ce sont en quelque sorte leurs électeurs, les agriculteurs, qui empochent l’argent (ce sont les USA qui représentent ici le plus grand obstacle).
Il vaut probablement mieux accepter la volatilité des produits agricole et en limiter les effets pernicieux, par exemple en créant des instruments financiers qui permettraient de réguler les échanges commerciaux.
Les ministres de l’agriculture du G20 ont décidé de créer un système destiné à améliorer la transparence des marchés agricoles, notamment en matière d’information sur la production, les stocks et les prix. Une information plus complète et plus rapide serait effectivement bienvenue.
Mais NicolasSarkozy a de toute évidence en tête des mesures destinées à contrer les spéculateurs perçus comme un facteur de déstabilisation des marchés des produits agricoles. Il est vrai que depuis quelques années ces produits sont traités davantage comme des actifs que comme biens de consommation. Leur prix n’est pas déterminé exclusivement par la loi de l’offre et la demande et leurs fondamentaux économiques (comme la météo ou la politique), mais aussi et de plus en plus par des calculs concernant l’évolution des fondamentaux économiques (la croissance en Asie par exemple) et d’autres facteurs tels que les taux d’intérêt – autrement dit les spéculateurs.
Pourtant la spéculation n’a pas obligatoirement un effet négatif. Sarkozy a raison quand il dit que l’effet de levier n’est pas nécessairement une bonne chose du simple fait que l’économie de marché l’autorise et que parfois la spéculation est déstabilisatrice. Néanmoins les spéculateurs se comportent généralement en détecteur de changement des fondamentaux, ou alors par leur comportement ils jouent le rôle de signaux précurseurs de fluctuations à venir et de se fait contribuent à les amortir. Autrement dit, ils servent souvent de force stabilisatrice.
Les Français n’ont pas encore réussi à convaincre les autres membres du G20 d’adopter des mesures destinées à réguler la spéculation sur les produits agricoles, par exemple en imposant une limite aux positions d’investissement. J’espère qu’ils n’y parviendront pas, car s’en prendre au messager ne permettra pas de résoudre les problèmes dont il se fait l’écho.
Jeffrey Frankel Kennedy School of Government, Harvard.Project Syndicate juin11
EN COMPLEMENT : Système d’information agricole du G20 : un pas de plus mais pas une garantie de transparence Par Claire Fages
La France a réussi à rallier les membres du G20 à la création d’un système d’information global sur les productions agricoles et leur commerce. Mais une réelle transparence sera difficile à mettre en œuvre, sans compter l’interprétation des données, toujours sujette à caution.
Le nouveau Système d’information sur les marchés agricoles (SIMA, AMIS en anglais) serait hébergé par l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation à Rome, la FAO. Les Etats du G20 se sont engagés à y verser toutes les données agricoles dont ils disposent… Même la Chine, s’est félicité le ministre français de l’agriculture, qui portait cette proposition.
L’objectif est d’éclaircir la situation réelle de l’offre et de la demande mondiales de produits agricoles, pour éviter les flambées ou les dégringolades de prix liées à des jugements approximatifs ou des peurs sans fondement. Comme celle d’une pénurie de riz en 2007, qui avait encouragé la rétention du riz par les intermédiaires et qui avait fait largement tripler les prix en quelques semaines.
L’intention est donc louable, mais récolter des informations fiables sera un vrai défi, surtout lorsqu’on annonce zéro dépense supplémentaire. Seuls les Etats-Unis sont réellement parvenus à publier des statistiques rapidement disponibles : leur première motivation était l’information pour leurs propres opérateurs, sur les marchés à terme, dont ils sont les inventeurs. Mais l’Agence américaine à l’agriculture, l’USDA est menacée de restrictions budgétaires… L’Europe, elle, a du retard, souligne Jean-Marc Framarzi de la société de conseil en gestion Finance Agri. « Il n’y a pas encore d’outil statistique dans tous les pays de l’Union, et les plus vertueux, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France, délivrent des chiffres jugés tardifs par les opérateurs. » Que dire des statistiques en Russie, en Chine, en Inde… Des pays continents où l’état des stocks est parfois plus important que leur volume ! Et surtout des Etats où dire la vérité aux populations sur les réserves alimentaires peut s’avérer dangereux pour la pérennité des régimes… Les chiffres seraient-ils vraiment fiables, qu’il faudra savoir interpréter ces informations, souligne François Luguenot, d’In Vivo, le premier groupe coopératif agricole français : « Il y a un an, la FAO se félicitait de stocks de céréales importants, mais l’augmentation des stocks avaient eu lieu en Inde, en Russie, en Chine, des pays qui ne furent finalement pas en mesure d’exporter. »