Les raisons de l’incivilité fiscale
évasion fiscale/ Les citoyens américains sont sensibles aux taux d’imposition et à la qualité de la gouvernance politique.
L’agressivité des autorités américaines contre les banques suisses fait parfois oublier les principaux protagonistes des tensions actuelles: les citoyens qui ne déclarent pas une partie de leur revenu ou de leur fortune au fisc. Quelle est l’ampleur de ce phénomène aux Etats-Unis? Quelles en sont les causes?
Les économistes Richard Cebula et Edgar Feige tentent une réponse empirique dans une vaste étude qui vient d’être publiée par l’Université de Wisconsin. Premier constat: l’évasion fiscale n’est pas un phénomène anodin dans un pays qui doit sa création à une révolte contre l’impôt.
Selon l’estimation la plus récente, les Américains ne déclarent pas environ 18% à 19% des revenus imposables (sans prendre en compte les activités économiques illégales), soit l’équivalent de deux billions de dollars. Cela se traduit par un déficit de recettes fiscales de 450 à 500 milliards de dollars par an pour l’Etat. Mais ces chiffres ne comprennent pas encore les revenus générés dans les paradis fiscaux: cette évasion-là pourrait faire perdre jusqu’à 100 milliards de dollars de plus au fisc américain (l’estimation des fonds à l’étranger est cependant largement spéculative, étant donné la difficulté de l’établir).
Quant aux incitations à l’évasion fiscale, les enseignements des cinq dernières décennies que Cebula et Feige passent sous revue s’avèrent édifiants.
Les taux d’imposition jugés excessifs se répercuteront positivement sur les efforts entrepris par les contribuables pour les contourner. Il en va de même de l’équité perçue du système: la profonde réforme fiscale d’il y a 25 ans, qui fit passer le taux maximal de 50% à 28%, ralentit le recours aux «abris fiscaux» pour les individus comme pour les entreprises. Le ressentiment des citoyens par rapport au système fiscal s’était atténué.
C’est toutefois le niveau du taux moyen d’impôt qui est le meilleur indicateur sur la durée, trouvent Cebula et Feige. Confrontés à une hausse de la charge fiscale, les contribuables peuvent choisir de travailler moins, de mieux exploiter les lacunes de la législation ou de recourir à des formes illégales d’évasion fiscale. «Comme on peut s’y attendre, plus le taux moyen est élevé, plus les gains attendus de l’évasion fiscale sont importants et plus l’ampleur de celle-ci sera étendue», observent les auteurs.
D’une manière générale, le degré de satisfaction des citoyens américains envers l’Etat joue un rôle central dans la décision de déclarer ou non des revenus. On est donc loin du stéréotype naïf d’un Etat toujours bienfaiteur et désintéressé face à des contribuables rechignant à payer leur «juste part» par simple appât du gain: la conformité à l’impôt dépend de la confiance par rapport à la capacité des politiciens et des fonctionnaires de faire leur travail correctement, de leur honnêteté (ou corruption) perçue et enfin de l’usage (ou du gaspillage) de l’argent public.
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La situation économique fait également partie des déterminants les plus importants de l’évasion fiscale aux Etats-Unis. Richard Cebula et Edgar Feige établissent que le niveau de chômage exerce une influence directe sur l’économie souterraine, où les chômeurs peuvent être encouragés à travailler sans déclarer de revenu. Mais l’effet du chômage s’opère aussi sur les personnes actives qui tendent à sous-déclarer leurs revenus en prévision d’une perte possible d’emploi ou d’un ralentissement de l’activité: l’évasion fiscale sert alors de supplément à l’épargne en cas de risque financier accru: il est probable que la nouvelle insécurité provoquée par l’éclatement successif des bulles internet et immobilière aux Etats-Unis ait conduit à des mesures. L’incertitude politique ambiante, l’endettement public, les réformes controversées, la menace de hausses de la fiscalité poussent les Américains à l’évasion fiscale, en quelque sorte à titre d’autodéfense. Des moyens de prévention et de répression toujours plus invasifs peuvent bien sûr conduire les citoyens à renoncer à se soustraire à leurs obligations fiscales. Mais la recette favorite de la gauche pour endiguer le problème, à savoir la multiplication des contrôles en parallèle à des augmentations d’impôts, semble rater sa cible. Cebula et Feige trouvent que l’intensité des contrôles fiscaux n’a pratiquement pas d’impact sur l’ampleur de l’évasion fiscale. Il semblerait qu’il ne reste à l’Etat qu’à modérer son appétit…
Pierre Bessard/Agefi FEV12