La finance exprime la logique de l’évidence par Philippe Dessertine
Dans «La décompression» (Ed. Anne Carrière), l’économiste français Philippe Dessertine estime qu’entre la crise de l’endettement et le réchauffement climatique, le monde a dix ans pour prendre les décisions engageant l’avenir économique et environnemental. Pour lui, la décennie qui arrive est cruciale. La finance, la technologie, le social, la mondialisation et la démographie doivent être intégrés dans un même raisonnement. Paul Dessertine propose d’inventer un nouveau modèle sociétal sur ces bases.
Tout remettre à plat. De la dimension environnementale émane la même exigence, ou plutôt, la même exigence démultipliée par dix, par cent, par mille. Elle ne s’est pas tout à fait imposée, même si la certitude confuse s’impose dans l’inconscient collectif. Nous sommes proches du moment où la grande interrogation exigera des réponses précises, et non des atermoiements, comme ce fut le cas en tant d’occasions jusque-là.
Deuxième partie de la réflexion: et si la finance et l’économie forçaient à prendre les choses par le bon bout?
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Tous les adversaires de la rigueur (si tant est qu’il en existe des partisans) font une faute majeure: celle de vouloir à tout prix refuser cette politique, sous prétexte qu’elle serait impossible à gérer. Comme d’ailleurs ferait une erreur symétrique celui qui, comme David Cameron, déciderait d’endosser les habits de Thatcher et d’imposer l’austérité la plus rude, en dépit des conséquences insupportables.
Il peut arriver que ce mot «insupportable» prenne sa signification entière. Il se peut que certains sacrifices, imposés de manière brutale, ne soient plus supportés. Les mous qui seront restés dans l’impasse pourront se féliciter: «Nous sombrons mais au moins, nous n’avons mécontenté personne.» Les durs qui verront leurs têtes embrochées au bout d’une pique auront tout juste le temps de dire: «Vous avez tort, vous devrez payer pour votre aveuglement pendant des siècles et des siècles.»
Dans les deux cas, la pire des éventualités peut se produire: celle de chocs économiques de plus en plus violents, de plus en plus rapprochés, et la survenance dans des délais assez brefs de catastrophes écologiques ajoutant encore leur lot de tensions. Les tangages s’amplifieront en accéléré, et tout sera à redouter, y compris le retour des conflits, des guerres vitales, dont les plus inconscients se refusent à voir les moteurs intemporels: l’énergie, l’eau, la nourriture. Et peut-être aussi la liberté, menacée de manière insidieuse dans les sociétés postmodernes des années 2010, en de multiples, minuscules coups de canifs, sans que grand monde n’en prenne ombrage. Quand les besoins fondamentaux sont en jeu, certaines bagatelles n’ont plus droit au chapitre. Les droits de l’homme en font partie, et ceux de la femme encore plus…
Nous le disions: dans les débats paroxystiques sur les manières de sortir d’une nasse de plus en plus serrée, de plus en plus inquiétante, une et une seule perspective n’est pas explorée. Celle qui consisterait à prendre le problème à l’exact opposé de toutes les autres démarches: partir de l’idée que les marchés financiers donnent le seul point de départ possible, à savoir la réduction drastique de la dette occidentale.
Notons au passage que le préalable indispensable à pareil axiome serait de dissocier une fois pour toutes la réalité des marchés et la recherche d’une image plus consistante par les médias. Les marchés financiers, ceux-là mêmes qui dicteraient les politiques économiques de tous les responsables majeurs, ont été associés à l’image d’une engeance, celle de banquiers amoraux, de traders bouffis de bonus, de spéculateurs sans scrupule. Le procédé avait beaucoup d’avantages, à commencer par cristalliser de la sorte une haine farouche, ressemblant en bien des aspects aux campagnes des années 1930, quand, pour rendre un peu plus tangibles ces affameurs, ces allumeurs de crise, on les caricatura dans tous les journaux du monde avec des nez crochus, de grandes oreilles, des petits yeux avides. Rappelons seulement aux plus jeunes générations que la haine fut canalisée au-delà de toutes les espérances, elle put être instrumentalisée dans ce procédé bien connu de tous les dictateurs: la persécution des boucs émissaires, l’holocauste dans le cas qui nous occupe.
N’en déplaise à tous les détenteurs de la bonne conscience plutôt de gauche, pour l’occasion, associés aux bilieux plutôt de droite, vomissant la mondialisation, la réalité est plus complexe que des simplifications vengeresses ne tendraient à le faire croire. Les marchés financiers ne sont pas quelques personnes détestables, à la puissance insensée, retranchées dans leurs tours de cristal. Ils sont une logique née du grand nombre, de millions et de millions d’ordres simultanés avec trois types de comportement, pas un de plus: vendre, acheter, conserver. Leur langage est hyper simplifié, hyper simplificateur, mais dispose d’une logique imparable: celle des épargnants du monde, acceptant ou non de risquer leur fortune, grande ou petite, dans une valeur, dans un investissement. Quand tous les investisseurs disent de la dette publique: «Nous ne vous croyons pas capable de rembourser, nous ne croyons pas que vos rentrées futures permettront de payer les intérêts de vos emprunts démesurés», quand l’unanimité se constitue autour d’éléments très concrets, l’avis solennel mérite au moins l’attention. Bien sûr, on peut incriminer les spéculateurs, les dirigeants politiques européens ne s’en sont pas privés; le public adore, frissonne, vocifère, est tout disposé au lynchage. S’il faut ajouter un coupable, on pousse au-devant du pilori les agences de notation, bien anglo-saxonnes, bien incompréhensibles pour l’immense majorité des individus. Et l’on écarte ainsi, d’un revers de main, le message chargé de bon sens au prétexte que la communauté compte quelques monstres infréquentables.
Partons du fait que la finance pourrait en bien des cas n’exprimer qu’une logique de l’évidence. Si les «marchés», plaçons-les entre guillemets, reviennent à la charge avec tant de constance vis-à-vis de nombre d’États d’Occident, c’est que la réalité est impitoyable. Oui, l’endettement massif des économies les plus riches est insensé. Oui, ce déséquilibre irrécupérable en conditions normales est bien le résultat d’une incurie scandaleuse, d’un aveuglement général, organisé et orchestré, d’une conspiration du silence arrangeant tous les acteurs, des plus petits aux plus grands, d’une politique «d’après moi le déluge» appliquée pas partout, mais en de nombreux gouvernements, au premier rang desquels il faut placer la France et le peuple français. Les États-Unis doivent être mis à l’index sur le même plan, à ceci près qu’ils ne sont pas l’objet de la même vindicte. En ce qui concerne leurs propres aberrations monétaires, d’autres défenses peuvent se manifester – on les a évoquées dans de précédents ouvrages -, contestables, artificielles, temporaires et, surtout, ne contredisant en aucun cas l’incohérence à courte vue de ces malades du déficit.
Tous coupables, car le crime profite à tous. Le niveau de vie de la population s’est construit sur du vide. Tant que la chute n’est pas avérée, les faux mages de la croissance triomphent. Le veau d’or fascine les foules, dont la pente naturelle serait pourtant d’être incrédules. L’illusion du moindre effort a, de tout temps, été la tentation chimérique, jusqu’au moment où l’évidence glacée s’impose. Plus le refus de se rendre à la raison prend du temps, plus le choc en retour est violent.
L’économie occidentale depuis près de trente ans serait comme une ville bâtie sur un littoral dangereux par un architecte irréfléchi. Pendant des années, l’océan faisant preuve de mansuétude, la cité orgueilleuse monte jusqu’au ciel, mais soudain la tempête se déchaîne, les vagues sont autant de coups de boutoir, ébranlant chaque fois un peu plus des édifices dont la fragilité cachée se révèle au grand jour. La durée de l’agonie n’est pas connue mais la fin est inéluctable.
L’entêtement à relancer la croissance, à stimuler la consommation, à reprendre avec allégresse les émissions de CO2, à s’endetter davantage revient à s’obstiner à reconstruire contre toute logique le même édifice instable. Tout cela parce qu’ainsi la réélection serait assurée lors de la prochaine échéance, comme si de somptueux jeux du cirque pouvaient faire oublier que les Barbares étaient aux portes de Rome.
Les leçons du passé ne servent à rien. Il est plus difficile à un riche de renoncer à sa fortune terrestre qu’à un chameau de passer par le chas d’une aiguille… Y compris quand, de la sorte, il condamne au pire des avenirs sa propre descendance.
Sans doute, la postérité jugera sans pitié ce refus de l’évidence, ce prolongement absurde d’un comportement de lemming, ce petit mammifère a priori normal, qui, parfois pris d’une folie collective, court en immense troupeau vers une noyade inexplicable. Comme si, par un accident étrange, l’instinct le plus essentiel s’était perdu. Pouvons-nous considérer que nous, les humains du XXIe siècle, sommes devenus des lemmings ? En sommes-nous à ce niveau de folie ? On veut, on doit répondre non, trois fois non, mille fois non. Quelle bêtise ce serait de laisser sombrer une communauté internationale en paix relative comme jamais dans l’histoire, au seul prétexte que l’effort pour l’Occident serait difficile à vendre d’un point de vue électoral ! Impossible de croire une seconde que des centaines de millions d’êtres humains pourraient demeurer les bras ballants quand deux défis majeurs, annoncés, attendus, se présentent au-devant d’eux: deux axes de décision, la dette publique et l’environnement, qui requièrent au plus vite des décisions énergiques. Point n’est besoin de miracle, d’illumination surnaturelle, juste du courage chez les décideurs et de la responsabilité chez leurs administrés. Enjeu historique.
Attention, les enfants regardent. Comment allez-vous leur expliquer l’imbécillité automobile et les primes à la casse ? Comment allez-vous justifier des dettes irremboursables ? Il s’agit de vos propres enfants, ceux que vous adorez, ceux à qui vous essayez d’inculquer de belles valeurs, ceux qui devraient en toute logique vivre un peu mieux que leurs parents.
Nous serions donc les premiers à transgresser cette loi absolue de l’espèce humaine, celle qui la distingue le plus des autres êtres vivants, celle qui ne s’est jamais démentie depuis les temps immémoriaux de la vie dans l’univers hostile du début de notre évolution. Nous serions la première génération à préparer la régression, la fin du progrès, à remonter le toboggan dans le mauvais sens; ce cauchemar que seule la science-fiction avait tenté d’imaginer jusque-là : fameuse dernière scène de La Planète des singes…
Il faut y revenir: la catastrophe japonaise du 11 mars 2011 a donné sans doute la plus terrible des leçons à la communauté humaine tout entière, à l’Occident bardé de certitudes. Le séisme japonais ne doit pas être lu seulement selon la grammaire de la crise et de ses prolongements: il a valeur de signal. Depuis toujours, les scientifiques, les habitants, les responsables connaissaient l’existence des failles sismiques dans l’archipel nippon. Depuis des siècles, des tsunamis plus meurtriers encore succédaient aux secousses destructrices. Des personnes sensées, responsables, avaient choisi de l’ignorer. Elles ont construit des centrales nucléaires dans des endroits dangereux, sur des failles, au bord de la mer. Jusqu’au jour d’avant le désastre, les critiques, les avertissements n’auraient pas été entendus. Personne n’aurait accepté de débrancher la centrale de Fukushima, ni aucune autre d’ailleurs, en vertu d’un catastrophisme que l’on aurait qualifié d’excessif. «Trop facile de jouer les Cassandre» est le leitmotiv agressif des éternels tenants de la pensée positive. Ce sont eux qui gagnent les élections en général, ou qui marchent sur Rome, ou qui portent brassards et ceinturons. Ce sont eux qui refusent le noir dans toute prévision, sous l’excellent prétexte du bonheur des peuples. Les gens détestent les histoires qui finissent mal, surtout quand ils en sont les principaux acteurs. Alors le débat sur l’opportunité de l’électricité nucléaire en région sismique ne s’est jamais tenu, au Japon ni ailleurs… Parce qu’il était trop difficile de se passer d’elle. Voilà la vraie raison, la principale, l’affligeante.
source agefi fev12
Enfin, si au lieu de parler de réchauffement climatique (au point mort depuis 1997), il parlait plutôt des années de refroidissement qui viennent (le GIEC lui-même la bouche d’un de ses modélisateurs, Mojib Latif, parle de 25 à 30 ans de refroidissement) et nombreux de ceux qui pensaient refroidissement long, mais “minime” (type glace sur la Tamise et la Seine, tableaux de Brughel) avec un minimum de Dalton (Moyen Âge) pensent maintenant minimum de Munder (petit âge glaciaire)… et les politiques d’anticipation contre le froid n’ont rien à voir avec les gaspillages actuels initiés et soutenus par l’ADEME et consorts (Faisons vite, ça chauffe !)…
sympa’ l’envolée lyrique mais…sommes-nous tous à égalité vis-à-vis du “crime” de l’endettement : moi, j’ai rien demandé, et certainement pas de creuser le déficit public pour arroser les citoyens les plus riches ou les moins désireux de payer des impôts – moi, je suis l’électeur de la minorité : on m’a jamais écouté ni suivi !
et je devrais être solidaire ? sur quelles bases philosophiques justifiez-vous ma mise en esclavage ?