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Conséquences involontaires Par Eric Sprott et David Baker

Conséquences involontaires Par Eric Sprott et David Baker

L’année 2012 semble être « l’année des banques centrales », soit une année soulignant toutes les manoeuvres intéressantes que les banques centrales peuvent orchestrer pour empêcher l’effondrement du système. Les banques centrales de l’Ouest mettent le paquet depuis novembre dernier, alors qu’elles se réunissent, se concertent et émettent de la monnaie pour se tirer du pétrin causé par la zone euro. L’ampleur et la fréquence de leur intervention semblent s’intensifier à mesure que les semaines passent, situation qui témoigne de l’énorme fragilité de la majeure partie du système financier aujourd’hui.

 

La première mesure importante date du 30 novembre dernier, où les banques centrales du G6 (la Réserve fédérale, la Banque d’Angleterre, la Banque du Japon, la Banque centrale européenne [BCE], la Banque nationale suisse et la Banque du Canada) ont annoncé « qu’elles avaient concerté leurs efforts afin d’améliorer leur capacité de fournir un soutien au système financier mondial sur le plan des liquidités(1) ». Bref, dans le but d’éviter l’effondrement total du système bancaire européen, la Réserve fédérale a accepté d’offrir une quantité illimitée d’accords de swaps de dollars américains avec les autres banques centrales. Ainsi, ces accords de swaps de dollars américains permettent aux autres banques centrales, surtout la BCE, d’emprunter des dollars US de la Réserve fédérale afin de leur permettre d’effectuer, à leur tour, des prêts à leurs banques nationales respectives pour que ces dernières puissent fournir à la demande de retraits et rembourser leur dette. La meilleure partie de ces ententes de swaps est le fait que leur portée est illimitée, c’est-à-dire que d’ici le 1er février 2013, la Réserve fédérale est disposée à prêter autant d’argent qu’il le faudra afin d’essayer de sauver le système financier de la débâcle, et elle le fera. C’est tout à fait merveilleux, et les Européens devraient être bien reconnaissants, à l’exception du simple menu détail voulant que, pour fournir ces dollars US en quantité illimitée, la Réserve fédérale doive les imprimer des nimbes.

Mais ne craignez rien, l’histoire s’améliore. Comme une quantité illimitée d’accords de swaps de dollars US n’était pas suffisante pour résoudre le problème, environ trois semaines plus tard, soit le 21 décembre 2011, la BCE a lancé la première ronde de ses opérations de refinancement à plus long terme, programme qui a été couvert d’éloges. Il s’agit du programme en vertu duquel la BCE a « inondé » un total de 523 banques européennes distinctes de liquidités avec des prêts d’une durée de trois ans d’une valeur de 489 milliards d’euros pour qu’elles puissent survivre jusqu’à Noël. L’on prévoit une seconde ronde d’opérations de refinancement à plus long terme à la fin du mois de février, où l’on s’attend à ce que la BCE prête une somme allant d’environ 300 milliards d’euros à plus de un billion (2). La bonne nouvelle, c’est que le rendement des obligations italiennes, portugaises et espagnoles a chuté depuis que la première ronde des opérations de refinancement à plus long terme a débuté, ce qui suggère qu’au moins une partie des fonds initiaux provenant des opérations de refinancement à plus long terme a été réinvestie dans des encans de dettes souveraines. En revanche, la mauvaise nouvelle est le risque que les banques de la zone euro dépendent totalement de ce qui est nettement un programme d’assouplissement monétaire déguisé et, comme les avertissements l’indiquent si bien pour les drogues pouvant entraîner une dépendance, une fois que vous commencez, il peut être très difficile d’arrêter.

Le Royaume-Uni a de toute évidence créé une dépendance. Le 9 février 2012, la Banque d’Angleterre a annoncé des mesures d’assouplissement quantitatif additionnelles de 50 milliards de livres sterling, ramenant le total d’argent émis en vertu de programmes d’assouplissement quantitatif à une somme de 325 milliards de livres sterling depuis mars 20093.

Le Japon est dans le même bateau. Le 14 février 2012, la Banque du Japon a elle aussi annoncé un ajout de 10 billions de yens (soit 129 milliards de dollars) à son propre programme d’assouplissement monétaire, lequel totalisait une somme de 65 billions de yens (soit 825 milliards de dollars)(4).

Ne voulant pas être en reste, le président de la Réserve fédérale, M. Bernanke, a annoncé, lors de la plus récente conférence de presse de la Fed, que celle-ci allait maintenir les taux d’intérêt tout près de zéro jusqu’à la fin de 2014, soit 18 mois plus tard que ce qu’elle avait promis lors de ses rencontres l’an dernier. Si M. Bernanke tient sa promesse, à la fin de 2014, le gouvernement américain aura eu droit à des taux d’intérêt quasiment nuls pendant six ans d’affilée. Certes, une politique de taux d’intérêt nuls pendant une période prolongée n’est pas aussi satisfaisante qu’un programme d’assouplissement quantitatif adéquat, mais qui a besoin de ces programmes lorsque la Fed achète déjà 91 % de toutes les obligations du Trésor américain à 20 et 30 ans (5)? Peut-être garde-t-elle les programmes d’assouplissement quantitatif traditionnels en réserve pour les prochaines élections?

Cette intervention omniprésente explique probablement plus de 90 % des rendements positifs du marché en janvier dernier. Si les pays du G6 n’avaient PAS été convoqués pour les accords de swaps, si la BCE n’avait PAS lancé ses opérations de refinancement à plus long terme et si M. Bernanke n’avait PAS annoncé qu’il maintiendrait sa politique de taux d’intérêt nuls, qui sait à quoi les indices boursiers se négocieraient aujourd’hui? On peut aussi se demander si le système bancaire européen aurait survécu le mois de décembre. Par chance que les banques centrales ont concerté leurs efforts. Ceux-ci ont été fructueux à court terme, mais le demeureront-ils à long terme?

Quelles sont les conséquences involontaires de renflouer constamment le système? Quelles sont les incidences de toute cette émission d’argent? Nous pouvons songer à quelques-unes.

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D’abord et avant tout, sans le soutien soutenu des banques centrales, les liquidités interbancaires pourraient cesser entièrement de fonctionner dans la prochaine année. Prenez les répercussions des opérations de refinancement à plus long terme de la BCE : lorsque vous créez un programme de prêts afin de sauver les banques européennes et que vous mettez la participation à ces programmes facultative, chacune des 523 banques qui y participent est essentiellement en train d’admettre qu’elle éprouve des difficultés. Comment vont-elles pouvoir se prêter de l’argent entre elles plus tard? Si vous étiez une banque qui a participé aux opérations de refinancement à plus long terme parce que vous étiez sur le point de faire faillite, comment pouvez-vous possiblement faire confiance à d’autres banques qui ont, elles aussi, profité du programme? Le programme d’opérations de refinancement à plus long terme a le potentiel d’être très dangereux parce que les banques de l’Union européenne commencent à dépendre trop fortement des prêts et la BCE pourrait, par inadvertance, être prise pour toujours dans un système bancaire de l’Union européenne en difficulté.

La deuxième conséquence involontaire est l’impact que les interventions ont eu sur la perception des pays non membres du G6 concernant la solvabilité du monde occidental. Si vous étiez aujourd’hui un prêteur étranger aux États-Unis, au Royaume-Uni, à l’Europe ou au Japon, jusqu’à quel point pourriez vous être confortable avec votre prêt? Comment pouvez-vous prêter à des pays dont la continuité d’exploitation repose entièrement sur leur capacité d’obtenir des injections de liquidités de leur banque centrale respective? Et si on va plus loin, que se passera-t-il quand le reste du monde, soit les pays non membres du G6, commencera à questionner les banques centrales des pays membres du Groupe? Quelle entité peut sauver le système financier si le marché va à l’encontre de la Fed ou de la BCE?

Il n’en demeure pas moins que la confiance à l’égard du système financier ne tient qu’à un fil en 2012, et les banques centrales pourraient pousser leurs manoeuvres d’émission d’argent un peu trop loin. En 2008-2009, ce sont les banques qui ont perdu toute crédibilité, et elles ont eu besoin de plans de sauvetage massifs de leur état souverain respectif. En 2010-2011, ce sont les états souverains eux mêmes, surtout ceux de l’Europe, qui ont perdu leur crédibilité, et ils ont demandé d’énormes plans de sauvetage de leur banque centrale respective. Mais il n’y a aucun prêteur de dernier ressort pour les banques centrales elles-mêmes. Le fait que le FMI est maintenant en train d’essayer d’amasser une somme de 600 milliards de dollars à titre de mesure sécuritaire ne passe pas inaperçu, mais pense-t-il honnêtement que cette mesure fera une différence (6)?

Lorsque nous examinons la conjoncture macroéconomique d’aujourd’hui, nous revenons aux mêmes conclusions. Les pays non membres du G6 ne sont pas aveugles et voient les efforts déployés par la Fed et la BCE. Lorsque la Fed publie ouvertement qu’elle cible un taux d’inflation de 2 %, les prêteurs étrangers savent qu’ils perdront, à un minimum, un pouvoir d’achat d’au moins 2 % sur leurs prêts aux États-Unis en 2012. Il n’y a donc rien de surprenant de voir ces prêteurs jeter leur dévolu sur des actifs de rechange, qui ont une meilleure chance de protéger leur patrimoine, à long terme.

C’est probablement pourquoi la Chine a réduit de 32 milliards de dollars son exposition aux effets du Trésor américain en décembre (se reporter à la Figure 1)(7). C’est également pour la même raison que ce pays, qui a lui-même produit 360 tonnes d’or à l’interne l’an dernier, a aussi importé une somme additionnelle de 428 tonnes en 2011, ce qui représente une augmentation par rapport aux 119 tonnes importées en 20108. Ceci pourrait également expliquer pourquoi les importations de cuivre de la Chine ont touché un sommet de 508 942 tonnes en décembre 2011, soit une hausse de 47,7 % par rapport à l’année précédente, et ce, malgré le fait que son PIB a chuté à la fin de l’année9. Le même raisonnement s’applique à ses importations de pétrole brut, qui ont touché un sommet de 23,41 millions de tonnes métriques en janvier dernier, soit une augmentation de 7,4 % sur une période de douze mois(10). Les soi disant experts ont l’habitude de minimiser ces statistiques, mais une chose est très claire à nos yeux : la Chine n’attend pas la prochaine ronde de mesures d’assouplissement quantitatif et accélère sa course afin de délaisser le papiermonnaie, au profit des actifs titres.

 Hong Kong Chart _F

La Chine n’est pas le seul pays à suivre cette tendance. La Russie a indiqué avoir réduit de moitié son exposition aux effets du Trésor américain depuis le mois d’octobre 2010 (se reporter à la Figure 2). Il n’est donc pas surprenant que ce pays ait été un important acheteur d’or en 2011, ajoutant environ 95 tonnes à ses réserves de ce métal, dont 33 tonnes au quatrième trimestre seulement(11). Il n’est pas difficile d’imaginer un prix plus élevé pour l’or si le reste des pays non membres du G6 emboîtent le pas.

 Russia Chart _F

Le problème avec les interventions des banques centrales est que les résultats ne sont jamais ceux qui étaient escomptés. Les conséquences involontaires finissent toujours par neutraliser les avantages à court terme. En 2008, lorsque la Fed a lancé sa politique de taux d’intérêt nuls, tout le monde pensait qu’il s’agissait d’une excellente politique. Cependant, quatre ans plus tard, nous commençons finalement à voir la destruction complète que ces politiques ont causée sur les épargnants. Vous n’avez qu’à regarder la situation déplorable dans laquelle se trouve l’industrie des pensions aujourd’hui : selon Credit Suisse, une proportion de 97 % des 341 sociétés inscrites au S&P 500 qui détiennent des régimes de retraite à prestations déterminées est actuellement sous-capitalisée(12). Selon une récente étude sur les régimes de retraite effectuée par la firme Milliman Inc. établie à Seattle, le déficit combiné des 100 plus importants régimes de retraite à prestations déterminées aux États-Unis a augmenté de 236,4 milliards de dollars en 2011 seulement(13). Le principal responsable de cette hausse? Les faibles taux d’intérêt des obligations d’État(14).

Il ne faudrait pas non plus oublier le manque à gagner des régimes de retraite du secteur public, qui est carrément terrifiant. En Europe, les obligations sous-capitalisées du fonds des pensions d’État sont estimées à un total de 39 billions de dollars, ce qui est environ 5 fois plus élevé que la dette brute combinée de l’Europe(15). Aux États- Unis, les obligations sous-capitalisées des régimes de retraite se sont accrues de 2,9 billions de dollars en 2011. Si ce pays tenait compte de ces coûts dans le calcul de son déficit, son déficit budgétaire officiel pour 2011 passerait du montant déclaré de 1,3 billion de dollars à une somme de 4,2 billions de dollars16. Écrit en chiffres, on lirait 4 200 000 000 000 $… pour une année.

Il n’y a malheureusement aucun ouvrage d’économie qui puisse nous guider dans ces périodes étranges, mais le bon sens nous invite à nous méfier fortement des manoeuvres soutenues des banques centrales. Plus les banques centrales émettent de la monnaie pour sauver le système, plus le système en dépendra pour demeurer solvable, et il est impossible de régler un problème d’endettement avec plus de dettes; vous ne pouvez pas émettre de la monnaie sans en subir des conséquences graves. Les banques centrales sont en train d’alimenter une méfiance grandissante de la part des nations prêteuses, qui les force à adopter des mesures préventives avec leurs réserves de devises. Les investisseurs individuels devraient en prendre note et emboîter le pas, parce qu’il sera beaucoup plus facile de profiter de « l’année des banques centrales » si vous détenez des actifs qui peuvent en fait tirer parti de toute cette émission de monnaie, au lieu de détenir des actifs qui ne peuvent qu’être détruits par de telles mesures.

1 Board of Governors of the Federal Reserve System (30 novembre 2011) « Coordinated central bank action to address pressures in global money markets ». http://www.federalreserve.gov. Extrait le 15 février 2012 du site Web suivant : http://www.federalreserve.gov/newsevents/press/monetary/20111130a.htm

2 Jenkins, Patrick et Oakley, David (30 janvier 2012) « Banks set to double crisis loans from ECB ». Financial Times. Extrait le 15 février 2012 du site Web suivant : http://www.ft.com/intl/cms/s/0/09ab9542-4b6d-11e1-b980-00144feabdc0.html

3 Telegraph Staff (9 février 2012) « Bank of England restarts QE with £50bn stimulus ». The Telegraph. Extrait le 16 février 2012 du site Web suivant : http://www.telegraph.co.uk/finance/economics/9071622/Bank-of-England-restarts-QE-with-50bn-stimulus.html

4 Fujikawa, Megumi et Ito, Tatsuo (14 février 2012) « Bank of Japan Surprises by Easing, Setting Price Goal ». Wall Street Journal. Extrait le 17 février 2012 du site Web suivant : http://online.wsj.com/article/SB10001424052970204883304577222063451464968.html?_nocache=1329249611524&user=welcome&mg=id-wsj

5 Zeng, Min (10 février 2012) « Fed’s ‘Operation Twist’ Tangles Treasury Trade ». Wall Street Journal. Extrait le 15 février 2012 du site Web suivant : http://online.wsj.com/article/SB10001424052970203315804577211303042416034.html

6 Wroughton, Lesley et Hughes, Krista (18 janvier 2012) « IMF seeks more funds ». Reuters. Extrait le 14 février 2012 du site Web suivant : http://www.reuters.com/article/2012/01/18/us-imf-resources-idUSTRE80H0VU20120118

7 Mackenzie, Michael (15 février 2012) « China anticipates Fed quantitative easing ». Financial Times. Extrait le 16 février 2012 du site Web suivant : http://www.ft.com/intl/cms/s/0/27a221be-57e4-11e1-b089-00144feabdc0.html#axzz1mSKyDrxw

8 Hook, Leslie (7 février 2012) « China gold imports from HK surged in 2011 ». Financial Times. Extrait le 14 février 2012 du site Web suivant : http://www.ft.com/intl/cms/s/0/d26cd2d6-518d-11e1-a99d-00144feabdc0.html#axzz1mH8V3yyg

9 Hook, Leslie (10 janvier 2012) « China’s copper imports hit record ». Financial Times. Extrait le 15 février 2012 du site Web suivant : http://www.ft.com/intl/cms/s/0/e8e76eda-3b68-11e1-a09a-00144feabdc0.html#axzz1mSKyDrxw

10 Bloomberg News (20 février 2012) « China January Oil Imports Rise to Record 23.41 Million Tons ». Bloomberg. Extrait le 20 février 2012 du site Web suivant : http://www.businessweek.com/news/2012-02-13/china-january-oil-imports-rise-to-record-23-41-million-tons.html

11 World Gold Council (16 février 2012) « Gold Investment Trends ». World Gold Council. Extrait le 14 février 2012 du site Web suivant : http://www.gold.org/investment/research/regular_reports/gold_demand_trends/

12 Scheyder, Ernest et Mincer, Jilian (26 janvier 2012) « Analysis: Pension shortfalls a stark corporate challenge ». Reuters. Extrait le 15 février 2012 du site Web suivant : http://www.reuters.com/article/2012/01/26/us-corporate-pensions-idUSTRE80P03720120126

13 Milliman, Inc. (6 janvier 2012) « Milliman analysis: Bad year for pensions ends badly ». Milliman, Inc. Extrait le 15 février 2012 du site Web suivant : http://www.milliman.com/news-events/press/pdfs/pfi-december-2011.pdf

14 Philips, Matthew et Campbell, Dakin (2 février 2012) « Banks, Pensions are Squeezed as Fed’s Low Rates Erode Profits ». Bloomberg. Extrait le 16 février 2012 du site Web suivant : http://www.bloomberg.com/news/2012-02-02/banks-pensions-are-squeezed-as-fed-s-low-rates-erode-profits.html4

15 Christie, Rebecca et Woodifield, Peter (11 janvier 2012) « Europe’s $39 Trillion Pension Risk Grows as Economy Falters ». Bloomberg. Extrait le 16 février 2012 du site Web suivant : http://www.bloomberg.com/news/2012-01-11/europe-s-39-trillion-pension-threat-grows-as-regional-economies-sputter.html

16 Lawrence, Bryan R. (28 décembre 2011) « The dirty secret in Uncle Sam’s Friday trash dump ». Washington Post. Extrait le 14 février 2012 du site Web suivant : http://www.washingtonpost.com/opinions/the-dirty-secret-in-uncle-sams-friday-trash-dump/2011/12/28/gIQArtWMNP_story.html

source Eric Sprott fev12

EN COMPLEMENT : Avalanche d’argent frais sur les marchés

 Les places boursières connaissent un début d’année prolifique. L’opération d’injection de masse de liquidités déclenchée par la BCE explique une bonne partie de cette ascension

13 005 points. Mardi dernier, le Dow Jones a clôturé la journée au-dessus des 13 000 points pour la première fois depuis mai 2008 et le plongeon dans la crise financière. Tout un symbole. D’autant que l’indice vedette de la bourse new-yorkaise n’est pas le seul à avoir connu un début d’année prolifique. Le S&P 500, indice qui reflète les 500 entreprises américaines qui comptent, a lui aussi retrouvé son niveau de l’été 2008.

 En Europe également les marchés s’envolent. Après un mois de janvier record depuis sa création en 1988 (+9,5%), le DAX, indice phare de la bourse de Francfort, a enregistré une hausse de 17% sur les deux premiers mois de l’année. De son côté, l’indice européen Eurostoxx a progressé de 10% et le SMI de près de 4%.

 Le sursaut est d’autant plus marquant qu’il concerne également les valeurs bancaires, durement frappées au cours d’une année noire qui a vu la capitalisation boursière de certaines fondre de moitié. Le titre de Société Générale a, par exemple, bondi de 47,5% depuis le 31 décembre dernier. Dans le même temps, l’action de Deutsche Bank a gagné 21,8% et celle de BNP Paribas 24,9%.

 Un  facteur explique ce regain d’optimisme. Le 21 décembre, suivant les traces de la Réserve fédérale américaine (Fed) et son programme d’assouplissement monétaire, la Banque centrale européenne a sorti son «bazooka» financier. Sous la direction de son nouveau président, Mario Draghi, l’institution monétaire a octroyé des prêts sans limite, et sur trois ans, aux établissements financiers européens pour un taux d’intérêt de 1%. Résultat des courses: 523 banques ont répondu présent et emprunté 489 milliards d’euros. Comme prévu, cette opération LTRO (pour «Long-Term Refinancing Operation») a été reconduite mercredi dernier avec, cette fois-ci, 800 établissements y participant pour 529 milliards d’euros.

 Pour l’instant, ces mesures dites «d’assouplissement quantitatif» à la sauce européenne, destinées à stabiliser le système financier et relancer le crédit, semblent avoir un effet important. Mais pas seulement sur les problèmes de liquidités des banques. Dans une note récente, les analystes de HSBC accordaient la quasi-totalité de la performance des marchés boursiers ces deux derniers mois au premier volet de cette opération. «Mettre à la disposition des banques des liquidités de manière illimitée a un effet psychologique ­indéniable sur les marchés», confirme Fabrizio Quirighetti, chef économiste à la banque Syz & Co. «Ce pragmatisme de la BCE a également permis aux banques de se refinancer, de renforcer leur bilan, de rouvrir les vannes du crédit pour certaines d’entre elles et d’acquérir également des emprunts souverains de pays périphériques avec une maturité allant jusqu’à trois ans», reconnaît cependant ce dernier. La meilleure preuve? Les taux d’intérêt réclamés à l’Italie pour emprunter sur deux ans sont passés de 7,5% à la fin du mois de novembre à 1,7% vendredi.

 Pourtant, nombre d’analystes craignent que l’euphorie actuelle ne dure pas, tant les sources d’incertitudes demeurent nombreuses. En rappelant les tensions politiques avec l’Iran et leurs répercussions sur les prix du pétrole. Ou en soulignant le maintien de la crise de la dette en zone euro avec, notamment, l’Espagne qui a d’ores et déjà annoncé qu’elle ne tiendrait pas son déficit budgétaire cette année. «Même les Etats-Unis devront un jour recourir à des mesures d’austérité», souligne Fabrizio Quirighetti.

 Thomas Stücki, responsable des investissements chez Hyposwiss Private Bank, reste, lui aussi, prudent. «Avec les bonnes nouvelles de ces derniers mois, les attentes des investisseurs ont été revues à la hausse, explique-t-il. Or, je ne crois pas que l’on assistera à d’autres surprises positives dans un avenir proche. Il paraît même probable que la Grèce finira par quitter la zone euro. Les marchés ont donc de grandes chances d’être déçus.»

 Des doutes partagés par Fabrizio Quirighetti. «Après l’opération LTRO en Europe, je ne vois pas ce qui pourrait encore arranger la ­situation», souligne-t-il. D’autant plus que la Fed et son président Bernanke ont laissé entendre, mercredi dernier, qu’un nouveau programme d’injection massive de dollars frais dans le système (QE3) n’était pas nécessaire… dans l’état actuel. Selon l’économiste genevois, «au même titre que les marchés aiment à se faire peur, ils ont eu tendance, récemment, à prendre leurs désirs pour des réalités».

 Pour l’heure, les experts recommandent aux investisseurs de ne pas hésiter à encaisser leurs bénéfices pendant qu’il en est encore temps. «Les marchés vont rester très volatils ces prochaines années, prévient Thomas Stücki, avec des pics à la hausse mais également à la baisse.» Comme lui, d’autres stratèges des marchés recommandent déjà de réaliser les gains rapidement quand la situation s’améliore. Et d’attendre que la situation se dégrade à nouveau pour réinvestir.

Une pause des marchés actions est vraisemblable à court terme. Car le potentiel de hausse s’est épuisé dans l’immédiat  sur une base fondamentale. Les actions de sociétés de qualité affichent des multiples cours/bénéfices (P/E) ou cours/free cash flow (P/FCF) de l’ordre de 20, voire plus.

 A plus long terme, les actions constituent la classe d’actifs non seulement la plus attractive en termes de rendement, mais aussi la plus sûre. Notamment comme protection contre une éventuelle inflation ultérieure. En attendant, dès que l’on évoque cet élément, les valeurs telles que l’or ou d’autres matières premières surgissent toujours à l’esprit.

  En revanche, peu de gens savent que les actions peuvent également protéger contre l’inflation, selon l’investisseur et créateur de GMO, Jeremy Grantham. Dans les faits, les actions se trouvent sous pression à court terme en cas d’inflation.  Elles retrouvent cependant toujours leur niveau ou leur tendance réels à long terme. La raison en est relativement simple. Les entreprises, dont la valeur sous-tend celles des actions (une action étant une fraction de la valeur nette de l’entreprise), produisent des biens réels dont ont réellement besoin les personnes. 

Par contre, les emprunts obligataires n’offrent aucune protection contre l’inflation. Leur valeur s’érode si fortement dans un environnement inflationniste que ces titres peuvent même procurer un rendement négatif dans la durée. Le capital n’est pas préservé. Un précepte d’investissement à respecter est la patience, être patient et se concentrer sur le long terme. Les bons titres prennent toujours soins d’eux-mêmes. Le temps est l’ami des belles affaires et l’ennemi des affaires médiocres. A la condition ne pas surpayer de telles actions. 

La patience est ici primordiale puisqu’elle permet d’acquérir des titres à un prix avantageux, comme en août 2011 par exemple, et d’obtenir, de ce fait, une marge de sécurité. Sans mettre tous ses œufs dans le même panier mais en procédant à une certaine diversification.

source le temps/agefi mars2012

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