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Prudence: le détonateur grec est très loin d’être désamorcé

Prudence: le détonateur grec est très loin d’être désamorcé

La zone euro (construction bancale) est confrontée à des problèmes structurels quasi insurmontables.

 L’instabilité grandissante de la zone euro a conduit les rendements des emprunts germaniques à des profondeurs inédites: moins de 1.5% à dix ans d’échéance! L’éclatement du marché des capitaux souverains en euro s’est aggravé à la suite du résultat chaotique issu du scrutin grec et du renflouement de la banque espagnole «Bankia».

La Grèce est désormais ingouvernable, ce qui place ses bailleurs de fonds publics dans une situation difficile. Dans l’urgence, la Troïka a donné son accord au versement d’une tranche d’aide de 4.2 milliards d’euros destinés à rembourser une obligation due à la BCE et, sous réserve, à un emprunt international de 450 millions d’euros arrivant à échéance ce mardi 15 mai! Ces fonds prêtés à la Grèce seront donc immédiatement retournés à l’expéditeur, voire à quelques créanciers privés miraculeusement épargnés… En d’autres termes, le versement européen ne doit pas être perçu comme le gage d’un soutien durable. Les prochains versements prévus sont sérieusement remis en question par le vote de protestation des Grecs et la cuisante défaite des partis prêts à collaborer avec l’Union européenne, la BCE et le FMI.

 Il faut faire preuve d’un grand optimisme pour espérer une issue favorable à la crise grecque. Même après la restructuration de la dette en mains des créanciers privés, les dernières projections budgétaires publiées vendredi par la Commission Européenne mettent en lumière un problème qui semble insoluble : le taux d’endettement de 168 % prévu à fin 2013 (198 % avant le PSI, selon le projection de l’automne passé) réclame des années d’austérité, soit des perspectives totalement irréalistes au regard de la fatigue illustrée par les dernière élections. Ce constat invite à spéculer sur une sortie de la Grèce hors de la zone euro. 

Longtemps jugé impensable, ce scénario pourrait avoir des conséquences incalculables. Les pertes pour le reste du monde se chiffreraient aux environs de 400 milliards d’euros, mais les ramifications systémiques pourraient se révéler beaucoup plus graves en raison de la fragilité du «pare-feu» censé protéger les grands dominos que sont l’Espagne et l’Italie.

Pour les économistes de la banque Deka, cités lundi par Die Welt, le coût d’un retrait de la Grèce, synonyme de non-remboursement des aides consenties par Berlin, serait de 86 milliards d’euros, rien que pour les contribuables allemands.Et il pourrait grimper à plus de 100 milliards d’euros en prenant en compte la part de l’Allemagne au FMI, également un créancier de la Grèce, ainsi que les pertes à éponger chez les banques publiques régionales.

Selon son rapport, l’Allemagne devrait passer en pertes les 15,2 milliards de sa contribution au premier plan de sauvetage. Depuis, le fonds de sauvetage de l’Europe a versé 103,7 milliards d’euros à la Grèce, dont 30 milliards provenaient d’Allemagne. 

La Banque Centrale Européenne (BCE) a acheté 50 milliards d’euros d’obligations souveraines grecques ; la part de l’Allemagne dans cette créance est de 1,3 milliards d’euros. Enfin, la banque centrale allemande, la Bundesbank, devrait effacer 28 milliards d’euros de paiements qu’elle a effectués dans le cadre du TARGET2 (Trans-European Automated Real-time Gross Settlement Express Transfer System), le système de transfert de paiements pour les gros montants entre les banques centrales de la zone euro. Si la Grèce fait défaut auprès du Fonds Monétaire International (FMI) qui a aussi contribué à son plan de sauvetage, l’Allemagne perdrait là encore 2,69 milliards d’euros.

 Il existe deux relais de contagion grec pour la France. D’abord budgétaire: l’État pourrait perdre jusqu’à 58,5 milliards d’euros. Cette somme correspond à l’addition des deux prêts accordés via le fonds de secours européen pour un montant total de 26,4 milliards à quoi il faut rajouter la part que la France devra verser pour combler les pertes essuyées par la BCE et le FMI si ces derniers ne sont pas remboursés par la Grèce (10,5 milliards au total). En outre, d’après Fitch, la France pourrait devoir refinancer jusqu’à 22,2 milliards le réseau des banques centrales de la zone euro. Le deuxième coût est d’ordre privé et concerne l’exposition des entreprises et des banques à la Grèce. Ces dernières ainsi que les assureurs ont circonscrit une grande partie de leurs risques lors de l’opération historique de restructuration achevée en mars dernier.

Cette opération massive a coûté au secteur bancaire français près de 7 milliards d’euros en 2011. En parallèle de ces provisions, les cinq grands groupes hexagonaux se sont massivement délestés de leurs créances. Ils ne sont plus aujourd’hui exposés au risque grec qu’à hauteur d’un peu plus de 2 milliards d’euros, selon la Banque des règlements internationaux. Le Crédit agricole, présent localement, inquiète toutefois. Au premier trimestre 2012, sa filiale, Emporiki, lui a encore coûté 940 millions d’euros. Les analystes évoquent une facture globale de 7 milliards.

 

PLUS DEUROPE EN SUIVANT :

Si la Grèce fait figure de détonateur, l’Espagne constitue aujourd’hui la charge explosive la plus menacée et la plus menaçante. Bien que la dette publique y soit deux fois plus faible qu’en Grèce, l’Espagne est confrontée à des ajustements structurels très lourds qui pourraient tuer le patient, avant que les premiers signes de rétablissement ne se manifestent. Cité en exemple en 2008, le système bancaire espagnol est relégué au rang de cancre. Effets pervers des LTROs, la dépendance des banques espagnoles aux fonds prêtés par la BCE est perçue comme un stigmate (ce qui explique en partie les réticences de la BCE à s’engager dans une troisième opération du même type).

La dette des banques espagnoles envers la BCE a atteint en avril un record historique, à 263,5 milliards d’euros, dopée notamment par les récents prêts à taux avantageux accordés aux banques par la BCE. Ce chiffre, qui est aussi un indice de la capacité ou non des banques espagnoles à recourir au marché (au lieu de la BCE) pour se financer, avait déjà atteint un sommet en mars, à 227,6 milliards d’euros, selon la Banque d’Espagne qui publie ces données depuis 1999. Le recours des banques espagnoles à la BCE, qui avait grimpé jusqu’à 131,9 milliards d’euros en juillet 2010, avait depuis régulièrement baissé, descendant jusqu’à 42,23 milliards en avril 2011.

 

Loin de calmer les esprits, le renflouement de «Bankia» entrepris la semaine passée est symptomatique des demi-mesures privilégiées par les gouvernements espagnols, d’abord socialiste puis conservateur. A cet égard, le relèvement du taux de provisionnement des prêts immobiliers douteux est jugé insuffisant par une grande majorité d’observateurs. L’industrie financière et ses régulateurs espagnols souffrent d’un fort déficit de crédibilité. Les statistiques de défaillances seraient «biaisées» et les actifs artificiellement surévalués. La frilosité du gouvernement s’explique par un manque de ressources financières et la volonté d’échapper au sort de l’Irlande, terrassée par la recapitalisation de ses banques (dont les investisseurs se méfient encore). Il n’existe pas de remède miracle aux maux du système bancaire espagnol, mais une approche plus tranchée et une recapitalisation avec des fonds communautaires semblent nécessaires.

Si l’Italie n’est pas actuellement au centre des inquiétudes des investisseurs, son endettement massif implique de grands risques d’assister à une révolte des citoyens contre l’austérité. Les premiers signes de fatigue sont déjà perceptibles et il sera difficile de maintenir un cap budgétaire restrictif durant de longues années sans que cela n’implique des troubles sociopolitiques.

  

Porte-drapeau des pourfendeurs de l’austérité, François Hollande s’apprête à entrer en fonction et rencontrera immédiatement Angela Merkel pour une rencontre informelle. Si cette relation ne débute pas sous les meilleurs auspices, les deux parties devraient néanmoins se montrer conciliantes. Le Président socialiste n’est pas fondamentalement opposé au rétablissement de la discipline budgétaire, tandis que la Chancelière a certainement conscience que l’Allemagne doit faciliter les efforts de ses partenaires les plus vulnérables de la zone euro en promouvant quelques mesures de relance à l’échelle communautaire.

« L’Esprit français  » en buée 

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L’idée d’un «plan Marshall» fait son chemin: quelques centaines de milliards d’euros éviteront à François Hollande de perdre la face, tout en permettant aux Allemands de se montrer un peu plus solidaires – ou moins égoïstes selon le point de vue. En cela, la zone euro appliquera des vieilles recettes longtemps utilisées au Japon, avec l’efficacité que l’on sait. Une renégociation du pacte fiscal semble en revanche hors de question… ce qui ne signifie pas qu’il sera scrupuleusement respecté. Quant à la BCE, l’Allemagne défendra farouchement son indépendance à l’égard des gouvernements et continuera à s’opposer à toute «monétisation» des dettes publiques.

 François Christen/ Dynagest SA à Genève/agefi mai12+Agences

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