Another BRIC in the Wall

Another BRIC in the Wall : Loin du découplage l’Inde traverse un été épouvantable.

Another BRIC in the Wall : Loin du découplage  l’Inde traverse un été épouvantable.

Chitra Subramaniam-Duella: «Les Indiens sont devenus agressifs et se battent pour des futilités» En plus des tensions religieuses, l’économie indienne cale et suscite colère et violence. De retour d’Inde, Chitra Subramaniam-Duella, femme d’affaires, témoigne

 Le premier ministre Manmohan Singh miné par une affaire de corruption, le parlement paralysé par l’opposition, une manifestation anti-corruption réprimée dans la violence, des tensions religieuses qui ont mis le pays sur le qui-vive, des black-out dans plusieurs régions et une économie qui régresse: décidément, l’Inde traverse un été épouvantable.

 

D’origine indienne et installée en Suisse depuis trente ans, Chitra Subramaniam-Duella, ancienne journaliste connue pour avoir déterré, dans les années 90, un scandale de ventes d’armes à l’armée indienne et de commissions déposées dans des banques suisses, dirige à présent un bureau de conseil pour les entreprises suisses installées en Inde. Elle revient du pays et raconte.

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Le Temps: Qu’avez-vous constaté sur place?

Chitra Subramaniam-Duella: Mon travail m’emmène régulièrement au pays. C’est la première fois que j’ai rencontré de jeunes gens qui veulent quitter le pays à tout prix. Jusqu’à récemment, ils disaient que le monde venait à eux et offrait beaucoup de possibilités d’emplois bien payés et de promotion sociale. A un niveau social plus élevé, j’ai constaté que des Indiens placent leur argent, de façon tout à fait légale, à l’étranger. Mais j’ai été encore plus choquée de voir qu’il n’y a personne vers qui se tourner en cas de problème. Cela peut concerner une simple connexion au système central de gaz ou des investissements dans des secteurs stratégiques. Il y a aussi beaucoup de tensions dans l’air. Les Indiens sont devenus agressifs et se battent pour des futilités. De nombreuses familles limitent leur vie sociale à un périmètre restreint, par peur de violence.

Comment est ressentie la perte de vitesse de l’économie indienne?

Le taux de croissance de 5 à 6% prévu pour cette année n’est pas suffisant. Le pays à besoin de créer 13 millions d’emplois par année pour les jeunes qui rejoignent le marché. L’Inde a l’une des populations les plus jeunes au monde. Les jeunes ont de grandes aspirations et sont impatients. Ils sont découragés, d’autant plus qu’ils voient des emplois quitter le pays pour l’Asie du Sud-Est ou l’Europe de l’Est.

– La lutte contre la corruption n’est-elle pas efficace?

Selon un proverbe indien, lorsque le poisson se met à pourrir, ça commence toujours à la tête. Il n’y a pas un jour sans un nouveau scandale qui éclate ou de nouvelles allégations qui sont faites. Regardez Coalgate [ndlr: scandale lié à l’allocation de concessions pour l’exploitation du charbon au moment ou Manmohan Singh, l’actuel premier ministre, était en charge du dossier], ce sera le «subprime» indien. On a vendu des ressources qu’on n’a pas. L’affaire se terminera, comme dans d’autres cas, devant la justice. Je rencontre des investisseurs régulièrement; ils sont inquiets. Certains d’entre eux disent qu’ils ne sont pas sûrs de décrocher des contrats, même en versant des pots-de-vin. La lutte contre la corruption est vaine. De petits poissons sont pris dans les mailles du filet, mais les requins restent en liberté. Il arrive que des puissants soient condamnés, mais ces derniers trouvent toujours les moyens de retrouver la liberté au bout de quelques mois seulement. Le malaise systémique est maintenant transformé en système pourri. La concentration de la richesse aux mains d’une poignée de familles attise la colère.

Où est passé ce sentiment qui prévalait encore récemment, selon lequel l’Inde décollait et allait faire partie des grands pays?

– «Shining India» (l’Inde qui brille), «Feel Good Factor» (sentiment de bien-être): il ne s’agissait que de slogans inventés par des agences de publicité. Comment peut-on vendre de tels mensonges alors que 50% d’enfants en Inde ne mangent pas à leur faim? Les prix grimpent semaine après semaine. Mes amis qui gagnaient bien leur vie doivent désormais compter avant de dépenser.

La situation est-elle désespérée?

Nous vivons dans un mensonge. On nous fait croire que l’ennemi se trouve à l’extérieur, que la Chine ou les Etats-Unis voudraient saboter notre économie. C’est totalement faux. L’ennemi se trouve à l’intérieur, mais nous refusons de le voir en face. Le gouvernement vient de faire un faux pas en voulant imposer des restrictions sur les médias sociaux. Lorsqu’il se trouve incapable de faire face à la situation,
il désigne les médias comme coupables.

– Y a-t-il une solution?

– L’opposition réclame la tête du premier ministre, mais ce n’est pas la solution. L’Inde a besoin de leaders qui donnent une direction stratégique. Les politiques, les entrepreneurs et les hauts fonctionnaires doivent faire front commun pour lutter contre le mal qui ronge le pays. Certaines régions produisent de bons résultats. C’est la preuve que le pays peut sortir de sa léthargie actuelle.

 Propos recueillis par Ram Etwareea/Le Temps Aout12

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L’Inde prise en étau entre inflation et ralentissement Par Mathilde Farine/Le Temps Aout12

 Corruption, baisse des investissements étrangers, réformes, le géant asiatique a plusieurs défis à relever

Demain, les idées seront plus claires sur l’ampleur du ralentissement en Inde. Alors que la croissance a été la plus faible en trois ans, à 5,3% sur les trois premiers mois de l’année, la progression du PIB pour la période d’avril à juin devrait être identique, selon un sondage de Bloomberg.

Le temps où l’Inde rivalisait avec la croissance chinoise semble lointain. Les perspectives sont à peine meilleures: le gouvernement table sur une croissance de 6,7%, après avoir prédit 7,6% en février dernier. Selon Sukumar Rajah, directeur et responsable des investissements pour les actions asiatiques chez Franklin Templeton Investments, «tant que l’inflation n’est pas revenue à des niveaux raisonnables, la croissance restera modérée, entre 5 et 7%».

L’inflation empoisonne le travail de la banque centrale indienne. Depuis sa baisse de 50 points de base à 8% en avril dernier, l’institution rechigne à réduire son taux pour relancer l’activité tant que le renchérissement ne sera pas passé en dessous des 5%. Le reflux inattendu à 6,87% en juillet – le plus bas niveau en presque trois ans – lui donnera peut-être un peu plus de marge de manœuvre lors de sa réunion du 17 septembre. La faiblesse de la roupie, qui a perdu 4,7% depuis le début de l’année, n’aide pas puisqu’elle augmente les pressions sur l’inflation, le pays important 80% du pétrole utilisé.

Fête boursière

L’économie indienne a également souffert d’un ralentissement des investissements directs étrangers (IDE). Durant la période d’avril à juin, ces flux ont chuté de 67%, à 4,4 milliards de dollars. Plusieurs scandales de corruption ont refroidi les ardeurs de certains investisseurs étrangers, tandis que des problèmes d’infrastructure plombent toujours l’économie.

Pourtant, la bourse indienne caracole en tête des places financières asiatiques. Sukumar Rajah estime que «la majorité des entreprises indiennes ont bien géré le ralentissement et continuent de faire de solides bénéfices». Les investisseurs étrangers se sont à nouveau intéressés à la bourse de Bombay avec des flux de 11,5 milliards de dollars depuis janvier, après une sous-performance en 2011, poursuit l’expert.

La politique demeure un point sensible. Alors que le gouvernement subit les pressions des partis d’opposition, des réformes sont considérées comme essentielles. Sukumar Rajah estime qu’il faut s’attaquer en priorité au déficit budgétaire et à la réforme pour attirer des investissements étrangers, notamment dans les secteurs de l’assurance et de la distribution. Cette dernière avait été lancée puis suspendue.

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L’Inde menace d’agir contre Twitter après des menaces de violence ethnique

L’Inde menace d’agir contre Twitter après des menaces de violence ethnique L’Inde reproche au site de microblogging d’avoir relayé des messages qui attisent les tensions ethniques contre des migrants du nord-est du pays, rapporte ce jeudi le quotidien «Times of India»

Des dizaines de milliers de personnes ont fui les villes de Bangalore et de Bombay ces derniers jours pour rentrer dans l’Etat de l’Assam (nord-est). Cet exode a été déclenché par l’envoi de menaces sur les téléphones portables et Internet affirmant que les Assamais seraient attaqués par des musulmans après la fin du ramadan, en représailles à de récentes violences interethniques qui ont opposé les deux communautés dans cet Etat reculé de l’Inde.

Le gouvernement a demandé à Twitter et à d’autres sites de réseaux sociaux de supprimer du contenu «malfaisant et incendiaire». Il a aussi bloqué des pages internet et l’envoi de textos «de masse».

«Si Twitter ne répond pas à notre requête, nous prendrons des mesures appropriées», a indiqué un responsable au sein du Ministère de l’intérieur, R.K. Singh, cité dans le «Times of India». «Nous avons demandé au Ministère des technologies de l’information de leur adresser un préavis», a-t-il ajouté. Selon le quotidien, le gouvernement a demandé aux sites de répondre d’ici à ce jeudi.

Les représentants de Twitter en Inde n’étaient pas joignables dans l’immédiat, mais Facebook et Google ont indiqué cette semaine qu’ils étaient en contact avec le gouvernement et qu’ils disposaient déjà d’une politique interdisant les contenus incitant à la violence.

Le ministre en charge des Technologies de l’information, Kapil Sibal, s’est toutefois dit frustré de leurs réponses. «Lorsqu’on demande à ces sites d’enquêter sur l’identité des personnes postant des messages, ils répondent qu’ils sont hors de leur juridiction, que leurs serveurs sont à l’étranger et qu’ils n’ont pas l’obligation de dévoiler les identités. Cela veut donc dire que c’est une plateforme où n’importe qui peut faire n’importe quoi», s’est-il plaint mercredi.

Dans l’Assam, les violences entre musulmans et une tribu locale, la tribu Bodo, ont déjà fait 80 morts et provoqué le déplacement de plus de 400’000 personnes au cours du mois écoulé, selon les autorités. Les deux communautés se disputent depuis des années la propriété de terres.

Source AFP Aout12

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Quel avenir pour l’Inde à l’aube de ses 65 ans? Par Jean-Pierre Lehmann  Professeur émérite
en économie politique internationale à l’IMD et agrégé supérieur de recherche auprès du Fung Global Institut à Hongkong.

 Le 15 août, l’Inde a fêté les 65 ans de son indépendance. En Inde, le «chaos» demeure. Comme l’a déploré Ed Luce dans son excellente étude sur l’Inde, In Spite of the Gods (En dépit des dieux), si la pauvreté de l’Afrique est une tragédie, celle de l’Inde est un scandale. Alors que 50% des enfants de moins de cinq ans vont se coucher le ventre vide, 30% des produits agricoles indiens pourrissent parce que le pays n’a pas réussi à développer une chaîne d’approvisionnement viable.

 Comparativement aux autres pays du monde, et notamment à son grand voisin la Chine, sa population est très jeune. Plus de 50% des Indiens sont âgés de moins de 25 ans. En 2020, en Inde, l’âge médian sera de 29 ans (contre 38 en Chine); et en 2050, avec son 1,6 milliard d’habitants, l’Inde sera de loin la plus grande nation du monde. Par définition, il s’agit d’un poids lourd mondial.

Mais avant de réfléchir à ce que sera l’Inde à l’avenir, examinons d’où elle vient. Quand on a demandé à Gandhi ce qu’il pensait de la civilisation occidentale, il a répondu ceci: «Je pense que ce serait une bonne idée.» D’après lui, il y avait un abîme entre les idéaux de la civilisation occidentale et ses pratiques. Il l’a résumé ainsi: «Si les chrétiens vivaient vraiment selon les enseignements du Christ, toute l’Inde serait chrétienne aujourd’hui.»

J’ai visité l’Inde pour la première fois en 1962, puis j’y suis retourné souvent durant le demi-siècle qui a suivi. Le commentaire de Gandhi concernant la civilisation occidentale vaut également pour la civilisation indienne. Elle est magnifique, et plus que toute autre, elle contient une superbe combinaison de spiritualité et d’humanité. Elle est extrêmement riche du point de vue des arts et des sciences, des mathématiques et de la philosophie, de l’architecture et de la littérature. Elle est remarquablement innovante. Elle est très «vivante». Ce n’est pas une civilisation morte remplie de monuments touristiques, comme la Grèce, l’Egypte, le Cambodge et le Pérou.

Cependant, malgré tout son éclat, la société contemporaine indienne se distingue par sa corruption, ses centaines de millions de pauvres, ses enfants sous-alimentés, son inefficacité, ses inégalités, ses injustices et son évidente cruauté. Les romans indiens, tels que L’équilibre du monde de Rohinton Mistry ou Le tigre blanc d’Aravind Adiga témoignent avec force de ces tragiques conditions.

Il faut dire que l’indépendance de l’Inde en 1947 n’a pas démarré sous les meilleurs auspices. La colonisation britannique, qui a duré 190 ans, a surtout recherché la stabilité et la continuité et imposé très peu de réformes. En conséquence, le système social féodal de la société indienne a perduré, et les Britanniques n’ont fait que s’y superposer.

Durant les cinq décennies qui ont précédé l’indépendance, l’Inde ne s’est pas réformée et sa croissance économique a été nulle. Quand les Anglais sont partis, la majorité des Indiens étaient des paysans, pauvres et illettrés, vivant au sein d’un système social obsolète, à la fois hiérarchique et féodal. De plus, il leur restait la grande malédiction du «diviser pour mieux régner» typique de la politique britannique, avec la création de deux Etats: l’Inde et le Pakistan.

L’échange des populations entre ces deux Etats s’est traduit par la plus grande migration forcée de tous les temps et par des centaines de milliers de morts. Ce traumatisme et ses conséquences ont été brillamment décrits dans Les Enfants de minuit de Salman Rushdie, un livre incontournable pour comprendre les origines de la profonde cicatrice entre les deux sociétés du Pakistan et de l’Inde.

Durant les 45 ans suivant l’indépendance du pays, la société et l’économie indiennes se sont composées d’une large base agricole, sur laquelle est venue s’ajouter une politique industrialisée de substitution aux importations, planifiée et centralisée, menée par un mélange d’entreprises familiales en situation oligopolistique et d’entreprises publiques. La faible croissance de l’Inde durant cette période contrastait avec celle de ses voisins de l’Asie de l’Est, orientés vers l’exportation, et investissant dans l’éducation des masses et une infrastructure solide.

Quand en 1991, l’Inde s’est finalement embarquée dans un programme de réformes, il en est résulté ce que l’homme d’affaires ­Gurcharan Das a appelé Le réveil de l’Inde (le titre de son livre). Son économie fonctionnait à plein régime et l’industrie cinématographique de Bollywood a acquis une notoriété ­mondiale. Le pays est devenu, en théorie et dans la réalité, un leader du secteur des technologies de l’information, un acteur politique et un pouvoir nucléaire majeur au plan mondial. «L’Inde brillante» s’est muée en «Inde incroyable».

Malheureusement, à l’heure de son 65e anniversaire, la situation n’est plus si bonne que ça. La croissance a plongé, les politiciens se sont enlisés dans la corruption, la pauvreté perdure et l’image de l’Inde est ternie.

Malgré ces perspectives sinistres, l’Inde demeure un Etat unifié; elle est la plus grande démocratie du monde et elle le restera, malgré une certaine agitation. Elle possède une diaspora mondiale très talentueuse. Elle est un laboratoire d’innovation scientifique et technologique; et les auteurs et les chercheurs indiens produisent les publications littéraires et ­académiques de langue anglaise parmi les plus provocantes du point de vue intellectuel. Les Indiens possèdent un énorme «pouvoir d’influence» qui ne fera que croître.

Comment libérer le potentiel de l’Inde et exploiter intelligemment le jeune dividende démographique dont elle bénéficiera dans les décennies à venir n’est pas un secret. Les réformes sociales, politiques et économiques doivent être poursuivies, voire intensifiées, avec en particulier un développement des infrastructures et de l’éducation de masse.

Ceci exige un changement d’état d’esprit de la part des élites indiennes, qui devraient déjà commencer par payer des impôts. Mettre en pratique, d’ici à 2020, la «bonne idée» d’une civilisation indienne aura un impact gigantesque non seulement sur les 1,4 milliard d’Indiens, mais également sur les 6,2 milliards d’habitants de la planète. La civilisation indienne, dans son passé comme dans son présent, est mieux qu’une bonne idée, c’est une idée magnifique. Nous devons espérer, et exhorter les Indiens à la réaliser.

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