L’exception économique française peut-elle perdurer indéfiniment? par Andréas Hofert
On peut se montrer pessimiste quant à l’avenir de la France dans cette crise de l’eurozone. Le projet gouvernemental sera insuffisant.
«Nous sommes en 50 avant J.-C. Toute la Gaule est occupée par les Romains. Toute? Non, car un village peuplé d’irréductibles Gaulois résiste encore et toujours à l’envahisseur.» Les initiés auront immédiatement reconnu les premières phrases des albums d’Astérix.
Plus qu’un vaillant guerrier gaulois déjouant les complots de sournois Romains grâce à son esprit et à la force qu’il tire de la potion magique, Astérix peut être vu comme une métaphore du regard que les Français aiment à porter sur eux-mêmes: rebelles, frondeurs, farouchement indépendants et un peu spéciaux.
L’»exception française» a souvent façonné la politique de nos voisins: depuis la décision du général De Gaulle de quitter le commandement intégré de l’OTAN en 1966 jusqu’à l’introduction du concept d’»exception culturelle» dans les accords du GATT et les négociations de l’OMC dans les années 1990.
Elle s’est aussi souvent traduite dans la façon dont les Français sont informés par rapport aux crises internationales, par exemple après l’accident nucléaire de Tchernobyl en 1986. Alors que, dans l’ensemble des pays d’Europe de l’Ouest, les autorités avaient prévenu les habitants des risques du nuage radioactif, la France, elle, était restée bien plus longtemps dans un déni public. Certains humoristes en avaient conclu que le Rhin possédait des propriétés protectrices contre le rayonnement ionisant.
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Une manifestation similaire de l’exception française peut être observée depuis le début de la crise de l’euro. Alors qu’il règne une fatigue vis-à-vis des plans d’austérité en Europe du Sud et en l’Irlande tandis que l’Europe du Nord est de plus en plus lasse des plans de secours à répétition, un pays semble encore et toujours résister à la crise. Jusqu’à présent, la France n’a connu ni manifestations contre l’austérité imposée par l’Union européenne, ni débats acharnés entre économistes, experts constitutionnels et philosophes sur le bien-fondé des sauvetages européens.
On s’en tient au récit officiel de la crise, qui a certes changé ces derniers mois passant du scénario «Merkozy», de la France partenaire junior et meilleur ami d’une Allemagne encline à l’austérité, à celui du président Hollande, fer de lance d’une coalition latine en faveur de la «croissance» avec l’Italie de Monti et l’Espagne de Rajoy. Pourtant, et l’un, et l’autre de ces deux scénarios simplifient fortement pour le public français à la fois la crise de l’euro et la position de la France dans cette crise.
Il est vrai que le trésor français a pu émettre des obligations à taux d’intérêt négatif cet été, mais le pays est loin d’être solide financièrement. Le ratio dette publique/PIB devrait atteindre 100% d’ici deux-trois ans. La croissance est nulle cette année, comme probablement en 2013. Enfin, la balance commerciale fortement et structurellement négative traduit une perte de compétitivité régulière depuis dix ans. Notamment face à l’Allemagne.
Dans ce contexte, il convient de relever que le plan d’austérité de 30 milliards d’euros approuvé récemment est extrêmement ambitieux. Souvenons-nous: la France n’a pas équilibré un seul budget depuis le début des années 1970. Elle a bien failli y parvenir à la fin des années 1990, sous le Gouvernement socialiste de Lionel Jospin. Mais à l’époque, l’infime chance d’un possible excédent budgétaire avait suscité un débat politique surréaliste à propos d’une «cagnotte fiscale» qu’il faillait dépenser de manière plus «utile» que pour rembourser la dette publique.
Plusieurs raisons invitent au pessimisme quant à l’avenir de la France au sein de la crise de l’euro. Avant tout, 30 milliards d’euros ne suffiront pas. Il en faudra plus, si l’on veut achever l’amitieux objectif de ramener les finances publiques à l’équilibre d’ici trois à cinq ans. Ce premier plan est déjà suffisamment difficile à avaler pour les Français. Etant donné le pouvoir politique de la rue en France, de fortes tensions sociales sont à prévoir.
De plus, le plan d’austérité actuel repose pour trois quarts sur des hausses d’impôts et non sur une réduction des dépenses publiques. La charge fiscale étant déjà très lourde en France, les hausses d’impôts auront un impact fiscal négatif sur la croissance. Cet impact négatif sera vraisemblablement bien plus important que celui que provoquerait une baisse des dépenses. La France prend ici le risque d’entrer dans une spirale d’austérité et de croissance cassée similaire à celles des pays d’Europe du Sud.
Enfin, il faut se pencher sur la question de la compétitivité, ce qui ne manquera pas d’accroître encore un peu plus les tensions sociales. Si la France était aspirée dans le tourbillon de la crise de l’euro, je doute qu’elle trouverait facilement de la potion magique pour s’en sortir.
ANDREAS HÖFERT Chef économiste UBS Wealth Management/Agefi oct12