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Dette et répression financière Par Andreas Hofert

Dette et répression financière Par Andreas Hofert

La situation durera tant que les banques centrales ne ramèneront pas les taux du marché monétaire à un niveau au moins équivalent à celui de l’inflation.

Il y a environ deux ans, j’ai évoqué ici-même les difficultés auxquelles les investisseurs (et le public en général) font face lorsqu’ils essaient d’échapper aux Etats dans le besoin. A l’époque, je concluais que «dans les mois et les années à venir (…), le risque que les gouvernements adoptent des mesures dignes de Procuste pour ajuster leurs besoins de financement s’accentuera considérablement. Par conséquent, nous pourrions assister à une recrudescence de la répression financière, des contrôles des capitaux, des barrières douanières et commerciales et, pour finir, au déclin de la mondialisation.» Malheureusement, la répression financière s’est effectivement accrue depuis.

A l’époque, j’avais donné trois exemples de «répression financière», distincte de la fiscalité classique: tout d’abord, le décret 6102 de Roosevelt en 1933, qui prohiba la thésaurisation de l’or aux Etats-Unis et qui fut suivi par une dévalorisation du dollar américain par rapport à l’or. Ensuite, le gel de tous les comptes bancaires en dollars US, puis la conversion forcée de ceux-ci en pesos lors de la crise argentine de 2001. Enfin, la réforme des retraites en Hongrie en 2010, qui consista grosso modo à nationaliser les caisses de pension obligatoires privées et à remplacer leurs actifs par de la dette publique. Une des critiques qu’on m’a fait à l’époque, au-delà du pessimisme, était de m’appuyer sur des exemples très lointains et/ou «exotiques». Je peux désormais citer des exemples plus récents de chacune de ces trois mesures.

Après avoir augmenté progressivement les droits de douane sur l’importation d’or à 10% en 2013, le Gouvernement indien a décidé, à la mi-août, d’interdire tout simplement les importations de pièces et de médailles d’or. Ceci pour «réduire le déficit de la balance courante». Admettons. Il n’empêche qu’il s’agit aussi ici d’empêcher les Indiens de se protéger d’un taux d’inflation à plus de 10% et d’une roupie qui a dévissé de plus 20% face au dollar depuis le début de l’année. Notons que le Pakistan, ennemi héréditaire de l’Inde, a adopté des mesures similaires.

Depuis la crise du printemps dernier, Chypre a instauré un contrôle des capitaux et gelé les dépôts de sa principale banque privée pour la recapitaliser. Cette mise à contribution des investisseurs privés a été érigée en «modèle» par de nombreux dirigeants politiques européens pour faire face aux crises futures.

Début septembre semaine, le Premier ministre polonais Donald Tusk annonçait le transfert des obligations détenues par les fonds privés au sein du régime de retraite dans un fonds de retraite public. Pour l’instant, les fonds privés ne conserveraient que leurs avoirs en actions. Le Gouvernement peut donc inscrire dans les comptes publics les actifs dont il s’est emparé. Cela réduira la dette publique et donnera au Gouvernement polonais une marge de manœuvre accrue pour emprunter et dépenser.

Certains soutiendront encore que les pays auxquels je fais référence ici pour illustrer la répression financière restent «exotiques» et que, par conséquent, ces exemples sont tirés par les cheveux. Les pays «plus importants» n’ont pas encore eu recours de façon décisive à la répression financière. Pas du tout: on peut évidemment évoquer la récente décision en France de taxer rétroactivement (et ce jusqu’en 1997!) les revenus des différents plans d’épargne et d’assurance-vie à 15%, alors que ces mêmes plans d’épargne avaient été créés au départ par le Gouvernement français pour inciter nos voisins à épargner plus.

On peut aussi évoquer le Fonds monétaire international qui, dans son dernier rapport Fiscal Monitor, écrit noir sur blanc (ou plutôt noir sur rose saumon) en page 49: «La détérioration massive des finances publiques dans de nombreux pays a relancé l’intérêt d’un capital levy – un impôt unique sur la fortune privée – comme mesure exceptionnelle pour restaurer la stabilité de la dette (…). Pour réduire les ratios de dette publique par rapport au PIB aux niveau de fin 2007, pour les pays de la zone euro, un impôt d’environ 10% sur la fortune serait nécessaire.»

Enfin, si on entend par «répression financière» un moyen pour les gouvernements d’exproprier sans recourir explicitement à l’impôt, alors il suffit d’examiner la performance des placements liquides depuis la faillite de Lehman Brothers. Malgré une faible inflation et des anticipations d’inflation «solidement ancrées» comme Ben Bernanke et Mario Draghi ne cessent de nous le répéter, les épargnants qui ont placé leur argent dans des dépôts bancaires lors des cinq dernières années ont connu une érosion significative de leur pouvoir d’achat (5% en Allemagne, 9% aux Etats-Unis et plus de 11% au Royaume-Uni). Ceci non pas en raison d’une inflation élevée, mais bien de taux d’intérêt quasi nuls. Comme rien ne presse les banques centrales à ramener les taux du marché monétaire à un niveau au moins équivalent à celui de l’inflation, cette forme de répression financière est partie pour durer.

ANDREAS HÖFERT Chef économiste,  UBS Wealth Management/Agefi Suisse Mardi, 29.10.2013

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