La répression sans fatalité
LIBERTÉS ÉCONOMIQUES. Les pays arabes affichent une diversité croissante qui tend à favoriser l’Etat de droit
Le printemps arabe a agité une région déjà passablement mouvementée. Ce qui a été initié en Tunisie, on s’en souvient, par la révolte tragique d’un jeune marchand n’a toutefois guère abouti à une discussion raisonnée sur les libertés économiques. Or la démocratie, sans la démocratie du marché, à savoir la liberté de prospérer, n’a pas beaucoup de sens. «Les implications de l’absence de vision de politique économique sont sans doute sous-estimées», relève Fred McMahon, chercheur à l’institut Fraser, qui présentait hier à Bruxelles l’édition annuelle de l’indice des libertés économiques. L’expérience montre que si les changements politiques ne sont pas accompagnés de libéralisations économiques, les risques de régression sont substantiels.
Certaines caractéristiques ont rendu le développement dans les pays arabes particulièrement difficile. L’idée de marchés libres semble antinomique à une culture de paternalisme gouvernemental souvent alimenté par les revenus externes du pétrole. Le système clientéliste tend par extension à rendre les innovations et les gains de productivité moins probables. A ceci s’ajoute une aversion culturelle au travail, notamment manuel, même lorsque celui-ci est spécialisé et bien rémunéré. La Jordanie, par exemple, a pu créer entre 23.900 et 44.500 emplois par an durant la première moitié de la décennie précédente, rappelle Fred McMahon, mais ces postes ont été le plus souvent pourvus par des non-Jordaniens (alors même que durant la même période, le chômage des jeunes se montait à 30%).
La préférence assumée pour les emplois de rond-de-cuir dans l’administration publique pénalise la compétitivité du secteur privé, dans la mesure où les salaires doivent être nettement plus élevés. De plus, le système de formation est souvent déconnecté des impératifs professionnels des marchés. Et pourtant, le manque d’opportunités économiques fait clairement figure de préoccupation principale parmi les jeunes. Dans un sondage récent, 64% des manifestants égyptiens ont cité le faible niveau de vie et l’insuffisance d’emplois comme problèmes majeurs, alors que le système politique devait être réformé pour 19% d’entre eux seulement.
Si ces contradictions semblent pointer vers un avenir plutôt sombre, les perspectives s’améliorent en analysant les pays sur une base individuelle. Certains Etats du Golfe affichent un degré relativement élevé de liberté économique, sans nier le défi posé aux femmes, dont seulement 26% (soit la moitié de la moyenne mondiale) sont actives dans la région. Les émirats, le pays le plus exemplaire en termes de libre-échange et d’Etat de droit, à travers notamment la protection légale de la propriété, n’est peut-être pas par hasard celui où les droits politiques sont les moins étendus. Pour beaucoup de résidents, la valeur d’alterner des dictateurs arbitraires ou des dirigeants démagogiques à travers l’artifice des urnes n’est pas comparable à celle de bénéficier de droits individuels beaucoup plus étendus que la moyenne régionale ou mondiale. Que ce modèle puisse perdurer est une autre question: même Hong Kong, tout à fait inégalé en termes de libertés économiques, ne semble plus se contenter d’une gouvernance technocratique.
Les petits Etats s’avèrent généralement plus stables et prospères, mais aussi plus ouverts vers une diversification à terme, même si les recettes usuelles font encore foi. Le sultanat d’Oman, comme les émirats, a augmenté quelque peu les dépenses publiques et les programmes d’emplois en réponse aux troubles liés au printemps arabe. Le Qatar, en revanche, affiche une résilience à toute épreuve. La gestion de la prospérité dans une économie peu réglementée (malgré le poids de l’Etat lié à la dominance de l’énergie) en fait une sorte de Monaco pétrolifère, où le plein emploi est la règle, avec un taux de chômage de 0,6% (1,7% pour les jeunes). Le roi a abdiqué l’an dernier en faveur de son fils et les libertés civiles sont généralement mieux reconnues que ce n’est le cas ailleurs.
L’Algérie est le contre-exemple de l’économie la plus réprimée (elle est devancée par l’Iran et précède de peu le Zimbabwe). Malgré une amélioration sur le front de l’emploi sur la dernière décennie, ses scores sont souvent deux fois inférieurs à la moyenne de la région, qu’il s’agisse du poids de l’Etat, de la protection de la propriété privée ou de la liberté des échanges. S’il y a une leçon à tirer de la diversité des pays arabes, c’est qu’il n’y a pas de fatalité à cette situation.
SOURCE AGEFI SUISSE 8/10/14
1 réponse »