Le faux califat : l’atout stratégique des USA

Par Pepe Escobar – 26 mai 2015 – Source : Sputnik News
Le monde civilisé verse d’immenses larmes de crocodile devant la prise de la perle du désert de l’ancienne Route de la Soie, Palmyre, par EIIS/EIIL/Da’ech.
Et pourtant… Ni le président des USA, Barack Obama, ni les 22 pays vassaux armés jusqu’aux dents faisant théoriquement partie de sa coalition de volontaires n’ont envoyé le moindre drone équipé de missiles Hellfire contre les brutes drapées de noir du faux califat.
Il est assurément justifié de dire que l’Occident civilisé préfère avoir affaire à un califat médiéval intolérant imbibé de wahhabisme qu’à un dictateur arabe séculaire qui refuse de se prosterner devant l’autel du néolibéralisme occidental.
Il est tout autant justifié d’ajouter que ceux qui arment les décapiteurs et coupeurs de gorges du Front al-Nosra, c’est-à-dire al-Qaïda en Syrie, ou de EIIS/EIIL/Da’ech, sont essentiellement des Saoudiens, qui constituent aussi les plus grands importateurs d’armes de la planète, qu’ils achètent surtout des USA, mais aussi de la France et du Royaume-Uni.
Voilà maintenant qu’un document déclassifié de l’US Defense Intelligence Agency (DIA) rédigé en août 2012, qui a fait le tour de tous les organes gouvernementaux dont CENTCOM, la CIA et le FBI et qu’a obtenu Judicial Watch (un cabinet juridique qui veille à l’intérêt du public), confirme enfin ce qui passe pour être la stratégie de Washington dans le Levant et la péninsule arabique.
C’est qu’au même titre que le proto al-Qaïda original financé par la CIA, qui a vu le jour dans les années 1980 à Peshawar, EIIS/EIIL/Da’ech, alias al-Qaïda 2.0, remplit un seul et unique objectif géopolitique.
Pour faire court, l’Occident civilisé, de pair avec des vassaux tels que la Turquie et les pétromonarchies du Conseil de coopération du Golfe (CCG), a soutenu la branche d’al-Qaïda en Syrie pour déstabiliser Damas, même si le Pentagone avait prévu l’issue horrible de cette stratégie, à savoir l’émergence de EIIS/EIIL/Da’ech (Brad Hoff fournit tous les détails dans un texte traduit par le Saker Francophone ici).
Pour le Pentagone, c’était tout de même un atout stratégique inestimable, qui devait être lâché dans la nature pour isoler le régime syrien.
Que le rapport de la DIA ne mentionne pas que le gouvernement des USA a créé de toutes pièces EIIS/EIIL/Da’ech ou qu’il favorise le Front al-Nosra en Syrie ou le faux califat en Irak est sans importance. L’élément essentiel, c’est que le gouvernement des USA n’a absolument rien fait pour empêcher la maison des Saoud, ses sbires du CCG et la Turquie de soutenir l’opposition syrienne et d’assouvir ainsi leur désir brûlant de faciliter l’émergence d’un État sécessionniste salafiste dans l’est de la Syrie et de l’autre côté de la frontière, en territoire irakien.

Aujourd’hui, tout observateur bien informé sait que la guerre contre la terreur du régime Cheney était une fraude. Il n’est donc pas surprenant que la destruction planifiée en cours en Syrak offre l’excuse parfaite au complexe militaro-industriel des USA pour tirer des milliards de dollars de la vente de plus d’armes encore à la maison des Saoud, aux autres sbires du CCG, à Israël et à l’Irak.
Cette convergence d’intérêts, géopolitiques dans le cas du Pentagone, commerciaux pour ce qui est du complexe militaro-industriel, entre parfaitement dans le scénario de la maison des Saoud, qui consiste à dicter la politique étrangère de l’administration évitons les conneries Obama au Levant et dans la péninsule arabique.
Les 22 États membres de la coalition d’Obama se réuniront à Paris au début juin. Le Pentagone devrait alors disposer d’un véritable plan relativement à EIIS/EIIL/Da’ech : soit qu’on tente le tout pour le tout pour l’annihiler (très peu probable), soit qu’on repousse toutes ces brutes vers le Caucase (assez probable). Le plus probable en fait, c’est que le bordel actuel va se perpétuer.
On ne peut rien cacher aux Russes
Le colonel-général Igor Sergoun, chef de la Direction générale des renseignements (GRU) de l’état-major des forces armées russes, parle rarement en public. Mais lorsqu’il le fait, les plaques tectoniques géopolitiques bougent.
L’analyse de Sergoun corrobore le rapport de la DIA à la perfection. Depuis maintenant des années, les services du renseignement militaire russes ont conclu (et le font maintenant savoir au public) que le terrorisme islamique, que toute la guerre contre la terreur, en fait, sont un outil de l’Occident utilisé pour détruire les pays souverains qui osent s’opposer à la puissance hégémonique.
Comme nous le savons tous, il est évidemment beaucoup plus facile de subvertir et d’écraser la Libye ou la Syrie que la Russie ou la Chine (ou même l’Iran à vrai dire).
N’empêche que l’Empire du Chaos doit maintenant se dépatouiller pour faire face (ou faire bonne figure) devant ce retour d’ascenseur généré par sa tactique de diviser pour mieux régner. En Irak, la chute de Ramadi donne un formidable élan à la portée stratégique, au recrutement et au financement de EIIS/EIIL/Da’ech, qui a fait passer l’équipe d’Obama-évitons les conneries pour de parfaits imbéciles.

D’autant plus que les USA n’étaient pas que de simples spectateurs dans cette débâcle. Ramadi est tombée parce que le gouvernement de Bagdad refusait d’armer les tribus sunnites de la province d’Al-Anbar. Le faux califat a attaqué la ville avec une flotte de 30 camions bourrés d’explosifs conduits par des kamikazes. Les membres des tribus qui la défendaient ont dû fuir pour éviter d’être massacrés par les brutes du califat.
Que faisait le Pentagone ? Rien, ce qui entre en contradiction avec les accusations trompeuses de son chef Ash Carter, qui a dit que les Irakiens manquaient de volonté à combattre. Le Pentagone n’a rien fait non plus à Tikrit, lorsque les États-uniens ont refusé de combattre le faux califat aux côtés de milices chiites dirigées par des officiers iraniens qui relevaient directement de Qasem Soleimani, la superstar de la Force Al-Qods.
Le match oppose l’Iran et les décapiteurs
La chute de Ramadi montre à l’évidence que la véritable puissance qui lutte contre EIIS/EIIL/Da’ech en Irak ce ne sont pas les USA, mais l’Iran. Les milices chiites sont d’ailleurs déjà en train d’être incorporées dans les forces de sécurité irakiennes.
Ezzat al-Douri, l’ancien numéro deux de Saddam Hussein que les USA n’ont pas encore capturé, a diffusé des messages où il évoquait un besoin d’aide urgent en armes de la part des suspects habituels, les Saoudiens. Alors qu’ils tentaient d’armer les tribus de la province d’al-Anbar à partir de la Jordanie, devinez qui a mis un holà ? Washington. Conformément aux règles hésitantes de l’administration Obama, la Jordanie ne peut donner suite aux efforts saoudiens sans l’autorisation directe de Bagdad, qui n’est jamais venue.
Cette pagaille n’est qu’un exemple du double jeu incessant auquel se livre l’Empire du Chaos dans sa guerre contre la terreur, qui revient en fin de compte à dire que la lutte contre EIIS/EIIL/Da’ech en Syrak n’est qu’une immense farce.
Qu’importe ce qui arrivera à Washington dans un proche avenir, que ce soit sous le règne d’Hillary-Nous sommes venus, nous avons vu, il est mort-Clinton ou de Jeb-Mon frère a eu raison d’envahir l’Irak-Bush, rien n’indique que le gouvernement des USA cessera un jour d’utiliser le terrorisme islamique comme atout stratégique.
Traduit par Daniel, relu par jj pour le Saker francophone
Pepe Escobar est l’auteur de Globalistan: How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007), Red Zone Blues: a snapshot of Baghdad during the surge (Nimble Books, 2007), Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009) et le petit dernier, Empire of Chaos (Nimble Books).
http://lesakerfrancophone.net/le-faux-califat-latout-strategique-des-usa/
Création de l’État Islamique : documents secrets US de 2012 déclassifiés
Par Brad Hoff – Le 19 mai 2015 – Levant Report
L’Occident facilitera la création d’État islamique «afin d’isoler le régime syrien», lit-on dans un document de la Defense Intelligence Agency de 2012.
Le lundi 18 mai, Judicial Watch, le groupe conservateur de vigilance du gouvernement, a publié une sélection de documents, autrefois classifiés, obtenus du Département américain de la Défense et du Département d’État grâce à un procès fédéral.
Le rapport est là (en anglais).
Alors que les grands médias se concentraient sur le traitement par la Maison Blanche de l’attaque du consulat de Benghazi, un bien plus grand tableau se dégage de la lecture d’un document de la Defense Intelligence Agency rédigé en 2012 : à savoir que l’avènement d’un «État islamique» dans l’est de la Syrie est souhaitable pour que l’Occident puisse arriver à ses fins dans la région.
De manière surprenante, le rapport récemment déclassifié stipule que pour
«l’Occident, les pays du Golfe et la Turquie [qui] soutiennent l’opposition [syrienne]… il y a la possibilité d’établir une principauté salafiste, officielle ou pas, dans l’est de la Syrie (Hasaka et der Zor), et c’est exactement ce que veulent les puissances qui soutiennent l’opposition, afin d’isoler le régime syrien …».
Le rapport de la DIA, anciennement classé SECRET // NOFORN 1 et daté du 12 août 2012, a été largement diffusé dans les divers organes gouvernementaux, y compris CENTCOM, la CIA, le FBI, le DHS, NGA, le Département d’État et beaucoup d’autres.
Le document montre que, dès 2012, le renseignement américain avait prédit la montée d’État Islamique en Irak et au Levant (ISIL ou ISIS), mais au lieu de désigner clairement le groupe comme un ennemi, le rapport considère le groupe terroriste comme un atout stratégique américain.
Bien qu’un certain nombre d’analystes et de journalistes documentent depuis longtemps le rôle des agences de renseignement occidentales dans la formation et l’entrainement de l’opposition armée en Syrie, ce document constitue la confirmation par les plus hautes sphères du Renseignement étasunien de l’idée que les gouvernements occidentaux voient essentiellement ISIS comme le meilleur moyen de parvenir à un changement de régime en Syrie. Non seulement ce document le dit clairement mais il le dit comme si c’était la chose la plus naturelle qui soit.
Des preuves matérielles, des vidéos, ainsi que les récents aveux de hauts fonctionnaires impliqués (voir l’aveu de l’ancien ambassadeur de la Syrie, Robert Ford, ici et ici), ont, depuis, prouvé que le soutien matériel des terroristes d’ISIS sur le champ de bataille syrien par le Département d’État et la CIA remonte à au moins 2012 et 2013 (pour un exemple clair de preuves matérielles: voir le rapport de l’organisation anglaise, Conflict Armement Research, qui, en remontant la trace des roquettes anti-chars croates récupérées auprès de combattants ISIS, est arrivée à un programme conjoint CIA /Arabie saoudite via des numéros de série identifiables).
On peut résumer ainsi les points clés du rapport de la DIA, concernant «ISI» (en 2012 : État islamique en Irak) et son futur compère ISIS, qui vient d’être déclassifié :
- Al-Qaïda conduit l’opposition en Syrie
- L’Occident s’identifie avec l’opposition
- L’établissement d’un État islamique naissant n’est devenu réalité qu’avec la montée de l’insurrection syrienne (il n’y a aucune raison de penser que le retrait des troupes américaines d’Irak ait joué le rôle de catalyseur dans l’essor d’État islamique, comme l’affirment d’innombrables politiciens et experts ; voir la section 4 .D. ci-dessous)
- La mise en place d’une principauté salafiste en Syrie orientale est exactement ce que veulent les puissances extérieures qui soutiennent l’opposition (identifiées comme l’Occident, les pays du Golfe, et la Turquie) pour affaiblir le gouvernement d’Assad
- Il est suggéré de créer des lieux de refuge sûrs dans les zones conquises par les insurgés islamistes, comme cela a été fait en Libye (ce qui dans les faits, se traduit par une prétendue zone d’exclusion aérienne comme premier acte d’une guerre humanitaire; voir 7.B.)
- L’Irak est identifié à l’expansion chiite (de 8.C)
- Un État islamique sunnite pourrait empêcher l’unification de l’Irak et pourrait «faciliter à nouveau l’entrée d’éléments terroristes de tout le monde arabe dans l’arène irakienne.» (Voir la dernière ligne du PDF.)
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Ce qui suit est extrait du rapport de sept pages déclassifié de la DIA (C’est moi qui ai mis en gras certaines phrases) :
R 050839Z 12 août
…
La situation générale:
A l’intérieur, les événements prennent une tournure clairement sectaire.
Les Salafistes [sic], Les Frères musulmans et Al-Qaïda – Irak, sont les forces principales de l’insurrection en Syrie.
L’Occident, les pays du Golfe et la Turquie soutiennent l’opposition, tandis que la Russie, la Chine et l’Iran soutiennent le régime.
…
3.C. Al-Qaïda en Irak (IQA): … B. IQA soutient l’opposition syrienne depuis le début, à la fois idéologiquement et dans les médias …
…
4.D. IQA a perdu du terrain dans les provinces de l’ouest de l’Irak en 2009 et 2010 ; cependant, après la montée de l’insurrection en Syrie, les pouvoirs religieux et tribaux régionaux ont sympathisé avec le soulèvement sectaire. Cette (sympathie) s’est concrétisée par l’appel à bénévoles pour soutenir les sunnites [sic] en Syrie, dans les sermons du vendredi.
…
(C) Hypothèses sur le développement futur de la crise :
le régime va survivre et garder le contrôle du territoire syrien.
Évolution de la situation actuelle en guerre par procuration : … les forces d’opposition tentent de contrôler les zones orientales (Hasaka et Der Zor), qui touchent les provinces irakiennes orientales (Mossoul et Anbar), en plus des frontières turques voisines. Les pays occidentaux, les pays du Golfe et la Turquie soutiennent ces efforts. Cette hypothèse, qui est la plus probable étant donné ce que nous savons des événements récents, permettra de préparer des lieux de refuges sûrs sous contrôle international comme cela a été fait en Libye quand Benghazi a été choisi comme centre de commande du gouvernement provisoire.
…
8.C. Si la situation se détériore, on pourra établir une principauté salafiste, officielle ou pas, dans l’est de la Syrie (Hasaka et Der Zor), Et c’est exactement ce que veulent les puissances qui soutiennent l’opposition, afin d’isoler le régime syrien qui est considéré comme l’extrémité stratégique de l’expansion shiite (Irak et l’Iran)
8.D.1. … ISI pourrait aussi constituer un État islamique en s’unissant avec d’autres organisations terroristes en Irak et en Syrie, ce qui mettrait gravement en danger l’unification de l’Irak et la défense de son territoire.
Traduction : Dominique Muselet pour le Saker Francophone
http://lesakerfrancophone.net/creation-de-letat-islamique-documents-secrets-us-de-2012-declassifies/
Les mesures de lutte contre Daech mises en place par le gouvernement français sont-elles suffisantes?
vendredi, 29 mai 2015 Ecole de Guerre Economique
Christian Harbulot, directeur de l’Ecole de Guerre Economique et auteur du Rapport d’alerte «Comment lutter contre Daech», publie une vidéo dans laquelle il analyse la nécessité pour la France de changer de stratégie suite à la déclassification du rapport américain de la DIA et s’interroge sur l’efficacité des mesures annoncées par le premier ministre Valls.
Par la suite, il est démontré par les faits que cette manœuvre géopolitique américaine a mis la France dans une situation totalement contradictoire:
• sur le plan diplomatique, le gouvernement français soutient la position américaine et saoudienne contre le régime syrien ;
• sur le plan intérieur, les forces de sécurité françaises doivent affronter des terroristes qui se revendiquent de Daech et qui tuent des Français sur le territoire national.
http://www.ege.fr/index.php/actualites/multimedia/item/video-les-mesures-de-lutte-contre-daech-mises-en-place-par-le-gouvernement-sont-elles-suffisantes.html
La grande mue d’Al-Qaida?
Luis Lema/ Le Temps 29/5/15
Interviewé sur Al-Jazira, Abou Mohamed al-Golani (de dos et couvert d’un châle), le chef d’Al-Nosra, a la volonté de conquérir la capitale syrienne. (Al Jazeera)
Le chef de la branche syrienne d’Al-Qaida, Abou Mohamed al-Golani, fait assaut de bonnes dispositions. Soutenu par les pays du Golfe, il semble en quête de respectabilité
Ce sont des déclarations en forme d’aggiornamento. La promesse d’une grande mue visant à s’adapter à la nouvelle donne internationale. Le Front Al-Nosra – qui a fait allégeance à Al-Qaida et qui contrôle une partie importante de la Syrie – veut désormais que les choses soient claires: il entend s’afficher comme une composante respectable de l’opposition au régime syrien de Bachar el-Assad.
«Les chrétiens, les alaouites, les druzes? Ils sont bienvenus pour participer aux combats, aux côtés des islamistes», a assuré leur chef, Abou Mohamed al-Golani, dans une interview-fleuve accordée à la chaîne qatarie Al-Jazira. A la condition près, il est vrai, que les alaouites acceptent de se convertir au sunnisme. «Même les Occidentaux peuvent dormir sur leurs deux oreilles», a poursuivi le chef d’Al-Nosra, dont le visage était recouvert d’un châle et qui se montrait habillé d’une simple chemise à carreaux. «Les instructions que nous avons reçues sont de ne pas utiliser le Levant (la Syrie) comme une base pour attaquer l’Occident (lire les Etats-Unis) ou l’Europe, afin de ne pas salir la guerre actuelle», précisait-il.
Le Front Al-Nosra a été inscrit sur la liste des organisations terroristes par les Etats-Unis et une série d’autres Etats à la fin 2012, en même temps que l’Etat islamique (Daech). Al-Qaida a cependant désavoué Daech au début de l’année dernière et les deux organisations sont parfois opposées sur le terrain.
Mais aujourd’hui, Al-Nosra a le vent en poupe en Syrie: avec l’aide, plus ou moins directe, de l’Arabie saoudite, du Qatar et de la Turquie, le Front a multiplié les victoires récentes face à l’armée syrienne. Son prochain objectif? C’est Damas, a fanfaronné Al-Golani, même s’il rechignait à se montrer «trop optimiste».
Quitte à embarrasser son allié américain, l’Arabie saoudite semble avoir choisi son poulain dans la guerre qui l’oppose au régime de Bachar el-Assad et, derrière lui, à l’Iran chiite. Reste, néanmoins, à donner aux combattants d’Al-Nosra des allures plus aimables et, surtout, à les distinguer plus clairement de leurs cousins rivaux de l’Etat islamique.
De fait, l’image d’Al-Nosra est déjà, sur le terrain, très différente de celle des djihadistes de Daech. Formé principalement de combattants provenant de Syrie, et non de l’étranger, opposé au rigorisme affiché par Daech (notamment sur la question des «peines» à infliger aux déviants), Al-Nosra a refusé jusqu’ici d’établir un «émirat» sur les terres qu’il contrôle. «Ils sont mieux acceptés par la population, même s’il s’agit avant tout pour les gens d’une manière de garantir leur sécurité et non d’une adhésion idéologique», affirme Tawfik Chamaa, un médecin d’origine syrienne qui connaît très bien la réalité du terrain.
Voilà plusieurs semaines, en réalité, que l’on s’attend à ce que le Front Al-Nosra annonce officiellement son divorce d’avec Al-Qaida. «Pour les gens sur le terrain, ce dénouement semble inévitable, poursuit Tawfik Chamaa. Sur le plan international, l’équilibre actuel n’est pas viable.» Sur le papier, en effet, l’objectif des Occidentaux reste celui d’amener en Syrie un vent de démocratie et de liberté. Un dessein difficilement compatible avec l’installation au premier rang d’un groupement se réclamant d’Al-Qaida.
Officiellement, tant l’Occident que les pays du Golfe continuent de miser sur l’Armée syrienne libre, une formation laïque composée surtout d’anciens militaires syriens. Mais la progression militaire d’Al-Nosra et de ses alliés (regroupés dans la coalition Armée de la conquête) semble montrer que le vent a bel et bien tourné. Al-Nosra est autrement plus efficace sur le terrain. Or c’est l’efficacité que cherchent désormais les pays du Golfe face à la présence de l’Iran dans la région.
Sur le chemin qu’il a tracé en direction de Damas, Abou Mohamed al-Golani accorde une place de choix au Hezbollah chiite libanais, qui est devenu le fer de lance de l’armée syrienne du régime de Bachar el-Assad. «Aussitôt que Bachar sera vaincu, ce sera la fin du Hezbollah», pronostiquait dans l’interview le chef d’Al-Nosra. Pour une raison bien simple, à ses yeux: «Le Hezbollah connaissait la laideur du régime syrien. Il savait que son destin allait être étroitement lié à celui de Bachar el-Assad.»
L’administration de Barack Obama se laissera-t-elle convaincre par ce nouveau ton? Les Américains sont convaincus qu’Al-Nosra dispose en Syrie d’une cellule – le groupe Khorasan – spécialement dédiée à préparer des attentats en Occident. «Khorasan? Jamais entendu parler», s’exclamait Abou Mohamed al-Golani.
Les djihadistes du Front Al-Nosra et leurs alliés islamistes se sont emparés jeudi d’Ariha, la dernière ville de la province syrienne d’Idlib (nord-ouest) qui était encore aux mains du régime.
http://www.letemps.ch/Page/Uuid/1e847e1a-0574-11e5-a2d8-dac5eea792f9/La_grande_mue_dAl-Qaida
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