Les politiques monétaires et fiscales restent inchangées. Mais le sentiment sur les marchés s’est profondément modifié. Explications.
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La fin d’année 2009 a été dominée par les déclarations et les débats sur l’Exit. La fameuse Sortie des politiques de stimulation.
Comme les frites de MacCain, vous l’avez remarqué, ce sont ceux qui en parlent le plus qui en mangent le moins. De mesures concrètes vers la Sortie, vous n’en avez pas vu, il n’y en a pas. Et pour cause. Les discours sur l’Exit sont destinés, comme on dit, à piloter les anticipations. Il s’agit, en l’occurrence, de différer le moment de l’Exit le plus possible, de gagner du temps afin de pouvoir prolonger les stimulations monétaires et fiscales au maximum. Au maximum, c’est-à-dire au maximum de la tolérance des marchés. Parler de la Sortie, c’est en quelque sorte en parler pour éviter de la faire.
Parler de la Sortie des politiques de soutien est cependant dangereux et, on va le voir, cela peut être contre-productif. On peut s’interroger s’il n’y a pas eu une erreur d’appréciation qui a été commise par les apprentis sorciers de la manipulation des perceptions.
C’est ce que nous entrevoyons.
Alors que globalement les politiques monétaires et fiscales restent inchangées, le sentiment sur les marchés s’est profondément modifié.
On n’a quasiment rien fait sur les actions en janvier/février malgré l’excellent cru des résultats de sociétés. Les taux longs au lieu de monter comme l’anticipait le consensus des prévisionnistes, les taux longs ont baissé de 20 centimes sur le dix ans. Le dollar est en hausse. L’euro est au plus basde 9 mois. Les émergents et les commodities, ces anciennes vedettes du Reflation/Recovery Trade pataugent.
Vous connaissez la théorie des chaises musicales appliquée à la finance. Elle a été popularisée par Charles Prince, Chief Executive de Citigroup en juillet 2007:
«When the music stops, in terms of liquidity, things will be complicated. But as long as the musicis playing, we have got to get up and dance». C’est la première partie qui est importante ici: la musique, c’est la liquidité et quand elle s’arrête, les choses deviennent compliquées.
Nous pensons que la place financière globale a retenu cette leçon des chaises musicales. Au moindre soupçon de début d’anticipation du recul de la liquidité, les danseurs de la finance, la communauté spéculative mondiale, comme nous l’appelons, quittent la piste et commencent à chercher une chaise. L’effet d’apprentissage joue à plein. Celui qui a failli tout perdre recommence rarement la même erreur. Le limogeage de Charles Prince est dans toutes les mémoires. Le «greed», l’envie butte très vite sur l’impératif de survie pour ceux qui ont failli disparaître, et ils sont nombreux.
La piste de danse du grand Reflation/ Recovery Trade a perdu quelques animateurs. Ils sont allés s’assurer des meilleurs sièges; c’est-à-dire qu’ils s’assoient sur les emprunts d’Etat et singulièrement ceux qui sont considérés comme les plus sûrs, les Treasuries américains.
D’où la baisse paradoxale des taux en pleine soi-disant reprise économique, en plein boom des émissions et des besoins de refinancement.
D’où la hausse de la devise du Centre, le dollar.A côté de notre grand penseur Charles Prince, il y en a un autre. Il véhicule un bon sens trivial qui frappe les esprits.
Nous voulons parler de Warren Buffett. Et il a dit lui aussi une grande vérité «quand la mer se retire, c’est là que l’on voit qui se baigne nu».
Traduisons: quand le niveau de la mer des liquidités s’abaisse, la réalité se découvre. Plus question de tricher. On voit ceux qui sont nus, ceux qui ne sont pas couverts et bien sûr on les montre du doigt.
Ainsi émergent ceux qui sont en position de faiblesse, ceux qui sont non conformes… aux critères de solvabilité. Comme les récifs auparavant recouverts par la mer des liquidités, ils doivent être évités,ils sont dangereux. C’est ainsi que l’on peut interpréter la situation dans laquelle nous nous trouvons.
Elle est caractérisée par une moindre activité sur les marchés financiers, un retour de la volatilité, une absence de performance. Tout cela est la conséquence du tarissement à la fois supposé et réel des flux de liquidités. Concomitamment, le financement des risques devient plus délicat. Les risques les plus élevés deviennent plus difficiles à financer. Quand il n’y en a plus pour tout le monde, on se concentre sur le meilleur, n’est-ce pas. La question de la dette souveraine des pays marginaux se pose. On craint que les plus endettés, les plus déséquilibrés, les plus exposés, ne puissent se refinancer, ne puissent rouler leurs dettes. Et bien sûr, on anticipe, on se retire, on se couvre.
C’est toute l’actualité des difficultés de nos Piigs, du Portugal, de l’Italie, de l’Irlande, de la Grèce et de l’Espagne. Rien que le choix par les Anglo-Saxons de l’acronyme Piigs montre dans quelle estime nos concitoyens européens sont tenus. Pour notre part, nous n’oublions pas la Grande-Bretagne, car il faut insister sur sa situation et nous pensons qu’elle pourra être déterminante le jour où le vrai reflux des liquidités, si ce jour arrive, se produira.
Commentaire : Trappe à Dettes/le Royaume Uni va t-il se joindre aux PIIGS ??? (cliquez sur le lien)
Le problème anglais ne fait qu’émerger, on ne voit encore que la pointe du récif. La livre est faible, certains disent qu’elle est attaquée.
En tous cas, elle est sous les 1,50 contre dollar. Elle est ballottée au gré des sondages sur les résultats des élections qui se tiendront cet été. L’enjeu de l’élection pour les marchés, c’est la capacité du futur gouvernement à imposer un programme de redressement.
Pour l’instant, les sondages disent que le gouvernement sera faible. La situation financière et économique mondiale est ce qu’elle est. Mais ce n’est pas ainsi qu’elle apparaît aux yeux des investisseurs.
Car la situation globale est déchiffrée au travers de la presse anglo-saxonne, laquelle constitue la référence et la pensée quasi unique en la matière. Fondamentalement anti-euro, anti- Europe continentale, fondamentalement inflationniste et tout aussi fondamentalement adepte du deficit spending. Tout le contraire de l’Europe et de ses principes imposés par l’Allemagne.
La presse anglo-saxonne fait grand cas du risque grec, de celui de nos Piigs, et elle finit par faire oublier les proportions. Or les difficultés européennes ne représentent rien ou presque rien en regard de celles qui attendent et qui sont potentiellement enfouies dans la situation britannique. Les fondamentales du Royaume-Uni sont horribles. La livre a perdu son statut de monnaie de réserve, elle ne représente que 4% des réserves mondiales contre 30% pour l’euro. L’endettement du pays est colossal et, si l’on en croit les spécialistes de la City, les mêmes subterfuges ont été utilisés en Grande-Bretagne qu’ailleurs pour dissimuler l’ampleur des engagements.
Mais surtout, l’endettement en devises de son système financier est de 400% le produit intérieur brut. Les banques sont en mauvais état bilantiel, elles se refinancent sur le marché de gros court alors que leurs emplois sont illiquides. Le missmatch bien connu.
La crédibilité internationale de George Brown est usée. Pour couronner le tout, les élections approchent. La BoE n’a ni les moyens de faire face à une attaque en règle, ni les moyens de sauver ses banques. Comme le dit Willem Buiter, Chief Economist de Citigroup: «ce n’est pas exagéré de dire que le Royaume-Uni est un gigantesque hedge fund, avec un levier considérable qui emprunte court et qui prête et investi long… ses dettes sont courtes et en devises étrangères tandis que ses assets sont illiquides et non-sterling».
Par comparaison, et à la lueur des chiffres et des déséquilibres en cause, les problèmes de nos Piigs paraissent bien négligeables. Juste de quoi alimenter le psychodrame dans lequel aiment se complaire les Européens, les scrupules effarouchés des Allemands et la mauvaise foi des Anglo-Saxons._
«La liquidité, c’est espérer vendre plus cher ce que l’on a acheté»
Ayant commencé par la liquidité, il nous faut boucler et terminer sur elle. La liquidité, disait Alan Greenspan, «personne ne sait plus vraiment ce que c’est». Un autre membre de la Fed, vice-Président d’alors, lui a répondu quelques jours plus tard: «la liquidité, c’est quand on espère vendre plus cher ce que l’on a acheté». Nous pensons que cette définition constitue un bon guide pour travailler la finance.
Bernanke, et tous les régulateurs ont commis une erreur en pensant jouer au chat et à la souris avec la question de l’Exit. En en parlant sans la faire, ils ont eu le même résultat sur les marchés que s’ils l’avaient faite: la liquidité a reflué. Ils ont oublié que dans le système dans lequel nous vivons, ce ne sont plus les banques, mais les marchés qui fabriquent les liquidités. A cause de leur erreur, le stimulus financier si utile au moral des agents économiques et si indispensable pour le grand transfert historique des dettes, le stimulus financier s’est dégonflé.
C’est prématuré, car de reprise auto-entretenue, chacun sait bien qu’il n’y a pas.
Attendez-vous à ce que l’on fasse machine arrière.Il va falloir reprendre l’ouvrage là où on l’a laissé, relancer les bourses, redire que les taux bas sont garantis pour une période étendue… Tiens, tiens, c’est ce qui vient d’être dit, n’est-ce pas?
Les besoins financiers sont absolument colossaux en 2010 et 2011. A côté des échéances de financement des gouvernements, il y a les échéances de refinancement des banques et il y a les échéances de reconstitution du capital du secteur financier, lesquelles ont été oubliées pendant quelques temps. En un mot comme en cent, pour les marchés, il est trop tôt pour qu’il soit déjà trop tard. On a encore besoin d’eux. (BBZ)
BRUNO BERTEZ mars10 agefi
BILLET PRECEDENT : Bruno Bertez : Le retour du Reflation Trade (cliquez sur le lien)
EN COMPLEMENTS INDISPENSABLES : Trappe à Dettes : Pimco pessimiste pour la Grande-Bretagne (cliquez sur le lien)
WSJ : Trappe à Dettes/La grandeur perdue des emprunts britanniques (cliquez sur le lien)
Commentaire : Trappe à Dettes / Royaume-Uni – l’empereur nu. (cliquez sur le lien)
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