chapitre 11
Les marchés de ce début d’année ont été affectés par trois facteurs susceptibles d’infléchir les perspectives économiques globales :
le terme qui sera prochainement mis aux mesures quantitatives déployées par les banques centrales occidentales, et en particulier par la Réserve Fédérale aux États-Unis, et le potentiel début de normalisation monétaire ;
le resserrement monétaire en cours dans les principales économies émergentes, rendu nécessaire par la remontée des indicateurs d’inflation, et ses conséquences en termes de tassement de la croissance future de ces pays, principaux contributeurs de la croissance mondiale ;
enfin, la saturation des marchés obligataires vis-à-vis de l’avalanche de dette publique en occident, et les conséquences de cette saturation sur la capacité de relance fiscale dans les pays développés.
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Le titre de cette lettre fait allusion, vous vous en doutez, au fameux « Chapter eleven » de la loi américaine sur les faillites. S’appliquant aux entreprises comme aux personnes physiques, le placement sous la protection du « Chapitre 11 » permet à ceux qui en usent un blocage des créanciers le temps d’essayer de mettre sur pied une restructuration ou un rééchelonnement de la dette, avant de devoir en venir à la liquidation pure et simple. Oui mais voilà, aujourd’hui on ne parle pas d’une entreprise mais d’un État qui nous préoccupe, la Grèce. Pas seulement, car dès qu’on aura fini de se préoccuper de la Grèce, on passera àl’Irlande, au Portugal, à l’Espagne, à l’Italie, puis à la France et à la Grande-Bretagne, et pourquoi pas dans quelques mois aux États-Unis. Peut-on aujourd’hui imaginer, a fortiori tolérer, que la Grèce fasse défaut sur ses obligations internationales ?
C’est un scénario que nous considérons peu réaliste, tant ses conséquences seraient désastreuses pour l’économie globale. Avec près de 300 milliards d’euros, la dette publique grecque est cinq fois plus importante que la dette russe lors de sa cessation de paiement en 1998 et cinq fois plus que la dette argentine lors de la crise de 2001. Ce n’est certes pas grand-chose à côté des presque 8 000 milliards d’euros de la dette publique japonaise.
Mais la dette japonaise est détenue à hauteur de 90 % par des épargnants domestiques, alors que la situation est diamétralement opposée, puisque 96 % de la dette publique grecque est détenue par des investisseurs internationaux, dans une large mesure européens. Un défaut de paiement de la Grèce aurait donc potentiellement des répercussions d’ordre systémique sur l’économie européenne.
C’est pourquoi l’Union européenne doit impérativement, même si c’est au prix d’un ajustement des textes et traités européens, apporter une solution cohérente, réaliste, et transposable à d’autres États membres. Fondée sur la base d’une Communauté économique, puis d’une Union monétaire, l’Europe doit aujourd’hui démontrer sa crédibilité et son ambition politique. Il faut bien sûr que cela se fasse sans pénaliser outre mesure les trop rares bons élèves, comme l’Allemagne. Mais il est impossible de refuser de tendre la main, ou d’exiger un ajustement trop brutal à ceux des États membres qui ont le plus besoin d’un ajustement fiscal sévère au pire moment de leur histoire économique récente. Demander à la Grèce, au Portugal, à l’Espagne età l’Italie de ramener leur déficit sur le niveau cible de 3 % équivaut à demander à ces pays une baisse de leurs dépenses additionnées de près de 120 milliards d’euros, soit plus que la somme de leurs déficits en compte-courant. Exiger cela à brève échéance, au-delà du désordre social que cela entraînerait, créerait une très sévère récession dans ces pays, réduisant à peau de chagrin leur demande extérieure.
Mais alors l’Allemagne, dont le peu de croissance est essentiellement le résultat d’un excédent de son commerce extérieur, et dont la moitié résulte du commerce intra-zone euro, subirait à son tour de plein fouet les conséquences de cette discipline retrouvée des pays du « club med ».
Quelles sont pour nous, gérants de portefeuilles, les conséquences de ces difficultés actuelles de la Grèce, de la lenteur et de la difficulté pour l’Union européenne à trouver une réponse crédible pour tous les États membres ?
Elles sont de quatre ordres.
La faiblesse de l’euro devrait se poursuivre, ce qui favorisera nos avoirs internationaux libellés en dollars ou dans des devises émergentes qui bénéficieront logiquement d’un différentiel de croissance très favorable.
Parallèlement, et en dépit d’un dollar fort, l’or, bénéficie de cette nouvelle appréciation du risque crédit des États européens. Dans ce contexte, nous avons légèrement relevé notre pondération sur le secteur en cours de mois.
En troisième lieu, il nous faut revoir à la baisse nos perspectives de croissance dans la zone euro. Dès lors, la Banque Centrale Européenne devra maintenir une politique d’autant plus accommodante que l’anémie de la croissance aura tôt fait de se traduire par une réémergence de pressions déflationnistes. Nos avoirs en Europe, qui font une large place à des entreprises peu sensibles au cycle économique et pour nombre d’entre elles bénéficiant de la demande domestique des grandes économies émergentes, devraient dans ce contexte tirer leur épingle du jeu et bénéficier d’une légitime revalorisation.
Enfin, pour nos avoirs obligataires, la prudence que nous affichions en début d’année sur les taux longs n’est sans doute désormais plus de mise, au moins temporairement. Nous avons en conséquence relevé la sensibilité de nos portefeuilles, tout en conservant une position très prudente en termes de risque crédit souverain.
N’enterrons cependant pas trop vite ce cycle économique qui vient de débuter, en particulier aux États-Unis. La politique monétaire exceptionnelle conduite par M. Bernanke a permis de sauver le système. La politique fiscale conduite par le gouvernement de M. Obama est en train de relancer la machine. Ce n’est pas encore spectaculaire, mais il vaut mieux du solide que du spectaculaire. La potion a été amère mais aujourd’hui les entreprises sont plus solides. Elles ont fait des gains de productivité considérables qui les mettent désormais en position d’investir et d’embaucher, et même si cela se fait plus lentement qu’espéré, il nous semble que les récentes statistiques économiques augurent d’une poursuite du redressement de l’économie américaine. Ainsi les indicateurs avancés des Directeurs d’Achat, tant dans le secteur manufacturier que dans celui des services, confirment une expansion future, avec des composantes « commandes », et en particulier à l’exportation, sur des niveaux élevés. Sur le front de l’emploi, la stabilisation du chômage, certes sur un niveau élevé, se confirme. Cela justifie la préparation par la FED de sa stratégie de sortie des mesures monétaires non conventionnelles mises en place à la suite de la faillite de Lehman et de la crise qui s’en est suivie.
Cela n’augure pas à ce stade d’un resserrement monétaire prochain. Certes, la situation économique s’améliore, et certaines mesures de stimulation fiscale n’ont pas encore produit tous leurs effets sur la croissance. Mais la situation européenne ne peut laisser indifférente l’administration américaine. Autant serait-il désastreux de réduire les dépenses budgétaire dès à présent, compte tenu du risque de voir l’économie repartir en récession, autant est-il également important de guider la politique économique vers une meilleure discipline fiscale à un horizon acceptable pour les marchés financiers. Pour l’instant le refinancement de la dette américaine ne pose aucun problème, et ce d’autant plus que les investisseurs internationaux préfèreront se porter sur les bons du Trésor américains plutôt que de devoir porter le poids des incertitudes politiques de la zone euro.
Ce contexte est favorable aux entreprises qui pour un incrément marginal de croissance, et grâce aux restructurations drastiques opérées, seront à même d’afficher des croissances bénéficiaires particulièrement enviables. De plus, la confirmation de la reprise économique américaine est un facteur positif supplémentaire pour les secteurs des matières premières, toujours largement représentés dans nos portefeuilles. Nous avions observé que la crise des dix-huit derniers mois avait conduit à des déstockages massifs dans l’ensemble du secteur manufacturier, et dans celui des matières premières en particulier. De telle sorte qu’aujourd’hui les stocks de métaux se retrouvent sur des niveaux historiquement bas, ce qui constituera un facteurimportant de soutien de la demande.
Ces secteurs des matières premières pourraient se trouver affectés par un ralentissement significatif de la croissance émergente. Une évolution qui ne nous semble pas le scénario le plus probable à court terme.
Qui n’aura noté que la croissance économique chinoise est en accélération d’un trimestre sur l’autre ? Que la trop forte croissance des crédits ne peut que conduire à des erreurs d’allocation du capital et à faire émerger des poches d’inflation ? Qui enfin n’a pas remarqué que le gouvernement chinois a commencé de procéder à un resserrement monétaire ciblé et mesuré ?
Quant à nous, il nous semble que ces mesures sont gérées habilement, et sont intégrées dans les cours, et surtout qu’elles ne sont pas de nature à faire dérailler le TGV de l’économie chinoise. Il y a eu des excès dans la création de crédit par les banques, par leur emploi par certaines collectivités locales ou territoriales, c’est incontournable. Mais la croissance économique est forte et réelle. Cette croissance permet d’absorber rapidement les surcapacités temporaires dans tel ou tel secteur et permettra d’absorber aussi les créances douteuses générées par ce boom récent du crédit. La Chine n’est pas Dubaï.
Qui plus est, dans bon nombre de régions, l’urbanisation et la modernisation de l’habitat sont des nécessités impératives. La croissance domestique a donc, selon nous, encore de nombreux beaux jours devant elle. Celle-ci pourra de plus en plus s’appuyer sur le développement déjà bien avancé, d’un véritable marché obligataire pour que les entreprises privées, puissent venir se refinancer sans le concours des banques. Celui-ci contribuera à réguler les flux financiers et à rendre l’allocation des ressources en capital plus pertinente. Avec 25 milliards de dollars d’émissions d’obligations à moyen terme en 2008, et déjà 101 milliards de dollars en 2009, ce marché est destiné à prendre une place importante dans le paysage économique chinois.
Les nouveaux facteurs de risque apparus dans les économies développées seront autant de freins à un surcroît (voire à un maintien) des mesures de relance budgétaire, ce qui augure d’une croissance anémique. Aussi, l’essentiel de nos avoirs dans les marchés émergents se portent-ils sur les thèmes liés à la demande intérieure. Les marchés financiers anticipent aujourd’hui des mesures assez drastiques de resserrement monétaire dans l’ensemble des économies émergentes. Ainsi, toujours selon les anticipations des marchés, les taux courts devraient remonter au Brésil de 250 pb, en Inde de 120 pb, au Mexique de 115 pb et en Turquie de 185 pb. Autrement dit, beaucoup de mauvaises nouvelles concernant l’abondance de liquidités à bas coût nous semblent intégrées dans les marchés.
A contrario, il ne nous semble pas que les marchés aient complètement valorisé la discipline des banques centrales des pays émergents qui, en prenant tôt les mesures qui permettront de maîtriser les éventuelles tensions inflationnistes à venir parviendront à pérenniser la croissance sur des rythmes tenables dans le plus long terme.
La Grèce n’en est donc pas encore au « Chapitre 11 ». Pour autant, l’émergence d’un risque crédit souverain constitue une sérieuse hypothèque sur le potentiel de croissance à moyen terme en Europe. Sans faire de catastrophisme il faut donc s’attendre à un taux de chômage durablement élevé, un climat social plus tendu et à terme, une taxation plus élevée des classes les plus favorisées et du capital. Il faudra aussi dans ce contexte poursuivre des politiques monétaires plus accommodantes que nous l’aurions anticipé en l’absence de cette perception d’un risque associé à la solvabilité des États. Mais cette révision àla baisse de la croissance des économies développées a aussi son bon côté de la médaille. En effet, pour synchrone qu’elle soit, la croissance mondiale évitera de cette façon tout risque de surchauffe. Cela permettra de limiter l’apparition de tensions inflationnistes majeures dans les pays émergents. Dès lors, le resserrement monétaire sera sans doute plus limité que ne l’anticipent aujourd’hui les marchés, un scénario qui devrait faire la part belle aux thèmes de la croissance domestique de ces économies et des matières premières. Dès que les principales hypothèques qui ont inquiété les marchés auront été levées. Il faut maintenant tourner la page et entamer ainsi un nouveau chapitre.
Eric Le Coz
Achevé de rédiger le 5 mars 2010
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