L’Allemagne et l’Angleterre, deux poids lourds de l’Europe, ont tout deux souffert très fortement de la crise économique et financière mondiale de ces deux dernières années La progression récente des indices d’actions ne reflète cependant pas les très grandes différences structurelles existant entre les deux pays et plutôt favorables à l’Allemagne..
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Ce n’est pas nouveau : si, sur le très long terme, la performance d’un indice boursier national reste représentatif du potentiel de croissance du pays auquel il se rapporte, cette relation entre performance financière et réalité économique ne se vérifie pas forcément à court terme.
La Corrélation forte entre les évolutions du PNB US et du S&P500 (indice action des 500 plus grosses entreprises US) (cliquez sur le lien)
Et l’exemple de l’Angleterre et de l’Allemagne est parlant. Depuis 18 mois, le FTSE, l’indice phare de la Bourse de Londres, progresse de 20,8 %, alors que le DAX 30, représentatif du marché allemand, ne progresse que de 11,1 %.
Et pourtant, pour beaucoup, l’Allemagne, prête à profiter d’une reprise mondiale, se présente bien mieux armée que l’Angleterre, pays de services avant tout lié à sa consommation intérieure, pour se sortir de la crise. Si les deux pays ont affiché chacun un repli de leur produit intérieur brut de 5 % en 2009, une baisse supérieure à la moyenne de l’Union européenne (à -4,2 %), les chiffres attendus pour l’Allemagne en 2010 (une croissance de 1,2 %), déjà supérieurs de 3 points à ceux du Royaume-Uni, pourraient surprendre positivement.
ALLeMAGNE : MESURES D’URGENCE ET REPRISE DU COMMERCE MONDIAL
Gestion de la crise.
Comme pour la plupart des pays européens, le repli brutal du commerce mondial a commencé à transparaître dans les chiffres de l’économie allemande au deuxième trimestre 2008, et ceci pendant quatre trimestres consécutifs. Mais, selon certains économistes, l’Allemagne pourrait se tirer de la crise beaucoup mieux que ses voisins – dont non seulement la Grande-Bretagne, mais aussi la France -, et ceci pour plusieurs raisons.
En premier lieu, le plan de relance allemand a été beaucoup plus fort que dans d’autres zones. Il a en effet été de trois points de PIB (soit 80 milliards d’euros), contre un point pour la France ou le Royaume-Uni. « Grâce aux garanties apportées par la KFW (NDLR : banque détenue par le gouvernement allemand) sur les lignes de crédits accordés aux PME, et un taux de financement élevé, le taux de faillite en Allemagne n’a quasiment pas évolué depuis la crise alors qu’il a augmenté quasiment partout ailleurs en Europe », constate Sylvain Broyer, économiste chez Natixis, spécialiste de la zone et installé à Francfort.
Le plan allemand a aussi favorisé la stabilisation de l’emploi avec la subvention, par le gouvernement, du chômage partiel. « Cette mesure a permis d’éviter une remontée de trois points du taux de chômage depuis la crise. Alors qu’au contraire, vu les spécificités productives de l’économie allemande, très orientée vers l’exportation et sur l’industrie de l’automobile, l’emploi allemand aurait dû être touché gravement », constate Sylvain Broyer.
Ces mesures sur le chômage partiel s’inscrivent, dans une certaine mesure, dans la continuité de la politique de modération salariale menée par l’Allemagne depuis le début des années 2000, et d’ailleurs critiquée par certains autres pays européens et plus particulièrement le ministre de l’Economie français Christine Lagarde. A cette époque, avec l’éclatement de la bulle internet, qui marque le début des délocalisations, l’économie allemande avait perdu plus de un million d’emplois. « Les syndicats ont perdu beaucoup d’adhérents à ce moment-là. Ils préfèrent, depuis, défendre l’emploi plutôt que les salaires », analyse Sylvain Broyer.
Enfin, le FDP, le parti libéral démocrate allemand, a été élu en 2009 sur un programme de baisse d’impôts d’un point de PIB sur 2011, ce qui permettrait à l’Allemagne de maintenir sa performance domestique par rapport aux autres pays de la zone euro, même s’il n’est pas certain que ces baisses d’impôts soient appliquées.
International.
Si l’Allemagne a davantage souffert que d’autres pays d’Europe en 2009, ceci est essentiellement dû à son modèle économique très tourné vers l’extérieur. Les exportations allemandes représentent environ 47 % du PIB (contre 30 %, par exemple, pour la France). C’est cette ouverture, très pénalisante en 2008 et 2009, qui pourrait accélérer le rebond. « Nous sommes aujourd’hui dans une crise des financements extérieurs – en témoignent les difficultés de la Grèce et du Portugal. Or, l’Allemagne est en excédent et n’a donc pas de souci sur ce point », confirme un professionnel. L’Allemagne est en effet la seule grande économie de la zone euro qui a des excédents courants.
« Nous estimons que l’Allemagne, avec son modèle de croissance et le fait qu’elle soit tournée vers les exportations, devrait bénéficier de la reprise du reste du monde, et notamment des pays émergents et des Etats-Unis. Les pays qui ont accès à ces marchés – et c’est particulièrement le cas pour l’Allemagne – feront mieux que la moyenne européenne », anticipe Olivier Bizimana, économiste au Crédit Agricole. Et la dynamique exportatrice de l’Allemagne devrait continuer. « Selon les différentes enquêtes d’opinion, et notamment l’indice IFO, les exportations allemandes devraient se maintenir », renchérit Catherine Stéphan, économiste chez BNP Paribas.
Faiblesses.
Bien évidemment, la reprise du commerce extérieur reste conditionnée par le dynamisme du commerce mondial. Or, ces dernières années, l’Allemagne a vendu des biens de consommation durable de haut de gamme (du type voitures de luxe) ainsi que des machines-outils et des biens intermédiaires. L’expansion de ces différents marchés n’était possible que dans un monde de crédit facile et dans une économie mondiale en phase d’investissement, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Il sera donc difficile pour l’Allemagne de se reposer autant que dans le passé sur les exportations pour générer de la croissance.
Mais, selon Sylvain Broyer, « les efforts des Allemands pour dynamiser la demande domestique, qui pourrait prendre le relais, sous souvent sous-estimés. C’est de ce contributeur du PIB que pourraient venir les meilleures surprises. D’autant que les ménages, dont le taux d’épargne reste très élevé (17 %), peuvent s’endetter en bénéficiant des taux bas. Les nouveaux crédits à l’habitat en Allemagne sont d’ailleurs en hausse de 20 % en 2010. Les Allemands ont aujourd’hui effacé l’éclatement de la bulle immobilière des années 90. »
A noter toutefois, pour relativiser, qu’en 2005 ou 2006, le pays était en forte croissance mais les ménages ne consommaient pas pour autant. « A plus long terme, à force de ne pas distribuer de salaires et de miser sur une stabilité monétaire à tout prix, l’Allemagne pourrait entrer en déflation », met en garde un économiste.
ANGLETERRE : DES PROBLÈMES STRUCTURELS À RÉGLER POUR REDÉMARRER
Un redémarrage tardif…
Si l’Allemagne a pris de plein fouet le ralentissement des échanges internationaux, l’économie britannique a souffert pour d’autres raisons. « Cette crise a été avant tout financière et immobilière. Or, en Angleterre, les services occupent une place prépondérante dans l’économie et les ménages sont très endettés sur leur immobilier. Ce sont les raisons qui expliquent pourquoi l’Angleterre a vécu la crise bien plus mal que d’autres pays européens », explique Caroline Newhouse-Cohen, économiste chez BNP Paribas.
Le Royaume-Uni est sorti de récession au quatrième trimestre 2009, en retard par rapport à la moyenne des autres pays européens et avec une croissance de seulement 0,3 % sur le trimestre, après six trimestres de baisse consécutifs, « légèrement en dessous de nos anticipations », indique Slavena Nazarova, économiste au Crédit Agricole. La sortie de récession s’est faite grâce à la consommation des ménages, qui s’est redressée pendant deux trimestres consécutifs, stimulée par les politiques fiscales et monétaires accommodantes, mais aussi par le redressement des marchés financiers et la hausse des prix immobiliers.
Par ailleurs, le taux de chômage s’est aussi stabilisé à 7,8 % pendant la seconde moitié de 2009. Les entreprises n’ont pas procédé à des licenciements drastiques comme lors des crises précédentes. Elles ont préféré garder leurs employés en anticipant une reprise imminente. « Ce mouvement s’est fait au détriment de la productivité », indique cependant Slavena Nazarova.
… et fragile.
Malgré cet emploi relativement préservé, le redémarrage de la Grande-Bretagne reste très modeste, notamment à cause de ses déséquilibres fondamentaux. Les ménages demeurant très endettés ne seront pas enclins à consommer dans les mois qui viennent. « Le taux d’endettement relatif à l’immobilier est de 88 % du PIB en Angleterre, alors qu’il n’est que de 37 % en Allemagne », constate un économiste. Par ailleurs, Slavena Nazarova souligne que « tous les partis politiques anglais s’accordent à dire qu’il y a une grande nécessité d’assainir les finances publiques du pays, ce qui tirera à la baisse la consommation des ménages. Nous prévoyons donc, dans les deux années qui viennent, une contribution à la croissance du PIB de la consommation de 0,3 % en 2010 et de 0,5 % en 2011, ce qui est très en dessous de la moyenne historique de 0,8 % ».
Quant à l’investissement, même s’il a baissé de 14 % l’année dernière et devrait bénéficier d’un effet de base, les importantes capacités de production dans le pays indiquent qu’il ne devrait pas redémarrer rapidement.
Sortie de bulle.
Contrairement à L’Allemagne, l’Angleterre a donc plusieurs éléments structurels à corriger et doit notamment se relever de l’éclatement des bulles du crédit et immobilière. « Le Royaume-Uni peut mettre plusieurs années à se relever de la crise immobilière, alors que l’Allemagne a passé ce cap », assure un économiste.
La dynamique semble être en marche pour le marché britannique puisque d’après l’indice Halifax, les prix de l’immobilier du pays ont augmenté de près de 8 % depuis leurs plus bas niveaux en avril 2009. C’est certes une bonne nouvelle, mais à titre de comparaison, un agent immobilier sur le marché de Francfort constate que
« les ménages allemands craignent tellement le retour de l’inflation, avec les politiques monétaires non conventionnelles, que les prix ont bondi de 20 %. Les ménages préfèrent acheter de la pierre avant que leur épargne ne se déprécie ».
Finalement, ces deux pays ont été touchés plus fortement que les autres par la crise. L’Angleterre parce qu’elle est financière, l’Allemagne parce qu’elle est mondiale. Mais l’un et l’autre s’en tireront par des moyens différents. Le premier mise sur la capacité des ménages à renouer avec la consommation – ce qui pourrait prendre du temps -, alors que le second attend aussi – et surtout – une reprise des échanges avec ses partenaires.
La Cigale et la Fourmi, par François Michaux (cliquez sur le lien)
The Economist : Le Royaume-Uni doit sortir de ses ruines (cliquez sur le lien)
« Dans un monde où la concurrence par les coûts est très forte, où il n’est pas possible d’utiliser le change ou le protectionnisme, il reste simplement comme variable d’ajustement la pression sur les salaires ou la montée en gamme industrielle, deux points que travaille l’Allemagne depuis des années », conclut Sylvain Broyer.
Par Franck Joselin – agefi 02/04/2010
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