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Bruno Bertez :La réconciliation tumultueuse

Bruno Bertez :La réconciliation tumultueuse

  Le voile s’est déchiré et la vérité est apparue à temps. Grâce à ceux qu’on traite de spéculateurs. Et grâce aux agences de notation.

LES MARCHÉS ET LES AGENCES DE NOTATION ONT FAIT LE TRAVAIL QUE LES GOUVERNEMENTS ET LES ORGANISMES COMME EUROSTAT N’ONT PAS FAIT.

Nous dirons que la semaine que nous venons de vivre est une grande semaine de réconciliation.

PLUS DE BERTEZ EN SUIVANT :

La crise est réelle. Elle n’est ni un produit de l’imagination, ni une conséquence de la spéculation.

Même pas de la spéculation bancaire!

La situation dans laquelle nous nous trouvons est une situation de crise en ceci que l’écart entre la Sphère Réelle et la Sphère Financière est considérable.

 L’illusion de la croissance perpétuelle, la chaîne infinie du crédit Ponzi, le jeu généralisé même entretenus par la naïveté des agents économiques et le cynisme des gouvernants ne suffisent plus à le masquer.

Il y a un moment où l’on rencontre l’épreuve de vérité, l’épreuve de réalité et il faut bien le dire tout prosaïquement l’épreuve de comptabilité! Quand ce moment arrive, il est arrivé en 2007/2008, et il arrive encore maintenant, quand ce moment arrive, c’est le temps de ce que nous appellerons la grande tentative de réconciliation.

Rien ne caractérise mieux les mois que nous venons de vivre que l’expression qui a été forgée pour décrire l’état de santé des banques:«extend and pretend». Prolonger,faire durer, faire semblant en truquant et en dissimulant.

 Ce qui a été tenté et ce que certains croyaient pouvoir réussir pour les banques est maintenant tenté par et pour les pays souverains. Le révélateur en est bien entendu la Grèce. Qu’on ne s’y trompe pas, le pays est petit, mais il est à la fois symbolique et surtout interconnecté.

Il a un effet multiplicateur sur la prise de conscience.

On a prétendu longtemps qu’il n’y avait pas de problème grec. On a annoncé, après avoir reconnu qu’il existait, qu’on allait le résoudre.

On a mis en place un plan que l’on a présenté comme définitif.

Et l’on a échoué. On a échoué, contaminant non seulement les pays européens en délicatesse avec leurs finances, mais aussi l’ensemble de l’Europe, sa monnaie, sa construction. Et maintenant on en est à contaminer le monde global, si l’on juge par les dysfonctionnements financiers qui se sont manifestés en fin de semaine dernière.

Erreur de gestion dramatique que celle qui a consisté à prétendre que la Grèce pouvait rembourser ses dettes sans restructuration, que les banques créditrices pouvaient s’en sortir sans dépréciation, que la crédibilité de la Banque Centrale pourrait être préservée.

Les marchés sont à la fois la meilleure et la pire des choses. Par leurs excès moutonniers, ils sont à la fois agents propagateurs du «extend and pretend» et agents de l’opposé, c’est à dire de la révélation, de la réconciliation. C’est dans les excès du marché, dans ses failles que l’on entrevoit la vérité.

Les marchés sont des messagers.

Par leur grande euphorie, par leur exubérance, ils ont témoigné du caractère dangereux des politiques monétaires trop longtemps et trop généreusement laxistes.

Par leur panique et leur pessimisme, ils témoignent maintenant de l’inadéquation des solutions qui ont été mises en place par le transfert des dettes privées sur les Etats souverains.

Tant que le mythe de la taxation sans limite, des ressources inépuisables des gisements fiscaux a prévalu, l’exubérance s’est développée, enflée, hypertrophiée. Est venue la Grèce avec ses émeutes, son drapeau rouge sur l’Acropole, ses victimes, alors le mythe s’est effondré.

Ainsi s’est manifestée la réconciliation entre ce qui avait été promis et ce que l’on peut effectivement prélever. Aussitôt, les analystes de faire leurs calculs et d’aboutir à l’évidence, le plan grec, le premier, car il y en aura d’autres, est irréaliste. Et la chaine de contagion de se mettre en branle. La Grèce fera défaut ou ce qui est lamême chose, sa dette sera restructurée.

Martin Feldstein : Pourquoi la Grèce fera défaut sur sa dette (cliquez sur le lien)

WSJ : Seule la restructuration de sa dette peut sauver la Grèce (cliquez sur le lien)

Les banques vont perdre des dizaines de billions qui vont s’ajouter aux pertes antérieures enfouies dans les bilans. Elles vont rechuter dans une insolvabilité encore plus manifeste. Du coup, la méfiance se réinstalle, les mécanismes interbancaires se grippent, la liquidité disparaît. L’insolvabilité niée de la Grèce débouche sur une crise de liquidités, puis de confiance.

Commentaire du Wolf : La crise grecque et celle plus globale de la Zone euro va t elle entamer la reprise américaine ? (cliquez sur le lien)

C’est bien piètre excuse que de montrer du doigt les Agences de rating et encore plus les marchés et la spéculation. Pour une fois, on doit au contraire les remercier.

Les précieuses vertus de la spéculation (cliquez sur le lien)

Grâce à eux, le voile s’est déchiré rapidement et la vérité est apparue avant qu’il ne soit trop tard, avant que les chiffres ne fassent boule de neige. Les marchés et les Agences ont fait le travail que les gouvernements européens et les agences comme Eurostat n’ont pas fait. Les Agences de rating et les marchés ont accompli leur fonction, qui consiste à anticiper à se projeter dans l’avenir et à tirer la sonnette d’alarme. Et si la situation est encore gérable et bien évidemment elle l’est encore, c’est à eux qu’on le doit. Pas aux régulateurs, pas aux banquiers centraux, pas aux gouvernements._

Les inflationnistes reprennent la main

Dans notre grande réconciliation de la semaine, les marchés d’actions sont descendus de leur nuage.

Ils ont sérieusement chuté avant le spectaculaire rebond d’hier. On a baissé de 6,4% sur le S & P 500, de 7,6% sur les grandes banques américaines. Le Dax allemand a perdu 7% et le bain de sang a été effroyable sur les banques européennes. En Asie, les dégâts ont été tout aussi conséquents avec 7,2% sur le Nikkei par exemple et 6,8% à Shanghai. Les émergents n’ont pas été à l’abri avec des reculs de 4 à 13%.

No place to hide, pas de découplage, tout se transmet, tout communique. La grande fuite devant le risque.

En sens inverse, les assets considérés comme sûrs ont été recherchés. Nous voulons parler des valeurs du Trésor US et des bunds allemands. Le cercle des débiteurs souverains auxquels on peut faire confiance se rétrécit de jour en jour. Les spreads s’élargissent, c’est la grande divergence. Encore la divergence est elle un peu masquée au niveau des taux, mais elle ne l’est pas au niveau de cet autre indicateur que constituent les assurances sur les dettes.(les cds)

Le paradigme du caractère «sûr» des valeurs gouvernementales est toujours en place, mais le cercle des pays qui en profitent se rétrécit. Encore faut-il noter que les conditions monétaires et financières sont encore très favorables puisque le grand reflux n’a pas encore commencé. Les politiques monétaires, la hausse des taux, la reprise des liquidités n’ont pas encore débuté. La mer ne s’est pas encore retirée, mais elle est déjà transparente et l’on commence à voir ceux qui se baignent nus. La mer ne s’est pas retirée, au contraire, puisque le Japon vient de libérer une nouvelle vague «pour aider à stabiliser le système secoué par la crise grecque».

Chute des actions, hausse des bonds considérés comme refuge, les marchés pointent évidemment dans le sens d’un regain des forces déflationnistes. La croissance américaine se confirme, même au niveau de l’emploi, mais déjà les indicateurs avancés montrent que sa vitesse de progression ralentit. Elle se modère alors que se profile à l’horizon la perspective de l’échéance des stimuli. Les matières premières viennent de chuter de 6 à 8% selon les indices, sous la conduite du pétrole et des métaux. Les inquiétudes sur la Chine n’arrangent évidemment rien.

La déflation a de bonnes chances de redevenir un thème majeur. Aussi bien pour l’investissement que pour les politiques économiques. La crise du crédit souverain et les tentatives d’y remédier par l’austérité vont accentuer les tendances deflationnistes et récessionnistes à la périphérie, tout d’abord, puis rapidement les effets s’en feront sentir sur les Centres régionaux et, finalement, sur le Centre c’est à dire les Etats-Unis.

Compte tenu de la voie qui a été choisie en 2008, celle de la fuite en avant monétaire, compte tenu du blocage des politiques fiscales, gageons que les inflationnistes vont reprendre la main. Bientôt il ne sera plus question de retour à la normale, l’anormal monétaire a toute chance de devenir et de rester la norme. C’est pour cette raison que tout en reconnaissant la force des tendances déflationnistes, nous pensons qu’il convient de rester sur les marchés d’actions. Plus les tendances négatives sont fortes, plus les remèdes monétaires devront être puissants.

Et le premier effet des remèdes monétaires, vous le connaissez, c’est le regonflement du prix desactions. – (BBz)

BRUNO BERTEZ agefi mai10

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