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Plan Zone Euro : Les risques d’une solution apparemment si évidente

 Dans une nouvelle ère à risques

 Les mesures décidées ont allégé la pression sur les dettes des pays fragilisés. Elles ne pourront pas éviter les plans d’austérité

 La création d’un préteur de dernier recours pour la zone euro annonce la fin d’une politique de monnaie forte.

PLUS DE RISK EN SUIVANT :

 La mécanique des marchés peut être d’une simplicité stupéfiante. Ils ont demandé de combler le manque d’un préteur de dernier recours pour les Etats membres de la zone euro. L’annonce de la création d’un fonds de stabilisation européen de750 milliards d’euros au maximum a été une réponse suffisante pour provoquer un rebond gigantesque.

L’impact immédiat des rachats de dettes de souverains fragilisés sur le marché secondaire a peut-être été encore plus déterminant.

C’est à se demander pourquoi les pouvoirs politiques n’y ont pas pensé beaucoup plus tôt. La réponse est que beaucoup de principes de rigueur et de force sur lesquels s’est fondée la monnaie unique européenne ont dû être jetés par-dessus bord. Tout particulièrement celui de l’indépendance d’une Banque centrale européenne (BCE) ne détenant des titres de dette d’aucun pays membre de la zone. Que l’accord ait été conclu le jour même de la défaite de la coalition allemande en Rhénanie du Nord-Westphalie souligne en outre la faible acceptation de ces plans au sein des populations d’Etats ayant une tradition de rigueur budgétaire appelés à venir à la rescousse de ceux qui ont régulièrement dépassé les limites.

Du point de vue économique, le rachat de dettes souveraines par la BCE équivaut à un processus de monétisation comparable à celui mis en place par la Fed pour mettre des liquidités à dispositions des banques américaines. Tout en évitant d’actionner la planche à billets par la vente d’autres actifs qu’elle détient. Du moins pour l’instant. Car personne ne sait quel sera l’impact d’une mise sur le marché d’emprunts d’Etat de la zone euro pour financer une ou plusieurs interventions du fonds de stabilisation. Les maillons les plus faibles risquent de peser dans la balance.

L’Europe semble avoir pu se libérer d’un coup d’un joug dont elle souffre depuis des mois. L’anticipation toujours plus forte du scénario d’une contagion de la crise de dette grecque sur d’autres Etats de la zone euro en situation financière précaire a conduit à la prise de mesures inédites en Europe. Que les marchés semblent néanmoins considérer comme les seules qui sont plausibles. Le vaste mouvement de normalisation d’hier, concernant tout particulièrement les établissements financiers les plus exposés et faisant rebondir plusieurs banques françaises de plus de 20% en une seule séance, en témoigne.

Ce regain de confiance doit toutefois encore faire ses preuves.

 Le directeur de la Bundesbank Axel Weber n’a pas hésité à contredire le discours officiel de la BCE en affirmant que les achats de dettes par la banque centrale créeront des «risques de stabilité significatifs», notamment en termes d’inflation.

 Les mesures décidées en appellent d’autres, qui risquent d’être nettement plus douloureuses. «Le paquet attaque les symptômes, mais ne traite pas la maladie. Ce qu’il faut, c’est une réduction des déficits à large échelle, ce qui sera très pénible. Il ne faut pas prendre l’événement pour un processus », souligne ainsi Stewart Cowley d’Old Mutual, l’un des meilleurs gestionnaires obligataires.

L’économiste Patrick Ségal de la Banque Privée Edouard de Rothschild prévoit que ce processus sera long: «Il y aura cinq ans d’austérité suite à cinq ans de surcarburation

 La décision prise dimanche signifie que les pays de la zone euro ont abandonné la politique d’une monnaie forte pour entrer dans la «dévaluation compétitivedes monnaies comme dans les années 1930», notamment avec la livre sterling et le dollar.

Charles Gave : La crise de la Zone Euro est loin d’être terminée (cliquez sur le lien)

 «L’euro a pu paraître fort, mais il manque de colonne vertébrale, c’est-à-dire qu’il est seulement basé sur une union économique, et non sur une union fiscale et budgétaire. Un taux d’imposition des entreprises unique, sans exceptions dans la zone euro, ramènerait d’ailleurs énormément d’argent dans les budgets», estime Patrick Ségal. Il n’est pas à exclure qu’au vu des problèmes financiers de la Californie ou de l’Illinois, l’euro se rétablisse vis-à-vis du dollar. En revanche, à l’échelle mondiale, ces dévaluations sont simplement la «conséquence du transfert de biens de production, et donc de richesses, en Asie», analyse Patrick Ségal, qui souhaite que l’Occident (ré)investisse dans des industries où la Chine n’est pas compétitive, et surtout que le yuan soit réévalué à sa juste valeur.

Pour sa part, l’économiste et spécialiste de la zone euro de la banque Pictet Jean-Pierre Durante pense que «ces mesures, comparables à la monétisation des dettes des banques mise en oeuvre par la Fed, peuvent en effet affaiblir l’euro, mais cela représenterait un effet bienvenu. Car le seul moteur qui fonctionne actuellement en Europe, ce sont les exportations.» Il ne redoute guère d’effets inflationnistes, qui ne deviendront d’actualité qu’au moment de la sortie de cette crise, mais plutôt «le risque de retomber dans une récession en raison des programmes de restriction et de correction budgétaires mis en place par plusieurs Etats.» Ce qui ne l’empêche pas de juger ce paquet de mesures de manière positive, puisqu’il comprend deux avancées majeures: «Les montants en jeu considérables couvrent environ le double de la dette portugaise, espagnole et irlandaise à refinancer d’ici 2012, réinstaurant ainsi la confiance. Et la possibilité de faire des émissions de dettes communes représente une opportunité pour l’Europe, peut-être même un premier pas vers la création de l’élément manquant dans l’union monétaire, un véritable budget fédéral.

Car en contrepartie, l’Union dispose d’un pouvoir d’implémentation accru pour les directives du pacte de stabilité.»

La dimension historique de cet accord n’a pas échappé à Andreas Höfert, chef économiste pour UBS Wealth Management & Swiss Bank: «c’est le premier effort sérieux des dirigeants de l’UE d’aborder la crise de manière complète.»

Il décrit même le renversement d’un paradoxe: «Aussi longtemps que les dirigeants de l’UE ont insisté sur le traitement de cette crise en tant que problème grec, il était à peu près certain qu’elle devienne un problème plus important pour la zone euro. Comme ils ont conclu maintenant qu’elle doit être traitée à l’échelle de l’UE, les chances qu’elle restera contenue à la Grèce se sont nettement améliorées.» Mais malgré l’euphorie des marchés d’hier, «la dernière crise devrait nous rappeler à quel point la reprise actuelle reste fragile et emmenée par la liquidité.»_

 Christian Affolter agefi mai10

EN COMPLEMENTLes zéros de la zone euro

  Par François Lenglet, rédacteur en chef à La Tribune.

 En mars 2007, les ménages américains font faillite et appellent au secours leurs banques. Dix-huit mois plus tard, en septembre 2008, les banques font faillite et appellent au secours les Etats. Dix-huit mois plus tard, en mai 2010, ce sont les Etats qui font faillite et appellent au secours les institutions internationales, Fonds monétaire, banques centrales et Commission européenne. Tout homme sensé, à la vue du plan européen de 750 milliards d’euros, ne peut que se poser les questions suivantes : que se passera-t-il dans dix-huit mois, si les sauveteurs d’aujourd’hui font faillite ? Peut-on régler un problème d’endettement excessif avec un surcroît d’endettement ? La politique qui consiste à creuser un trou pour en boucher un autre a un nom. C’est celle du sapeur Camember, compagnon du sergent Bitur et héros de bande dessinée.

Reste une évidence : l’Europe n’avait pas d’autre choix que d’aligner les zéros. Ces milliards promis sont évidemment fictifs, mais cela ne gêne pas les marchés financiers, moutonniers et crédules comme une classe d’écoliers du primaire – ce sont probablement les derniers qui croient au pouvoir des gouvernements, et mieux vaut ne pas les détromper. Avec un peu de chance, le plan d’aide européen permettra d’attendre que la reprise se matérialise sur le Vieux Continent.

Déjà, les premières lueurs apparaissent : les exportations allemandes bondissent, la production industrielle française se redresse. Il va se livrer une course de vitesse entre la reprise mondiale et la fatale mécanique des faillites en cascade. Si la première l’emporte, l’Europe gagnera du temps pour réduire ses déficits. Si au contraire c’est la seconde qui prévaut… Mieux vaut que l’homme sensé arrête ici ses spéculations – intellectuelles, cela va sans dire. Car l’Europe aura alors épuisé toutes ses cartouches : plus d’argent, plus de crédit, plus de balivernes à raconter aux investisseurs. Même Jean-Claude Trichet, le gardien du temple branlant de l’union monétaire, sera criblé de dettes.

flenglet@latribune.fr mai10

EN COMPLEMENT INDISPENSABLE : Le pouls l’économie européenne en quelques clics

 En ces temps de troubles budgétaires au sein de l’Union européenne, voici une infographie interactive particulièrement intéressante.

Elle permet en effet de visualiser, en un coup d’œil, les prévisions économiques de la Commission européenne pour cinq indicateurs-clé de chaque état membre (dont la croissance du PIB, l’inflation et le déficit budgétaire). Avec, en sus, la possibilité d’accéder à un document plus détaillé pour chaque pays.

Pour visualiser l’infographie cliquez ici . Pour obtenir les prévisions pour le pays de votre choix cliquer sur le pays en question.

Une info dégotée sur le web par The Big Picture (cliquez sur le lien)

Autres infographies très parlantes. Sous le titre « La hausse de la dette en Europe », le New York Times nous propose 7 cartes différentes pour mieux comparer le poids de la dette et du déficit budgétaire en Europe. Cliquez ici pour découvrir les  cartes.

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