Michael Boskin : Il est temps de contraindre les gouvernements
La crise financière qui frappe actuellement l’Europe est une occasion unique de remettre à l’ordre du jour la maxime de Lénine qui déclarait que rien ne déstabilise autant un pays qu’une devise en déroute. Dans l’Union Européenne d’aujourd’hui, rien ne déstabilise autant une union monétaire qu’un envol de la dette souveraine de l’un de ses membres.
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La tourmente de la dette grecque et les inquiétudes soulevées par des problèmes analogues en Irlande, au Portugal, en Espagne et en Italie suscitent des craintes sur la stabilité des banques européennes, du système financier global, de la zone euro, et de l’économie mondiale. La Chancelière allemande Angela Merkel s’est récemment fait l’écho de ces craintes en public et a de surcroit remis en question la capacité de l’euro à survivre à cette crise.
Le plan de sauvetage de 750 milliards d’euros (près d’un trillion de dollars) mis au point par l’UE, la Banque Centrale Européenne et le Fond Monétaire International n’aura apporté qu’un bref répit aux marchés internationaux. Il permet d’analyser plus sérieusement la crise et l’efficacité de la réponse apportée.
Le renflouage n’est pas une solution aux problèmes fondamentaux de la zone euro ; au mieux, il permet de gagner du temps pour déployer les inévitables ajustements dévastateurs dans le temps et sur les populations. Et il apporte avec lui son propre lot de risques d’aléas moraux et de perte de crédibilité et d’indépendance de la Banque Centrale Européenne (BCE).
Le problème fondamental de la Grèce est le gonflement de ses engagements budgétaires, facilité par la réduction des coûts d’emprunts depuis son adhésion à l’euro. Mais les problèmes ne se limitent pas à la Grèce – ni même aux pays périphériques de la zone euro.
La folie budgétaire est généralisée dans toute l’Europe et dans une grande partie du monde.
Si la Grèce ne payait aucun intérêt sur sa dette et retrouvait le plein emploi, son déficit budgétaire se maintiendrait malgré tout à 6% de son PIB ; mais les chiffres sont identiques ailleurs aussi, si non pires : 8% pour l’Irlande, 5,6% pour l’Espagne, 6,8% pour la Grande Bretagne et 7,5% pour les Etats-Unis.
Certains soutiennent que la seule façon de sauver l’euro serait de poursuivre l’union monétaire par une union budgétaire. Cette recette est pour les politiques de forte imposition et de dépenses sociales élevées (et de déficits pas si petits) des importantes économies du nord de l’Europe, l’Allemagne et la France. Mais ce serait une grave erreur. Plutôt qu’une autorité budgétaire supranationale, il faut que chaque pays impose des contraintes sur sa politique budgétaire.
Le problème des démocraties avancées, en Europe comme ailleurs, est la hausse des dépenses publiques, des taxes, et de la dette publique ; chacune menaçant gravement la croissance économique.
En réponse à cette tendance, le FMI presse pour un retour aux niveaux dette/PIB d’avant la crise. L’explosion des déficits publics affaiblirait indéfiniment d’un tiers ou plus la croissance par habitant dans la plupart des économies avancées – une étonnante stagnation permanente – et entraverait la capacité des gouvernements à combattre la prochaine récession.
Mais un retour dans la zone de sécurité d’avant la crise nécessitera une décennie d’importants excédents du budget principal (excluant le paiement des intérêts) d’environ 4% du PIB aux Etats-Unis, de 3% pour la zone euro (un chiffre qui devra être plus élevé pour les pays dont la dette est plus importante) et 7% pour la Japon.
Les leçons fondamentales du fiasco de la dette grecque ne sont pas nouvelles :
1) les responsables élus ne tiennent aucun compte des coûts à long terme pour obtenir des bénéfices à court terme ;
2) ils n’agissent que lorsqu’ils y sont contraints ;
3) les politiques gouvernementales ne peuvent pas ignorer les lois de l’économie ; et enfin
4) la politique budgétaire est bien plus qu’une simple comptabilité.
Lorsqu’un gouvernement emprunte un euro (ou un dollar, une livre, un peso ou un yuan), il s’engage à rembourser un euro en valeur actuelle en taux d’intérêt futurs et éventuellement à repayer le principal. Cet argent doit provenir de la hausse des impôts, de l’érosion de la valeur réelle des équilibres monétaires et de la dette du gouvernement par l’inflation, ou bien directement d’un défaut et de la restructuration de la dette. Les coûts éventuels de chacune de ces actions sont lourds.
De plus, le problème ne se limite pas à la dette publique.
Un ratio plus important entre la fiscalité et le PIB ne fait que remplacer le problème de déficit par une croissance économique léthargique.
La recherche d’une juste imposition pour les managers : ni utilitarisme, ni juste mérite , just la Flat tax (cliquez sur le lien)
Dans les récentes décennies, les plus importantes économies avancées pratiquant une fiscalité élevée sont celles qui ont connu une croissance plus lente. Et les économies à la fiscalité forte n’avaient même pas de déficits budgétaires aussi réduits que les Etats-Unis dont la fiscalité est faible ; en fait, une hausse de la fiscalité n’a entrainé qu’une hausse des dépenses.
Un nouveau Pacte de Croissance et de Stabilité, permettant aux membres de la zone euro d’évaluer la politique budgétaire de leurs pairs, résoudrait-il ces problèmes ?
Les consultations et les évaluations du FMI n’ont eu qu’un impact limité en dehors des économies déjà lourdement dépendantes de programmes du FMI. Les citoyens et les responsables politiques locaux ne confiront pas leur budget à leurs voisins ou à des organisations internationales à moins d’y être forcé par des clauses d’alliance strictes.
Il faudrait donc mieux que chaque pays établisse de sérieuses contraintes légales sur l’autorité budgétaire de ses législateurs. Imposer des restrictions sur le déficit budgétaire serait un bon début, mais insuffisant.
L’ampleur croissante de l’état providence et l’explosion des déficits et des dettes publiques sont les principales causes de risques économiques systémiques tant au niveau national qu’au niveau global. Des restrictions appliquées simultanément sur la fiscalité, les dépenses et la dette sont donc nécessaires pour éviter les crises économiques et financières futures.
Dans les années 80 et 90, des mesures similaires sur le budget fédéral furent très utiles aux Etats-Unis, mais furent abandonnées en 1998. Les législatures futures ne peuvent pas réellement être tenues à de telles règles si ces dernières ne sont pas inscrites dans les constitutions. Dans de nombreux états américains, l’obligation constitutionnelle de respecter un équilibre budgétaire (pour opérer les budgets, avec possibilité d’emprunter pour les dépenses essentielles comme la construction d’écoles) a globalement plutôt bien fonctionné, et l’Allemagne a récemment décidé d’ouvrer dans ce sens.
Ces règles prévoient des soupapes de sécurité temporaires adaptées en cas de récession, et certaines prévoient aussi un vote à la majorité absolue. Compte tenu de la crise globale durable des finances publiques, une réglementation judicieuse est la promesse de retours importants.
Le problème n’est pas que les gouvernements manquent de ressources pour dépenser, mais que la hausse des dépenses publiques, des impôts, et de la dette sont autant de freins à la croissance économique et aux niveaux de vie futurs. C’est ce à quoi doit s’attendre l’Europe et le monde si les gouvernements ne contrôlent pas leurs dépenses.
Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff : L’explosion de la dette publique freine la croissance économique (cliquez sur le lien)
Michael Boskin Project Syndicate, 2010.
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Lundi 10 mai 2010, les Etats européens et le FMI ont réussi un gigantesque coup de bluff : ils ont dit qu’ils mettraient sur la table 750 milliards d’euros pour aider les Etats d’Europe du sud et l’Irlande.
Ce coup de bluff a rassuré les marchés internationaux : les taux d’intérêt des obligations d’Etat d’Europe du sud se sont effondrés.
Mais ce coup de bluff n’a duré que deux jours.
Depuis le 12 mai 2010, pour emprunter sur les marchés internationaux, les Etats d’Europe du sud et l’Irlande doivent verser des taux d’intérêt de plus en plus élevés.
– Si l’Espagne devait lancer un emprunt à 10 ans, elle devrait verser un taux d’intérêt de 4,20 %. Par comparaison, le 1er décembre 2009, ce taux n’était que de 3,733 %. Le graphique est ici :
http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GSPG10YR%3AIND
– Si le Portugal devait lancer un emprunt à 10 ans, il devrait verser un taux d’intérêt de 4,70 %. Par comparaison, le 1er décembre 2009, ce taux n’était que de 3,727 %. Le graphique est ici :
http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GSPT10YR%3AIND
– Si l’Irlande devait lancer un emprunt à 10 ans, elle devrait verser un taux d’intérêt de 4,81 %. Le graphique est ici :
http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GIGB10YR%3AIND
– Si la Grèce devait lancer un emprunt à 10 ans, elle devrait verser un taux d’intérêt de 7,70 %. Le graphique est ici :
http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GGGB10YR%3AIND
Cette évolution montre que, depuis le 12 mai, les marchés internationaux ne font plus confiance aux pays d’Europe du sud et à l’Irlande : leurs taux d’intérêts sont repartis à la hausse.
En revanche, les investisseurs internationaux se ruent vers les emprunts de l’Etat allemand. Conséquence : les taux d’intérêt des obligations de l’Etat allemand s’effondrent depuis le 10 mai 2010.
– Si l’Allemagne devait lancer un emprunt à 10 ans, elle devrait verser un taux d’intérêt très bas : seulement 2,65 %. Le graphique est ici :
http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GDBR10%3AIND
Conclusion : cette situation est intenable.
La zone euro va exploser.