B.R.I. (Banque des Règlements Internationaux)

Les banques centrales en péril, par Nicolas Baverez

Les banques centrales en péril, par Nicolas Baverez

  La crise de la mondialisation s’est développée en trois temps : faillite des banques après l’éclatement de la bulle spéculative sur le crédit ; déflation économique avec l’effondrement de la demande et l’explosion des défaillances d’entreprises et du chômage ; défiance envers les Etats et les risques souverains, notamment en Europe, qui cumule surendettement, vieillissement démographique, sous-compétitivité et surévaluation de l’euro. Le quatrième temps verra un choc sur les banques centrales.

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Celles-ci ont tenu un rôle majeur à chaque phase de la crise. Leur responsabilité fut engagée dans le laxisme de la politique monétaire et l’inflation des actifs qui ont alimenté l’économie de bulles.

Elles contribuèrent au sauvetage du système financier et à la lutte contre la déflation grâce à la baisse des taux, à l’accès illimité des banques à la liquidité, à l’acquisition d’actifs dépréciés sur les marchés (2,75 milliards de dollars, soit 2,2 milliards d’euros, pour la Réserve fédérale américaine – Fed -, 60 milliards d’euros pour la Banque centrale européenne, BCE). Enfin, elles ont accompagné la relance budgétaire en monétisant les déficits par des achats de titres de dette publique (35 milliards d’euros en mai pour la BCE).

Mais il n’y a pas plus d’émission de liquidités à guichet ouvert que de déficits sans coûts. L’intervention massive des Etats s’est traduite par des dettes publiques supplémentaires équivalentes à 40 % du produit intérieur brut (PIB) pour les nations développées, désormais confrontées au problème de leur remboursement sur fond de déclin économique, de croissance molle et de chômage. Les banques centrales sont en passe d’être rattrapées à leur tour.

Elles ont en effet renfloué les banques avec les Etats, puis elles ont renfloué les Etats. Leur rôle traditionnel de prêteur en dernier ressort les a conduites à étendre démesurément leur bilan. Il s’est doublé d’un statut d’acheteur ultime de titres publics ou privés dévalorisés, au risque de les transformer en gigantesques structures de défaisance.

 La Fed est devenue une hyperbanque centrale en assurant la liquidité en dollars aux autres instituts d’émission.

L’EXPOSITION DES INSTITUTIONS FINANCIERES

Mais les doutes sur la qualité des bilans en Europe et sur le débouclage, en juillet, de l’opération de refinancement géante de 442 milliards d’euros de la BCE ont entraîné l’arrêt du marché interbancaire et la pénurie de dollars.

L’exposition des institutions financières sur l’Europe du Sud et l’Irlande a atteint 3 000 milliards d’euros. Ces difficultés sont exacerbées par la perspective des normes de Bâle III, dont l’application exigerait 1 500 milliards d’euros de fonds propres supplémentaires, et par les projets de taxes sur les opérations bancaires.

De leur côté, les Etats développés sont écartelés entre la brutale montée des taux d’intérêt qui accompagne la dégradation de leur signature et la crainte de retomber dans la récession avec la mise en place des indispensables plans de rigueur.

Les banques centrales seront attaquées dès que se confirmeront les risques de défaut d’institutions financières ou d’Etats, notamment en Europe du Sud, où les plans de sauvetage permettent de gagner du temps, mais pas d’échapper à une restructuration de la dette.

Leur déstabilisation peut avoir trois conséquences : l’inflation, possible aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, mais pas en Europe, où l’Allemagne a imposé sa conception de la stabilité monétaire et de l’équilibre budgétaire ; la fuite devant la monnaie et la spirale de sa dépréciation ; la formation de bulles spéculatives dues à l’accumulation de liquidités.

Peut-on prévenir le krach des banques centrales et secourir celles qui seront en difficulté ? Cinq ripostes sont envisageables:

1) Eviter d’aggraver la pression sur la BCE avec des élargissements irresponsables de l’euro, par exemple en 2011 à l’Estonie, qui affiche un recul du PIB de 14 % et un chômage de 13,1 % en 2009.

2) Renforcer la résilience du système financier en se concentrant sur le seul risque de liquidité des banques en lieu et place des arsenaux fiscaux et réglementaires coûteux et inutiles prévus par Bâle III ou Solvabilité II.

3) Acter la fin du moment keynésien de 2008-2009 en profitant d’une croissance mondiale de plus de 4 % pour engager non seulement des plans de rigueur, mais aussi la conversion du modèle de développement du monde développé, encore fondé sur l’endettement public et privé.

4) Adapter le mandat des banques centrales, leur doctrine et leurs instruments à la mondialisation, via une surveillance accrue du système financier et des actifs.

5) Organiser une coopération renforcée entre les institutions d’émission du monde développé et des émergents : à l’image de l’aide apportée par la Chine à la Grèce, le Sud est seul à pouvoir secourir les banques centrales occidentales. Mais à quel prix ?

Nicolas Baverez est économiste et historien.LE MONDE ECONOMIE | 28.06.10

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EN COMPLEMENT Banques centrales hors cadre par HENRI SCHWAMM

Qu’est-ce qu’une banque centrale?

Elle se définit comme l’institution qui se situe au centre des systèmes de paiement pour garantir les règlements et contrôler l’expansion de la masse monétaire. Elle est considérée comme apte à préserver la confiance dans la monnaie d’un pays.

Prêteur en principe en dernier ressort, sa responsabilité majeure est de veiller, de manièreindépendante de l’Etat, à la stabilité du système financier et notamment à la stabilité de la monnaie.

À cet effet, elle agit sur le taux d’intérêt.

Elle se trouve ainsi impliquée dans la fonction de surveillance du système financier. Elle est nécessairement associée à la réglementation des établissements de crédit et contribue à leur surveillance selon des modalités qui diffèrent d’un pays à l’autre.

La crise financière a changé la donne. Invité par la Banque centrale de la Fédération russe, à l’occasion de son 150e anniversaire, à s’exprimer sur le rôle croissant des banques centrales depuis la crise, Hervé Hannoun, directeur général adjoint de la Banque des Règlements Internationaux, a expliqué que depuis presque trois ans maintenant les banques centrales sont intervenues puissamment dans les marchés financiers pour éviter l’effondrement du système financier global.

Dans les seules économies avancées (Etats-Unis, zone euro, Japon, Royaume-Uni, Suisse, Canada), elles ont pris toute une série de mesures non conventionnelles : apport de liquidités aux banques à des conditions extraordinairement avantageuses afin d’assouplir les pressions sur le marché interbancaire ; intervention dans des marchés de crédit poursoutenir la liquidité du marché secondaire ; achats fermes d’obligations en vue de faciliter les conditions de financement au-delà de ce qui pourrait être obtenu par des baisses des taux directeurs. Résultat de ces opérations : les bilans des banques centrales dans les pays avancés ont considérablement enflé ; dans certains cas, leur volume a plus que doublé par rapport à la période d’avant la crise.

 Dans le même temps, on a observé un changement radical de perception du rôle des banques centrales dansl’économie. Jugé quasi minimaliste avant la crise, il est considéré en raison de celle-ci comme crucial et appelé à apporter des solutions à tous les problèmes à la fois.

Aujourd’hui, on attend des banques centrales qu’elles continuent d’assurer la stabilité des prix, mais aussi qu’elles jouent un rôle plus large en veillant aux autres aspects de la stabilité financière dans son ensemble.

C’est ainsi que la politique monétaire pourrait être appelée à lutter contre une expansion excessive du crédit et les fortes hausses des prix des actifs. Autres questions ouvertes : faut-il confier aux banques centrales  la surveillance microprudentielle des banques et des institutions financières non bancaires (assurances)? La détection, l’évaluation, la surveillance et la maîtrise des risques ? La surveillance des infrastructures financières d’importance systémique (systèmes de paiement, systèmes de règlement des valeurs mobilières)?

Le débat sur la fonction de prêteur en dernier ressort conserve également toute son actualité. L’intervention des banques centrales dans ce domaine ne se justifie que dans la mesure où elle permet d’assurer la pérennité du marché face au risque de contagion de défaut de paiement. Mais comme elle peut susciter aussi un aléa moral par les assurances qu’elle donne et encourager ainsi les défauts de paiement, elle crée une imprévisibilité sur la possibilité de son intervention.

Quoi qu’il en soit, on ne sait pas encore exactement ce que devrait recouvrir le mandat post-crise des banques centrales. Il y a naturellement des limites claires à leur intervention lourde dans les marchés.

Le fonctionnement normal des marchés financiers ne doit pas dépendre de l’aide publique. Les banques centrales doivent sortir des marchés parce qu’elles ne sont pas immunisées contre le risque de crédit.

Il est vrai que leur attitude face au risque en général a évolué depuis le début de la crise. Mais si elles veulent conserver leur indépendance, elles ne peuvent pas se permettre d’accumuler le risque de crédit ou le risque de marché sans restriction. Les banques centrales ne doivent pas indéfiniment intervenir dans les marchés financiers, ne serait-ce que parce qu’elles ne peuvent pas se substituer au marché et qu’elles ne sauraient devenir «l’acheteur en dernier ressort » d’actifs financiers.

 Université de Genève juin10

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