Semaine de stress avant les tests par Bruno Bertez
Les analystes estiment que les résultats du second semestre resteront bons. Très bons. Malgré le ralentissement en cours et la révision des perspectives de croissance.
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Comment interpréter la semaine tumultueuse qui vient de s’écouler? Est-il possible de mettre un peu d’ordre dans le chaos, dans les dislocations observées sur les différents marchés. Le doute est permis. Il est frappant de constater le grand retour de la nervosité et de la volatilité sur les marchés. Dans la semaine se terminant le 16, le S&P500 a perdu 1,2%, victime d’une vague de liquidation brutale en fin de semaine. La semaine précédente, il avait fait un bond de 5,1%. La semaine encore précédente, il avait chuté de 5%. C’est ce que l’on peut appeler l’escarpolette.
Pour les médias, la cause de cet emballement du roller coaster financier, c’est le déchirement, la lutte, l’affrontement entre l’optimisme issu des bons résultats de sociétés et le pessimisme provoqué par les indications macro-économiques de ralentissement. De fait, les marchés sont soumis à des influences contradictoires. Les nouvelles macroéconomiques soufflent le froid, les nouvelles microéconomiques soufflent le chaud.
Ainsi, les ventes au détail, le logement, l’activité manufacturière, les indices de prix, les indices de confiance, tout va dans le même sens négatif: le ralentissement de la croissance. Les forces déflationnistes reprennent de la vigueur. Il devient évident et admis que l’activité économique commence à ralentir alors que l’effet des politiques de stimulation s’estompe. Les prévisions de croissance du GDP pour le second semestre sont révisées en baisse. On trouve des révisions pour les 3ème et 4ème trimestres à 1,5% seulement de croissance contre 2,5% à 3% auparavant.
C’est tout à fait logiquement que les pessimistes mettent l’accent sur les tendances macroéconomiques puisqu’elles vont dans leur sens et qu’elles confirment leur biais. Ils ont beau jeu de souligner l’essoufflement de la reprise, les incertitudes décevantes de la consommation, l’atonie persistante de l’emploi, les limites de la croissance manufacturière, dès lors qu’il n’y a pas de relais de la demande finale. Rien à redire, tout cela paraît justifier la chute des actions et le retour de l’intérêt sur les véhicules de déflation comme les Treasuries à 10 ans dont le taux est repassé sous les 3%.
En sens inverse, les nouvelles microéconomiques sont bonnes et même excellentes. Sur les résultats de sociétés qui sont publiés à l’heure où nous écrivons, soit 37 résultats, 20 sont supérieurs au consensus et constituent une bonne surprise. On s’oriente vers un grand trimestre. Vers des records. Les prévisions les plus optimistes sont en passe d’être concrétisées. Les marges bénéficiaires sont fantastiques. On les estime à 102% des records antérieurs! Lesquels il faut le rappeler, étaient de 40% supérieurs aux moyennes historiques. La caractéristique vraiment remarquable du cycle en cours, c’est la capacité des firmes à soutenir des marges bénéficiaires que l’on croyait insoutenables. L’analyse des discours des présidents permet de faire ressortir les causes de cette performance. Malgré de faibles croissances des ventes, les bénéfices sont très élevés grâce aux réductions d’effectifs, à l’absence de réembauche, aux fermetures d’installations, aux délocalisations, aux investissements de productivité, à la baisse des charges financières, au deleveraving, au gonflement des trésoreries. Tout se passe comme si, face à l’hostilité ressentie d’Obama à l’égard des milieux d’affaires, ceux-ci en tiraient les conséquences et redoublaient de prudence et de rigueur. Les analystes estiment que, malgré le ralentissement en cours et la révision des perspectives de croissance, les résultats du second semestre resteront bons. Très bons. La révision en cours des estimations se limite à quelques tout petits pourcents. Et pour 2011, malgré une croissance encore limitée, les prévisions donnent une nouvelle et sensible avance. Sans être aussi optimistes que le consensus, cette évolution peut tout à fait être réalisable.
Évolution macroéconomique négative, évolution microéconomique positive: qui a raison? Les optimistes ou les pessimistes? Notre idée est que les deux camps ont raison et que la contradiction n’est qu’apparente. La dureté des temps économiques conduit les entreprises à des performances extrêmes en terme de productivité et de réduction des coûts. Ceci fait des marges bénéficiaires et des résultats fantastiques; mais, au même moment, cela fait de l’emploi et des revenus catastrophiques. Ce qui pèse sur l’économie, dans son aspect macro. Les deux constats constituent deux aspects d’une même réalité, deux aspects apparemment contradictoires, mais en même temps inséparables
Face à la crise, confrontés à des perspectives de croissance faible et mal assurée, le système des grandes entreprises américaines réagit par l’augmentation du taux de profit et par le renforcement de sa solidité financière. Il se muscle. En contrepartie, ce qui se détériore, c’est l’emploi privé, la situation des petites et moyennes entreprises, et bien sûr la situation financière du gouvernement et de sa Banque Centrale. Il faut reconnaître que, pour une fois, Bernanke avait raison. Il avait raison fin 2009 quand il avait prédit un retour à la forte rentabilité des firmes américaines.
Il en avait tiré la conclusion, à la faveur de cette rentabilité exceptionnelle et très attractive au niveau mondial, que les capitaux allaient à nouveau affluer vers les Etats-Unis, que les problèmes de financement seraient résolus et que le dollar allait être recherché. Dans ce schéma, Bernanke a eu raison partiellement pour les actions jusqu’au 15 avril. Pour les fonds d’Etat, les Treasuries, il a eu entièrement raison. Pour le dollar, c’est selon, car le dollar, lui, constitue une synthèse du macroéconomique, du microéconomique, mais aussi de la situation globale mondiale. Le dollar a été recherché quand la crise de la dette souveraine et bancaire européenne a joué son rôle de repoussoir pour l’euro. Plus près de nous, ces derniers jours, il a chuté sur la révision en baisse des perspectives de croissance américaine et la montée de la probabilité d’une nouvelle vague de stimulation monétaire non-conventionnelle du type «Quantitative Easing» no 2. Ralentissement de la croissance, baisse du dollar, résultats très élevés des grandes entreprises, finalement ce qui paraît contradictoire et désordonné ne l’est pas vraiment. C’est le mode d’adaptation des firmes par la productivité et le contrôle des coûts qui pèse sur la croissance et l’emploi et empêche les green shoots de prendre racine.
Un autre élément du tableau des dernières semaines fait problème. Comment se fait-il que le secteur financier et bancaire soit aussi chahuté? Dans la semaine au 16 juillet, les financières ont chuté de 4,7%; dans la semaine au 9, elles ont monté de 8,9%; dans la semaine au 2, elles s’étaient effondrées de 8,6%. Une telle volatilité ne peut s’expliquer par la seule influence des résultats ou les réformes en cours.
Notre idée est que quelque chose «cloche» du côté de ce secteur. Sous la surface, derrière les apparences du «extend and pretend», il y a des choses qui bougent. Cela s’agite. On en voit les manifestations dans les tensions persistantes sur les marchés de gros du refinancement, dans l’évolution des spreads et des CDS, dans la pénurie d’euros de ces derniers jours. Tout semble pointer dans la direction d’une réduction de la liquidité globale et d’un retour du risque bancaire. Autrement dit, y a t’il quelque part dans le système un risque non-reconnu ou caché par les autorités. Nous pensons qu’il convient de tourner son attention vers la crise de l’euro. Cette crise doit être démystifiée. Il ne s’agit pas d’une crise de la finance souveraine, il s’agit d’une crise bancaire, d’une crise de l’interconnexion bancaire, dans son articulation avec le crédit souverain.
Ce qui est déterminant, pour reprendre les chiffres de la BRI, la Banque des Règlements Internationaux, c’est que les banques allemandes ont 500 billions d’exposition sur les PIGS, les banques françaises 480 billions, les banques mondiales une exposition de 2 trillions dans leur ensemble. Comme au temps du subprime, on dit que le problème est contenu, on nie les conclusions des agences de rating, on cherche à substituer aux appréciations privées les estampilles gouvernementales des stress-tests. On prétend que les craintes sont injustifiées et pourtant les banquiers qui bénéficient de l’asymétrie des informations refusent de se prêter entre eux. Les résultats des stress-tests européens sont attendus pour le 23 juillet. Ils seront peut-être suffisamment détaillés; ils seront peut-être suffisamment transparents. Ils seront peut-être convaincants. Peut-être même déboucheront-ils sur des propositions de recapitalisation concrètes et crédibles. En attendant, nous pensons que c’est cette question de la situation des banques et des remèdes que l’on proposera d’y apporter qui est déterminante.
Bruno Bertez juil10 agefi
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