Innovation : Une nature économe en énergie par Caroline Depecker
Des chercheurs se sont inspirés de l’efficacité de certains flux naturels d’énergie pour mettre au point la photosynthèse artificielle, développer une hydrolienne ou encore faire nager un dirigeable dans les airs
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Fiat lux… lux fit! Que la lumière soit… et la lumière fut! Depuis plusieurs milliards d’années le soleil baigne notre planète de ses rayons, générant vents et courants marins, tous mis à profit par Mère Nature pour créer la vie. Au commencement furent les cellules photosynthétiques capables de capter les précieuses particules lumineuses qui leur ont permis de se développer et de rendre notre atmosphère respirable. Les organismes vivants ont évolué au rythme de leurs inventions, cherchant toujours dans leur environnement immédiat la source d’énergie la plus facilement disponible, l’utilisant avec parcimonie et efficacité. Des règles à suivre par l’homme aujourd’hui pour mettre au point de nouvelles solutions énergétiques.
Chaque année, les plantes convertissent un millième de l’énergie solaire absorbée par la Terre, soit dix fois les besoins énergétiques humains. Ce savoir-faire a de tout temps fasciné les scientifiques qui, ces deux dernières décennies, ont fait d’immenses progrès dans la compréhension des mécanismes moléculaires à la base du processus naturel. Ces découvertes ont fortement influencé Michael Graetzel, professeur à l’EPFL. Ce chimiste d’origine allemande a inventé au début des années 1990 des cellules photovoltaïques (portant son nom) qui utilisent des pigments photosensibles, à l’image de la chlorophylle, pour transformer la lumière en électricité.
«Les cellules Graetzel sont actuellement les seuls systèmes photovoltaïques mimant la photosynthèse pour produire du courant électrique, affirme le chercheur. Contrairement aux cellules solaires traditionnelles, nos cellules différencient en effet la phase de séparation des charges et le transport des électrons.» Dans ces cellules à colorants, le sensibilisateur est greffé à la surface d’un oxyde semi-conducteur (de l’oxyde de titane) baignant dans un milieu appelé électrolyte et donneur d’électrons. Sous l’effet de la lumière, le pigment gagne suffisamment d’énergie pour injecter un électron dans la bande de conduction de l’oxyde semi-conducteur.
La structure des cellules Graetzel s’inspire encore de celle du vivant: les particules de titane sont empilées à la manière des chloroplastes contenant la chlorophylle des feuilles, afin de piéger le maximum du flux solaire. Elles incorporent encore d’autres pigments jouant le rôle d’antennes collectrices de lumière comme dans le modèle végétal. Ces cellules à colorants sont flexibles, elles ont un coût de production avantageux. Etudiées de par le monde, elles sont industrialisées depuis peu en Angleterre.
S’inspirer de la nature ne veut pas dire la copier intégralement. «Nos cellules, associant à la fois composants organiques et inorganiques, récolte plus efficacement la lumière que les plantes, souligne l’inventeur lausannois, mais il y a d’autres pertes par la suite…» Certes, on peut être parfois plus efficace que la nature mais «pas en ce qui concerne la consommation d’énergie», commente Tarik Cheksak, membre administrateur au sein de l’association Biomimicry Europa.
«La nature déteste le gaspillage. C’est une des règles du vivant: maximiser le gain tout en minimisant le coût. Ce principe, appliqué entre autres par les prédateurs marins, a donné lieu à différentes innovations dans le domaine de l’énergie» complète le biologiste.
Il en va ainsi du requin dont la peau a été rendue célèbre en 2000. Au cours des JO de Sydney, tous les nageurs détenteurs de l’or portaient des combinaisons mimant les canaux cutanés du squale. Ces derniers génèrent de minuscules tourbillons attirant l’eau près du corps et réduisent ainsi l’effet de résistance exercée par celle-ci. L’entreprise américaine Fastskinz s’est encore inspirée du phénomène physique pour créer un film qui, d’après elle, permet aux véhicules qui en sont recouverts d’économiser 18 à 25% de carburant.
«Certaines espèces vivantes utilisent une partie de leur énergie pour se déplacer activement, dit Tarik Cheksak. D’autres préfèrent se laisser entraîner. S’en inspirant, nous pouvons adapter ces stratégies à nos besoins…» Et le scientifique de citer l’exemple d’une hydrolienne testée actuellement par la société australienne Biopower Systems, prenant la forme et le mouvement de la nageoire caudale du requin. Ou comment transposer une stratégie de locomotion active en une utilisation passive du flux marin, la pale subaquatique oscillant au gré des courants océaniques.
Notre carnassier, comme le thon, est capable de piquer des pointes de vitesse impressionnantes. Dans cette performance, 90% de l’énergie dépensée par les animaux durant leur course est convertie en propulsion. Et pourtant ce ne sont pas ces modèles qui ont inspiré Christa Jordi. Cette chercheuse de l’Empa travaille depuis trois ans à la conception d’un petit dirigeable (huit mètres de long) qui vole dans les airs à la manière d’une truite!
«Le but recherché à travers ce développement est de montrer tout le potentiel que peuvent avoir des surfaces tissées à partir de polymères électroactifs (PEA). Ces derniers sont capables de convertir l’énergie électrique en travail mécanique autrement dit en mouvement, explique la spécialiste en matériaux. La forme du poisson nous permet ici d’augmenter sensiblement le rendement propulsif.»
L’enveloppe et la queue de l’aéronef comportent sur leurs faces des paires d’électrodes de graphite recouvertes de feuilles en PEA. En appliquant une tension alternative aux bornes des électrodes, les PEA s’étirent ou se raccourcissent à la manière des muscles du salmonidé. «Notre prototype nécessite encore de nombreuses optimisations, notamment en ce qui concerne les pertes énergétiques», tempère la doctorante. Mais le principe est acquis, comme l’intérêt de cette nouvelle technologie, que cela soit dans le domaine médical, ou celui de la robotique
source le temps aout10