le nécessaire ménage des dérivés de gré à gré
Ils ont clairement constitué une des causes de la récente crise financière, ils sont dans le collimateur des réformateurs et on veut encadrer leur marché en canalisant leur commerce vers des chambres de compensation. Il s’agit des produits dérivés négociés de gré à gré (OTC).
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Dans une réflexion intitulée « A small step in the right direction » (Un petit pas dans la bonne direction), le Financial Times explique que les projets de réglementer le commerce des produits dérivés actuellement négociés de gré à gré (ou over the counter, OTC) ne régleront pas tous les problèmes de risque reliés à ce marché. Car, comme disent les Anglais, le Diable se cache dans les détails.
La loi Dodd-Frank, la réforme de l’industrie financière américaine adoptée l’été dernier, entend canaliser la majorité du commerce des produits dérivés vers des chambres de compensation et des Bourses. Les régulateurs sont convaincus qu’une telle mesure diminuera le risque associé à de tels produits.
L’esprit de la loi est simple : les régulateurs doivent s’assurer que les produits vendus s’accompagnent de nécessaires réserves de liquidités qui servent de contrepartie au risque (liquidity requirements). Et que les chambres de compensation fassent en sorte de créer une transparence suffisante pour établir une valeur réelle au marché (mark to market).
On touche ici à deux éléments qui ont représenté des problèmes majeurs qui ont mené à la crise.
AIG, par exemple, avait plus de 500G$US en couvertures de défaut de crédit (credit default swaps, CDS) dans ses livres en 2007. L’année suivante, l’État a dû sauver AIG pour 182 G$US. On s’attend à ce que la valeur de ces CDS soit fortement ajustée à la baisse. Même s’il n’y a fondamentalement rien de mal à se couvrir contre le défaut obligataire, le problème des titres échangés par AIG se situait principalement autour du fait qu’ils n’étaient pas suffisamment adossés à des liquidités. Et qu’acheteurs et vendeurs de ces titres ne partageaient pas les mêmes informations quant à leur valeur. Ce qui n’a pas permis au marché de s’ajuster en conséquence.
Le problème, c’est que même la nouvelle réglementation ne permettra pas, selon les critiques, de réellement comparer les prix et le risque des dérivés, tant pour les acheteurs que pour les vendeurs. Car on se demande encore aujourd’hui quelles seront les marges exigées par les régulateurs et les coûts engendrés par la réglementation.
D’autant plus que les chambres de compensation ne sont pas des banques. S’il survenait un problème, les experts se demandent comment les gouvernements interviendront. Certes, une chambre de compensation implique des murs pare-feu, qui s’activent lorsque les systèmes identifient des risques ou des problèmes ciblés à l’avance par les autorités. Mais elles ne constituent pas une protection à toute épreuve en cas de crise. Par contre, le recours aux chambres de compensation représente un avantage : elles « mutualisent » le risque au sein de leurs membres, essentiellement des firmes de courtage. Et elles permettent une publication quotidienne de l’état des liquidités adossées aux dérivés.
En cas de crise, certains experts avancent que les chambres de compensation peuvent demander à la Réserve fédérale de mousser leurs liquidités.
Les autorités devront également mieux comprendre comment les dérivés sont souscrits. Car certains contrats de swaps représentent plusieurs fois la valeur de la dette sous-jacente. Dans ces conditions, un capital adéquat ne signifie pas une protection contre un marché qui se comporterait de manière irrationnelle.
D’autres veulent que les droits de propriété des obligations soient liés au niveau d’exposition des dérivés qui leur sont associés. Car certains financiers peuvent parfois profiter davantage de la faillite que d’une restructuration de dette. En conséquence, des experts aimeraient voir imposés des plafonds sur la négociation de dérivés de vente à découvert sans contrepartie (naked shorts). Ces dérivés offrent une protection contre le défaut sans que l’on ne possède le titre sous-jacent.
Une telle mesure permettrait de privilégier l’utilisation de dérivés pour ce qu’ils ont été conçus : une protection. Et non pour des activités de spéculation….
EN COMPLEMENTS :WSJ : Le problème épineux des produits dérivés
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Business as usual : Progression significative des dérivés
EN COMPLEMENT INDISPENSABLE : L’ABC du naked short selling
Une opération de couverture permet à un investisseur, qui craint que le titre d’une compagnie en particulier ne diminue, d’acheter une option de vente lui assurant pour une durée limitée la possibilité de vendre ses actions à un prix fixé d’avance. Le « naked short selling » est quant à lui un type de vente avec opération de couverture qui n’est pas elle-même entièrement couverte, mais qui permet d’augmenter le niveau de liquidité des marchés.
Martin Noël, analyste à la Bourse de Montréal, explique les bases de ce type de transaction : « Lorsqu’un spéculateur ou un négociant (trader) détient des actions et qu’il les revend, il n’y a pas de problème. On a les certificats et lorsque la vente est faite on transmet le certificat au nouvel acheteur. C’est une transaction normale », explique-t-il.
« Mais lorsque l’on n’a pas le certificat et qu’on veut vendre les titres quand même parce que l’on croit qu’ils vont baisser, on doit emprunter le certificat qui devra éventuellement être rendu à la personne qui en est propriétaire, ajoute-t-il. Dans ce cas-là, c’est une vente à découvert. »
Dans le « naked short selling », on n’emprunte pas le certificat et personne ne se soucie de savoir si les titres sont disponibles ou non. Le négociant peut donc techniquement en vendre autant qu’il veut ce qui peut produire, à grande échelle, une poussée négative sur les titres concernés comme dans le cas de Lehman Brothers, Bear Sterns, Fannie Mae ou Freddie Mac.
La réglementation normale demande à ce que les négociants identifient des titres existants afin de s’assurer qu’ils sont disponibles avant de procéder à la vente. La SEC a établi une série de recommandations dont une qui s’applique particulièrement aux titres du secteur financier qu’elle juge vulnérable dans les conditions actuelles.
« Ce que la SEC demande, c’est que les investisseurs prouvent ont en main les certificats lors de la vente pour certains titres, dont ceux du marché financier, et qu’ils peuvent donc les livrer après la transaction », souligne Martin Noël.
Les certificats peuvent être empruntés auprès de différentes firmes de courtage qui détiennent de larges blocs d’actions au nom de leurs différents clients. Bien que potentiellement risqué, le « naked short selling » n’est pas illégal, certifie Martin Noël : « Ce qui est illégal c’est de s’en servir pour influencer l’évolution d’un cours boursier. »
SOURCE F&I sep10