Changes et Devises

Ce que l’Allemagne doit à l’euro par Martin Wolf

Ce que l’Allemagne doit à l’euro par Martin Wolf

  Quel est le pays qui a le plus bénéficié de la création de la zone euro ? L’Allemagne. Or ses citoyens n’en sont pas convaincus. Pourtant, ce n’est que lorsque ce scepticisme aura disparu que Berlin pourra soutenir les réformes dont l’Union monétaire européenne a besoin.

PLUS DE WOLF EN SUIVANT :

Commençons par admettre que la crise n’est pas morte mais assoupie. Face à de possibles turbulences, les Allemands doivent reconnaître qu’ils ont intérêt à ce que la zone euro soit une réussite.

Et d’abord parce que leur économie dépend énormément des exportations. De 2000 à 2008, les commandes extérieures ont généré les deux tiers de l’augmentation de la demande vis-à-vis de la production allemande.

L’Allemagne a donc besoin de marchés captifs et d’un taux de change compétitif. La zone euro lui a procuré les deux. La crise à la périphérie de l’Union monétaire a fait baisser l’euro ; les partenaires de Berlin au sein de la zone (elle absorbe 40 % des exportations allemandes, soit neuf fois plus que la Chine) ne sont toujours pas compétitifs après une décennie de hausse des coûts relatifs.

Si l’euro n’avait pas existé, le taux de change du deutschemark serait monté en flèche quand les crises monétaires ravageaient l’économie européenne, comme ce fut le cas dans les années 1990. Dans l’Europe périphérique, la dépréciation des monnaies aurait été au moins aussi forte, sinon plus, que celle qu’a connue la livre sterling. Avoir échappé à ces chocs a facilité le redressement allemand. Ne serait-ce que pour cette raison, la création de la zone euro a été plus qu’une faveur que l’Allemagne accordait à ses partenaires : ce fut aussi, pour elle, un énorme avantage économique.

Outre-Rhin, certains économistes ne partagent pas ce point de vue. Hans-Werner Sinn, président de l’institut de recherche économique Ifo de Munich, estime dans un article récent que l’intégration du marché des capitaux de la zone euro et l’opinion erronée selon laquelle le risque avait disparu à sa périphérie ont entraîné une convergence des taux d’intérêt. Cela aurait suscité un boom de l’investissement, notamment en Espagne, et permis à des gouvernements négligents, en particulier en Grèce, de dépenser de manière inconsidérée.

Dans le même temps, argumente M. Sinn, les sorties de capitaux – contrepartie de l’excédent des comptes courants – ont privé l’Allemagne d’investissements. Il note que l’investissement net du pays est resté le plus bas du monde développé de 1995 à 2008. Cela a freiné l’économie. A l’exception de l’Italie, l’Allemagne a connu le taux de croissance le plus bas de l’Union européenne entre 1995 et 2009.

Je suis en désaccord avec la plus grande partie de ce raisonnement.

En premier lieu, l’euro n’est pas la principale explication de la faiblesse de l’investissement outre-Rhin. D’après mes calculs, les taux d’intérêt allemands réels ont aussi chuté après 1999. Certes, ceux de l’Europe périphérique ont plongé plus nettement. Mais dans un marché mondial des capitaux saturé, il est difficile de croire que l’investissement en Allemagne ait été évincé. Il est plus probable que la faible demande intérieure, les rigidités structurelles et la mondialisation l’ont maintenu à un niveau bas.

Aussi, les gains enregistrés en périphérie de l’Europe ont été temporaires, sinon illusoires. L’afflux de capitaux a surtout bénéficié à la construction et à d’autres activités non échangeables. Il a alimenté des booms de consommation insoutenables. Certes, les investisseurs et contribuables allemands vont perdre une partie de l’argent qu’ils ont investi dans des économies moins sûres qu’ils ne l’imaginaient. Mais l’Allemagne reste un important bénéficiaire de la création de la zone euro. Il est dans son intérêt d’oeuvrer pour que celle-ci survive et que les pays partenaires réussissent leur ajustement.

Par ailleurs, le professeur Sinn soutient, à juste titre, que les plans de sauvetage doivent inclure des « coupes de cheveux » pour les créanciers. Or il note que celui destiné à la Grèce a été plus conçu pour camoufler les pertes des banques, et notamment des banques françaises, que pour voler au secours des Grecs. Le principe selon lequel les Etats souverains ne sauraient être acculés au défaut de paiement, dit-il, est inacceptable.

Mais j’ajouterais que les réformes ne doivent pas veiller exclusivement à la discipline budgétaire ; elles doivent être au moins aussi attentives à atténuer les cycles « boom-crise » du secteur privé.

A tort ou à raison (à tort, à mon avis), la zone euro est décidée à aller vers la rigueur budgétaire. Jean-Claude Trichet, le président de la Banque centrale européenne (BCE), a soutenu cette orientation lors de la conférence de Jackson Hole (Wyoming, Etats-Unis) où se réunissaient économistes monétaires et banquiers centraux.

Il n’y a là rien de surprenant. Mais la politique monétaire doit être au moins en partie compensatoire. La BCE viole ses propres principes monétaires, hérités de la Bundesbank, en laissant s’effondrer la croissance de la masse monétaire au sens large. Qu’est-il advenu de la « valeur de référence » pour la croissance monétaire ? Pourquoi les économistes allemands ne se plaignent-ils pas plus de cet échec monumental ?

Le professeur Sinn pense aussi qu’un schéma de croissance de la zone euro plus équilibré devrait sous peu émerger, maintenant que les investisseurs allemands ont réalisé à quel point leurs placements à l’étranger étaient peu sûrs. Les banques allemandes, écrit-il, « pourraient tenter de s’intéresser aux ressources naturelles ou à l’Asie, mais il est certain qu’elles proposeront de meilleures conditions de crédit aux entreprises et aux propriétaires de logements allemands ».

Dans ces conditions, on peut espérer un boom du crédit outre-Rhin. Mais Berlin devrait alors se pencher sur les éléments qui découragent le prêt et la dépense intérieure. Sans cela, on voit mal comment la zone euro pourrait opérer son nécessaire redressement.

Ce point de vue est impopulaire en Allemagne. Mais le pays a un intérêt économique et politique à faire en sorte que l’Union monétaire fonctionne. L’euro est une devise stable – depuis son établissement, le taux d’inflation a été inférieur à ce qu’il était du temps de la Bundesbank ; il a évité de plus violents chocs à l’économie allemande.

Le défi consiste maintenant à modifier le fonctionnement de l’Union monétaire, à réformer ses institutions afin que son économie soit plus sûre pour tous. Ce changement sera douloureux, mais l’Allemagne n’a pas de meilleure alternative.

source le Monde sep10

——————————————————————————–

Cette chronique de Martin Wolf, éditorialiste économique, est publiée en partenariat exclusif avec le « Financial Times (Traduit de l’anglais par Gilles Berton)

1 réponse »

Laisser un commentaire