Changes et Devises

Et c’est reparti…par Charles Gave

Et c’est reparti…par Charles Gave

Ceux qui me font l’honneur de me lire à intervalles réguliers dans Le JDF me rendront au moins ce mérite. Je n’ai cessé de dire depuis le début de ces chroniques que l’euro était une construction de nature purement politique, mal foutue, mal conçue et qui allait nous amener inéluctablement de désastre économique en désastre politique. Hélas, nous y sommes.

PLUS DE GAVE EN SUIVANT :

Déjà trois pays sont « interdits » de marchés obligataires ; la Grèce, le Portugal et l’Irlande ont le plus grand mal à financer des déficits calamiteux dans les marchés, et il a fallu monter en toute hâte des procédures de soutien à ces pays dont personne ne sait exactement qui les financera et selon quelles modalités.

Déjà l’Espagne et l’Italie montrent les signes avant-coureurs de la maladie qui a frappé les trois premiers, et qui est bien sûr de nature parfaitement contagieuse.

Déjà l’Allemagne, que chacun invite à payer au nom de la sacro-sainte solidarité européenne, commence a renâcler et demande à ce que les pertes éventuelles soient également partagées.

Déjà on impose à ces pauvres pays une politique directement inspirée de celle de Laval en 1934, de compression de la demande interne, qui échoue toujours, sauf à être compensée par une forte dévaluation, ce que le système interdit.

Bref, l’euro, sous la direction éclairée du gouverneur de la BCE, se révèle comme étant une machine aussi déflationniste et dangereuse que le défunt étalon or, cause de toutes les grandes dépressions, comme tout un chacun le sait ou devrait le savoir.

En fait, un système économique est un peu comme une structure de Calder. Les parties sont reliées entre elles par des fils invisibles mais bien réels. Si un choc heurte le mobile, alors tout se met à bouger. Imaginez que des malfaisants bloquent l’une des parties ; automatiquement, si un choc se produit, les parties non bloquées se mettront à bouger beaucoup plus.

C’est ce qui se passe dans une économie : si vous bloquez les taux de change, alors d’autres choses se mettront à bouger en réaction, et ces autres choses seront le chômage (en hausse), la croissance économique (en baisse), le déficit budgétaire (en hausse), la dette publique (en hausse), le poids de l’Etat (en hausse)…
Bref, on nous a bâti un système qui ne peut pas ne pas exploser à terme, non sans avoir créé au passage des dégâts considérables, conséquence de la socialisation forcée de l’économie imposée par la mort du secteur privé.

Fort bien, va me dire le lecteur du JDF, mais c’est une réalité de marché. Comment m’en protéger et protéger mon patrimoine de ce qui apparaît de plus en plus comme une ligne Maginot ?
La reponse est assez simple : la monnaie est de nature étatique (voir Libéral mais non coupable, Bourin éditeur).
Il faut donc concentrer ses placements soit dans les pays qui n’ont pas ce problème, et j’ai signalé dans le passé la Suède, Singapour ou Hongkong, soit dans des sociétés cotées chez nous et qui n’ont rien, mais rien à voir avec l’Etat francais ou l’euro, et ne pas toucher à celles qui sont trop proches des Etats, comme les companies d’assurances, banques, entreprises de services publics, télécoms, etc.

Si le système finit par se briser, je n’ai pas le moindre doute que ce sera une bonne nouvelle. Après tout, chaque fois qu’un monstre technocratique du type de l’Union soviétique disparaît, c’est une victoire de la Liberté, ce qui est toujours une bonne nouvelle. Il en sera de même pour l’euro. Il n’en reste pas moins que l’agonie sera pénible et agitée, et que cette agonie fera des victimes innocentes, en particulier chez tous ceux qui ont fait confiance aux Etats et à leurs promesses.
D’où ma recommandation de concentrer les placements sur les sociétés qui n’ont que peu à voir avec ces Etats européens qui rentrent dans des jours de restructuration difficiles, ce qu’il convient de regarder avec beaucoup d’intérêt mais de loin, de fort loin, en fait, du plus loin possible.
Mettre de la distance entre ses placements et les Etats de l’Euroland, telle a été ma consigne depuis longtemps, telle elle reste, et rien de ce qui se passe en ce moment ne m’amène à penser qu’il faudrait changer cette consigne, bien au contraire.

source  JDF HEBDO | 20.11.2010

charlesgave@gmail.com

 

http://lafaillitedeletat.com/about/

EN COMPLEMENT : Andreas Höfert (UBS): “Nous allons au-devant d’une série de crises”

Andreas Höfert, chef économiste chez UBS Wealth Management, a souvent eu un regard critique et décalé par rapport au reste de la communauté des économistes, en particularité sur le futur de l’euro. Entretien

Au vu de vos commentaires passés, je suppose que vous n’êtes pas surpris par la tournure des événements de ces derniers jours?

Andreas Höfert: Non, bien entendu. J’avais signalé il y a quelques mois que la crise financière avait fait apparaître des zones de fracture qui avaient été cachées depuis la création de l’euro. Rien n’a été fait pour remédier au problème de fond: réduire l’hétérogénéité entre les différents pays par une plus grande intégration des politiques fiscales, économiques et sociales. Les crises de ces derniers mois ont également mis en évidence la difficulté pour les Etats-membres d’abandonner une partie de leur souveraineté. Le refus de l’Irlande d’accepter l’aide européenne, ou les obstacles de la réforme des retraites en France en sont de parfaits exemples. Les pouvoirs politiques ne sont pas prêts à ce genre d’initiatives. Nous allons au-devant d’une série de crises, pour lesquelles des solutions seront trouvées au cas par cas. Après l’Irlande, les marchés testeront peut-être à nouveau la Grèce ou le Portugal, voire l’Espagne. Et pourquoi pas la France, l’Italie ou la Belgique.

Que faudrait-il faire pour sortir de cette problématique?

Höfert: Nous aurons éventuellement un mouvement vers une harmonisation fiscale au niveau européen, mais cela sera douloureux pour la population, et difficile à accepter par les politiques. Une autre solution serait une sortie par le haut de 2-3 pays, par lassitude envers le système. Par exemple, si l’Allemagne décide un jour de sortir, sa devise sera logiquement beaucoup plus forte que l’euro. Une sortie par le bas d’un pays périphérique n’est pas crédible en raison de la crise économique et monétaire qui en résulterait. Il n’est toutefois pas possible d’exclure l’éventualité d’un parti antieuropéen qui arrive au pouvoir en Grèce lors des prochaines élections. À partir d’un moment, il faut se poser la question de savoir quels sacrifices un pays est prêt à endurer pour le maintien dans l’euro.

Bernanke Iraqi Information Minister

Outre la problématique de l’euro, vous avez aussi une position plus tranchée que vos collègues économistes sur la déflation?

Höfert: La Banque centrale américaine pratique une politique monétaire de seigneuriage. Elle fait tourner la planche à billet sans limite physique, et si l’économie et l’inflation ne repartent pas, elle recommence. Les 600 milliards de dollars du dernier programme correspondent au déficit américain attendu sur les 9 prochains mois, qui sera donc intégralement financé par l’impression de billets. L’hypothèse selon laquelle une telle masse de liquidités arrive dans l’économie en parallèle à une déflation ne fait pas beaucoup de sens au niveau de la théorie économique.

Le problème ? Personne n’est en mesure d’évaluer les effets secondaires de cette politique. “Et en économie, quand on fait le chemin dans un sens, on n’est jamais sûr de pouvoir le faire en sens inverse et de revenir au point de départ”

“A court terme, le risque est plutôt la déflation, mais on pourrait passer ensuite dans un régime plus inflationniste, surtout dans les pays à monnaie faible”

Quelles seront les conséquences d’un redémarrage de l’inflation pour les marchés financiers?

Höfert: Clairement, ce sont les épargnants en produits traditionnels (obligations d’état, compte à vue, compte d’épargne) qui vont perdre de l’argent. Les perspectives sont un peu meilleures pour les Bourses, en particulier pour les actions et secteurs exposés sur les économies émergentes. Nous apprécions également les obligations d’entreprise, voire les actions à rendement élevé.

US National Debt - Impossible

Comment voyez-vous la croissance mondiale?

Höfert: Je pense qu’il faut arrêter de raisonner en terme de pays développés contre pays émergents, mais plutôt en terme de pays exposés sur la Chine et ceux qui ne le sont pas. Dans le premier groupe, on trouve le Sud-Est asiatique et les pays exportateurs européens, comme l’Allemagne, la Scandinavie ou le Benelux. Ces pays auront une croissance qui sera soutenue par la vigueur de l’économie chinoise. Dans le second, on trouve les pays méditerranéens, mais aussi le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Pour ce dernier pays, nous nous attendons à ce que la croissance reste faible pour une période de 5 ans au moins, avec d’ici 18 à 24 mois, une accélération de l’inflation. Les Etats-Unis seront comme le Japon, mais avec de l’inflation.

Les économistes parlent beaucoup des nouvelles bulles émergentes?

Höfert: Il y a effectivement des signes dans plusieurs pays, comme par exemple au Brésil. Jusqu’ici, les autorités chinoises ont toutefois été assez vigilantes pour contrer les signes d’une surchauffe, et le pays reste globalement sain, mais nous restons attentifs à la situation. Il y a par contre une bulle dont on parle peu mais qui est bien présente, c’est la bulle de la dette publique américaine, avec des taux au plancher tandis que le déficit public s’élève à plus de 10% du PNB. Une situation intenable. Les taux longs vont repartir significativement à la hausse.

Dans l’ensemble, vous défendez des idées assez “contrarian” par rapport aux autres économistes?

Höfert: Il faut savoir aller à l’encontre des idées toutes faites, notamment celles qui circulent au sein des salles de marché, qui ont tendance à être très moutonnières. Vu que je dépends du Private Banking, je ne suis pas du côté des institutionnels, mais des clients privés, ce qui me permet une certaine latitude par rapport au consensus.

source L’Echo nov10

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Europe : gare au dérapage incontrôlé par Michel Santi

 

La logique étant imparable, cette défaillance Européenne sera quasi entièrement responsable de l’effet domino de cette crise qui, après la Grèce et l’Irlande, ira sévir ailleurs. Cette faiblesse structurelle de l’Euro et de ses institutions se rappellera ainsi très prochainement au bon souvenir du Portugal qui, du haut de ses déficits publics à 9.3% de son P.I.B., affiche les plus mauvais chiffres Européens après la Grèce, l’Irlande et l’Espagne. Et pourquoi espérer que l’Espagne sera ensuite épargnée, elle dont ces déficits arrivent au deuxième rang de l’Union? Cette logique ne devrait-elle pas également s’appliquer à l’Italie qui peine à masquer ses faiblesses endémiques faites de montagnes d’endettements combinées à des dépenses Gouvernementales excessives et à une économie sempiternellement à la traîne? En fait, si chaque nation de cette Union faillira pour ses raisons qui lui seront propres, la source profonde du mal est la même: ces économies au profil trop différent ne peuvent – en période de forte crise – être gérées et conduites par une seule banque centrale.

 

N’est-il pourtant pas aisé de prendre conscience qu’une politique de taux d’intérêts uniformes au sein de toute l’Union est naturellement vouée à l’échec, ces taux n’étant jamais adaptés à toutes ces économies aux structures si diverses – parfois mêmes antinomiques – et aux cycles d’activités souvent divergents? La condamnation de la spéculation sera ainsi vigoureuse et bien-sûr politiquement opportune mais rien n’y fera: De la crise fiscale grecque à la bulle immobilière espagnole en passant par l’effondrement du système bancaire irlandais et pour en terminer avec les excédents allemands massifs… dans sa forme actuelle, l’Euro semble bien être une machine à précipiter les faillites!

source gestionsuisse.com nov10

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Le Cordon Sanitaire monétaire de l’Europe par Simon Johnson and Peter Boone

Le ministre allemand des finances Wolfgang Schäuble critique à l’envi les autres gouvernements, y compris celui des Etats-Unis, pour leurs politiques « irresponsables ». Ironiquement, ce sont pourtant les propos inconséquents du gouvernement allemand qui ont amené l’Europe au bord d’une nouvelle crise de la dette. 

Les Allemands, en réponse à la compréhensible véhémence de la réaction de l’opinion publique face au renflouage des banques et des pays endettés financé par les contribuables, en appellent à juste raison à des mécanismes qui permettraient de « mieux répartir le fardeau » – ce qui impliquerait des pertes pour les créanciers. Pourtant, leurs nouvelles propositions, qui bizarrement impliquent que les défauts ne peuvent advenir qu’après mi-2013, défient les principes économiques de base des défauts de dettes. 

Les Allemands devraient pourtant se rappeler le dernier épisode de défaut souverain généralisé, en Amérique Latine dans les années 70. Cette expérience a montré que les pays font défaut lorsque les coûts sont inférieurs bénéfices. Les récentes déclarations allemandes ont poussé certains des principaux pays européens très proches de ce point. 

Les coûts d’un défaut de paiement dépendent de l’état de délabrement de la situation au moment de l’interruption des paiements. Quelles sont les difficultés légales ? Combien de temps dure cette situation de cessation de paiement avant que le pays ne parvienne à un accord avec ses créanciers ? Combien doit-il payer en plus afin de retrouver un accès ultérieur aux marchés de la dette ? 

Les bénéfices d’un défaut sont les économies effectuées par le gouvernement sur les paiements futurs – surtout ceux aux non-résidents, qui n’ont pas le droit de vote. Cela dépend évidemment en partie du montant de la dette en suspens, du taux d’intérêt, et des perspectives de croissance du pays s’il continue de payer. 

Les pays qui en arrivent au point où le fait de « ne pas payer » se traduit par  « on ne paiera pas » ont des taux d’intérêt élevés par rapport aux gouvernements dont la dette est dans la fourchette dite « sûre », parce que même de petits chocs peuvent convaincre les décisionnaires de se mettre en défaut de paiement. Mais ces écarts entre les taux d’intérêt augmentent les bénéfices du non-paiement, ce qui fait que les mêmes chocs peuvent rapidement entrainer un pays en situation de défaut. 

De ce point de vue, il est facile de comprendre comment les mécanismes de restructuration de la dette proposés par le gouvernement allemand ont immédiatement fait basculer les pays les plus faibles de la zone euro vers le défaut. Tandis que la Chancelière Angela Merkel et ses collègues font la promotion de leur plan si bien défini – qui vient s’ajouter à un plan de financement provisoire pendant la période de cessation de paiement – le coût de la dette chute. En outre, les bénéfices augmentent, parce que les clauses de restructuration exigées pour une nouvelle dette, associées aux efforts visiblement importants de l’Allemagne pour éviter que d’autres pays soient renfloués, approfondissent les écarts de taux d’intérêt que les pays les plus faibles doivent aujourd’hui payer. 

Les participants du marché obligataire tentent naturellement désormais de calculer les « valeurs résiduelles » – ce qu’obtiendront les créanciers si des pays se mettent aujourd’hui en cessation de paiement. La dette grecque, par exemple, y compris le nécessaire financement provisoire du FMI, devrait atteindre 150% du PNB en 2014 ; une grande part de cette dette est externe. Si un pays peut soutenir une dette se montant à  80% du PNB (une règle empirique difficile mais raisonnable), alors il faut une « coupe » d’approximativement 50% sur cette dette existante et sur celle à venir (la réduisant à 75% de sa valeur nominale). 

Cependant, sur ces 150% du PNB, la moitié au moins sera d’une manière ou d’une autre officielle. Si elle est totalement protégée, et il semble que cela sera le cas (le FMI se fait toujours intégralement rembourser), alors la « coupe » sur la dette privée explose à un ahurissant 90%. Et cela ne prend pas en compte les dépenses publiques qui pourraient être nécessaires pour une recapitalisation ultérieure des banques grecques. 

Pour l’Irlande aussi, la dette souveraine, financement provisoire compris, devrait atteindre près de 150% du PNB d’ici 2014, et elle est majoritairement externe. Mais un défaut souverain demanderait un renflouement des banques plus important qu’en Grèce, laissant potentiellement la valeur de la dette privée quasi-nulle si la dette officielle a priorité. Historiquement, les coupes totales ont été rares – excepté à la veille des renversements communistes – mais il est difficile d’imaginer que les créanciers privés ne subiront pas de lourdes pertes en valeur nette actuelle. 

Compte tenu de cela, nous devrions nous attendre à ce que les rendements de la dette grecque augmentent plus encore, malgré le plan du FMI. De même, un programme du FMI pour l’Irlande – qui semble de plus en plus probable – ne réduira pas le rendement des obligations irlandaises ni ne rouvrira l’accès aux marchés du crédit à l’emprunteur irlandais. 

Si les gens commencent à penser de la sorte, le Portugal, dont la dette déjà élevée et en augmentation est détenue majoritairement par des non-résidents, est lui aussi un candidat au défaut de paiement. Et dans ce cas, il n’y a aucun sens à détenir la dette espagnole non plus, qui est aussi largement externe. L’exposition financière de l’Espagne au Portugal et sa récession résultant de la crise immobilière n’améliorent en rien la situation

Et si l’Espagne risque fortement un défaut de paiement, la solvabilité des gouvernements est aussi menacée dans l’ensemble de la zone euro – excepté en Allemagne. L’Italie peut peut-être s’en sortir, parce qu’une grande partie de sa dette est détenue à l’intérieure, ce qui limite le risque de défaut. Mais la taille de la dette italienne – comme celle de la Belgique – est inquiétante

Compte tenu de la vulnérabilité de tant de pays de la zone euro, il semble que Mme Merkel ne saisisse pas les implications immédiates de son programme. Les Allemands et d’autres Européens insistent sur le fait qu’ils octroieront d’autres financements officiels aux pays insolvables, préservant ainsi les détenteurs d’obligations, tout en créant simultanément un nouveau régime après 2013 par lequel toute cette dette pourrait être facilement restructurée. Mais, comme aime à le rappeler le président de la Banque Centrale Européenne Jean-Claude Trichet, les acteurs du marché sont très bons à penser à l’envers : s’ils arrivent à voir où une chaine type Ponzi les mène, tout se dénoue.  

Dans les faits, l’Union Européenne et la BCE sont maintenant obligées de reconsidérer un généreux soutien aux pays les plus faibles – y compris en rachetant toutes leurs dettes si nécessaire. Dans le cas contraire, une fuite des liquidités pourrait créer des problèmes de solvabilité pour tous les gros débiteurs de la zone euro. 

Il faut agir de manière draconienne pour éviter que ne s’assèchent les marchés obligataires européens. Trichet a déclaré à moult reprises que les interventions actuelles de la BCE ne visent pas les taux d’intérêt. La BCE devrait donc décider quels sont les pays qui sont intrinsèquement solvables, et les protéger contre un resserrement de liquidités avec de nouvelles interventions à grande échelle qui elles, cibleraient effectivement les taux d’intérêt.  

Au minimum, la BCE devra probablement égaler le trillion de dollars annuels de facilités quantitatives des Etats Unis, et en avancer la majeure partie. L’euro chutera, et Trichet ratera son objectif d’inflation. Mais l’Allemagne prospèrera. 

A ce stade, les Européens devront compléter leur cordon sanitaire : une restructuration en bon ordre de la dette dans tous les pays où le poids de la dette est trop lourd pour être restructuré de manière crédible par le nouveau régime de Mme Merkel. 

Simon Johnson, ancien chef économiste du FMI, est co-fondateur de l’un des plus éminents blogs économiques, http://BaselineScenario.com, professeur à la Sloan de MIT et attaché à l’Institut Peterson pour les affaires économiques internationales. Peter Boone, détenteur de la chaire d’intervention effective du Centre de Performance Economique de la London School of Economics, est directeur de Salute Capital Management Ltd. 

source /Project Syndicate, 2010.Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats

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Le jour où la France renoncera à l’euro par PHILIPPE SIMONNOT

 «L’euro a été frappé d’irréversibilité avant sa naissance. De peur qu’un pays participant ne veuille en sortir»

Le Jour où la France quittera l’Euro est un livre de politique-fiction écrit sous la forme d’un dialogue imaginaire entre un journaliste naïf et son informateur, surnommé Deep Pocket. Il décrit l’un des scénarios probables de la crise actuelle de la monnaie unique européenne. Il tente également d’expliquer commentles dirigeants français ont été pris à leur propre piège en refusant de croire à l’irréversibilité de l’euro.

La première étape de la marche à l’Euro a été franchie avec le rapport Werner, du nom du ministre des Finances luxembourgeois qui a présidé en 1970 le groupe d’experts chargés d’examiner les conditions de «la réalisation par étapes de l’union économique monétaire dans la Communauté économique européenne».

D’emblée ce rapport indique trois lignes de force:

1) la création de liquidités (monnaie) dans l’ensemble de la zone et la politique monétaire et du crédit sont centralisées;

2) la politique monétaire à l’égard du monde extérieur est du ressort communautaire;

3) les données essentielles de l’ensemble des budgets publics, et en particulier la variation de leur volume, l’ampleur des soldes et les modes de financement et d’utilisation de ces derniers sont décidés au niveau communautaire.

Deux organes de décision sont projetés: un centre de décision pour la politique économique, indépendant des différents gouvernements, et un «système communautaire des banques centrales» sur le modèle du Système américain de réserve fédérale. On remarquera que le premier de ces organes a été oublié en route alors que le second a fini par voir le jour. Ce n’est autre que la Banque centrale européenne. La clé de voûte de cette construction, c’est un rapport fixe entre les monnaies européennes ou leur remplacement par une monnaie unique. Les monnaies de la Communauté, écrit Werner, «sont assurées d’une convertibilité réciproque totale et irréversible, sans fluctuation de cours et avec des rapports de parités immuables ou, de préférence, sont remplacées par une monnaie communautaire unique». Le grand mot est lâché. L’euro est désormais à l’horizon.

Le rapport Werner va être une sorte de chiffon rouge agité au nez de ceux qui militent en faveur de l’Europe des Nations – on ne dit pas encore «souverainistes» – et qui y voient une véritable provocation. Mais le 15 août 1971, Richard Nixon, alors président des États-Unis, décroche le dollar de l’or. C’est le début d’un flottement généralisé des monnaies. Le système monétaire international fondé à Bretton Woods en 1945, a vécu. Le désordre qui s’ensuit effraye les Européens, qui décident de resserrer leur rang. L’idée qui les guide est qu’un tel flottement est invivable à l’intérieur de la Communauté européenne à cause de l’intensité des échanges commerciaux intracommunautaires. En fait, c’est surtout à la Politique agricole commune que le chaos monétaire pose des problèmes extrêmement compliqués. Très vite, en avril 1972, un accord est signé entre les Six (accord de Bâle) qui limite les fluctuations des monnaies communautaires entre elles et vis-à-vis du dollar. Des noms curieux apparaissent, qui ne seront pas pour rien dans l’impopularité et l’incompréhension du nouveau système. Ainsi, les fluctuations des monnaies des Six paraissent former, sur les graphiques, une sorte de serpent évoluant lui-même dans un tunnel borné par les cours permis par rapport au dollar. Quand toute référence au billet vert sera abandonnée en 1973, le serpent s’évadera hors du tunnel, à la grande joie des illustrateurs. De fait, la première crise pétrolière (octobre-décembre 1973) fait entrer le monde entier dans une zone de très fortes turbulences, et l’Europe est frappée lourdement. La lire, puis le franc lui-même en 1974 s’échappent de l’étrange animal!

Valéry Giscard d’Estaing, président de la République française, et Helmut Schmidt, chancelier de la République fédérale d’Allemagne, reprennent les choses en main au Conseil européen du 5 décembre 1978, le tandem franco-allemand jouant à la perfection son rôle de moteur de l’Europe. Le Système monétaire européen (SME) qui est mis en place vise «à établir une coopération monétaire plus étroite aboutissant à une zone de stabilité en Europe». La livre ne fait toujours pas partie du système, alors qu’elle entre dans la définition de la nouvelle unité de compte, l’ECU. Les marges autorisées de fluctuation sont élargies pour l’Italie et l’Irlande. Ainsi l’Europe monétaire reprend son chemin cahin-caha, avec pas moins de douze réarrangements monétaires entre 1979 et 1991. C’est que le deuxième choc pétrolier (1979) a bouleversé tous les beaux desseins et ébranlé les meilleures résolutions. L’échec flagrant de la politique de relance économique dans un seul pays qui caractérise les trois premières années de l’ère Mitterrand va paradoxalement être à la source d’un nouveau souffle pour l’Europe monétaire. En effet, le président de la République française, un moment tenté par l’»autre politique» – qui consisterait à sortir le franc du SME – se rallie à la rigueur financière en même temps qu’au renforcement de la Communauté européenne, trouvant là un substitut aux rêves socialistes.

Le tandem Paris-Bonn reprend du service. Le Traité de Rome, sous l’impulsion conjointe de François Mitterrand et de Helmut Kohl est révisé en 1986 pour devenir l’Acte unique européen. Ce document prévoit pour la date du 1er janvier 1993 la mise en place d’un véritable marché unique d’où seraient levées toutes les barrières physiques, fiscales réglementaires aux mouvements des hommes, des marchandises et des capitaux. Le fonctionnement d’un tel marché suppose l’instauration d’un système monétaire stable où les monnaies européennes seraient reliées entre elles par des parités fixes.

Un pas décisif va être franchi lors de la réunion des 27 et 28 juin 1988 du Conseil européen à Hanovre. Jacques Delors, président de la Commission des communautés européennes, se voit confier la mission «d’étudier et de proposer les étapes concrètes devant mener à l’union économique et monétaire». Les mots «monnaie unique» ne sont pas encore prononcés. Mais ils sont inscrits dans le filigrane. Le rapport Delors est rendu public, le 17 avril 1989. Habilement, la monnaie unique y est présentée comme n’étant «pas strictement nécessaire à une union monétaire» (sic), mais, ajoute-t-on, elle témoignerait d’un «engagement total à réaliser une fixation définitive des parités de change».

Candide. – J’ai lu votre mémorandum. Ce que je ne comprends pas bien, en définitive, c’est le jeu de Delors dans cette affaire. D’une part, il reconnaît que la monnaie unique «n’est pas strictement nécessaire à une «union monétaire», et, d’autre part, qu’elle ne pourrait exister que par un engagement «total à réaliser une fixation définitive des parités de change». Pour moi c’est du jargon.

Deep Pocket. – Delors s’est fait manipuler par les banquiers centraux. Voilà la trame qui explique cette histoire tordue. Pour répondre plus directement à votre question, cet «engagement total» signifiait que si des États européens voulaient vraiment d’une monnaie unique, ils devaient promettre tout de suite de ne plus jamais dévaluer leur monnaie.

Candide. – Mais puisqu’il n’y aurait plus qu’une seule monnaie, une dévaluation de monnaies nationales qui n’existent plus serait ipso facto impossible.

Deep Pocket. – Il s’agissait de gérer la phase de transition qui doit conduire à la monnaie unique. Avant de les fondre dans une seule monnaie, il fallait immobiliser les relations entre elles des monnaies nationales, c’est-à-dire leurs taux de change. Aussi bien, le rapport Delors suggérait-il de mettre en place un engrenage institutionnel tel que tout retour en arrière serait impossible : «Il est convenu que la création d’une union économique et monétaire doit être envisagée comme un processus unique. La décision d’entamer la première phase devrait être une décision d’engager tout le processus, bien qu’il comporte des étapes destinées à guider la progression vers l’objectif final.» Les politiques auraient ainsi les mains liées, irréversiblement. Delors ne se rendait pas compte qu’il était le jouet des banques centrales qui trouvaient là une occasion d’enlever tout pouvoir aux instances politiques en matière monétaire et de conquérir leur indépendance.

Candide. – Je me souviens avoir remarqué que le rapport Delors avait été cosigné par les gouverneurs des banques centrales de la Communauté européenne.

Deep Pocket. – Cette fois, pour de bon, l’euro se profilait à l’horizon puisqu’«au cours de l’étape finale, les monnaies, prévoyait-on, seraient remplacées par une monnaie communautaire unique». C’était écrit noir sur blanc. Mais nulle date n’était encore fixée pour aucune des étapes.

Les banquiers centraux qui ont intelligemment cornaqué Delors avancent à pas de loup. Comme le reconnaîtra le gouverneur de la Deutsche Bundesbank, Karl-Otto Pöhl, dans un entretien en mai 1989 au journal Le Monde : «La grande question était de savoir si on pouvait arriver, un jour, à disposer d’un organe de décision commun [la future Banque centrale européenne], impliquant un transfert de souveraineté allant très loin. La décision reviendra aux gouvernements et aux Parlements, mais c’est un fait que tous les membres du comité ont accepté cette idée.» Et pour cause ! Le gouverneur allemand, vous avez bien lu, parle d’un transfert de souveraineté «allant très loin» au profit de la future Banque centrale européenne. Ces gens ont de la suite dans les idées.

Et ce brave démocrate-chrétien de Delors n’y a vu que du feu. Incroyable, le prestige de cet homme à l’époque, et encore aujourd’hui, quand on se rend compte à quel point il a été manouvré. À sa décharge, on dira que ce fils d’un encaisseur de la Banque de France a lui-même longtemps été rédacteur à la même banque – c’est d’ailleurs là qu’il a rencontré sa femme, Marie Lephaille, avant de militer comme «expert économique» à la CFTC – devenue ensuite CFDT. Il constituait une cible idéale pour les banquiers centraux, l’aristocratie contemporaine de la haute banque. De toute façon, face aux inspecteurs des finances sortis de l’ENA, il ne pouvait faire le poids. Ce chrétien saisi par le pouvoir comme M. Le Trouhadec par la débauche se trouvait trop à l’aise dans cette Europe chrétienne pour se méfier des requins de la finance qui le remorquaient. François Mitterrand, quant à lui, ne le supportait pas tout le temps qu’il l’a eu pour ministre des Finances au début de son septennat. Le vieux maurrassien détestait l’odeur d’encens qui se dégageait de ce sacristain de l’économie bien-pensante, et il avait été heureux de s’en débarrasser en l’envoyant présider la Commission de Bruxelles.

Candide. – Peut-être, sans ces manouvres, l’Europe n’aurait jamais accouché de l’euro.

Deep Pocket. – Il faut y voir une véritable prise de pouvoir des banques centrales. Dès sa naissance, et avant même sa naissance, l’euro a été frappé d’irréversibilité. On avait tellement peur que tel ou tel pays participant à cette aventure veuille en sortir que l’on exigeait de chacun, à chaque étape, des engagements irrévocables. Et donc, pas de porte de sortie, non plus, une fois que la nouvelle monnaie serait lancée, dont on attendait tant de merveilles économiques et financières, sinon politiques. Quant aux États qui ont participé à la fabrication de cette monnaie ô combien artificielle, ils sont pris au piège de cette ruse. Et donc obligés à une fuite en avant. Et nous avec eux. Pauvres de nous.

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Docteur ès sciences économiques, ancien journaliste spécialisé dans les questions pétrolières au Monde, Philippe Simonnot est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages consacrés à l’économie et à l’histoire. Il dirige l’Atelier de l’Economie contemporaine et le Séminaire monétaire de l’Institut Turgot.    

PHILIPPE SIMONNOT

«Le jour où la France quittera l’euro».

Politique fiction. Editions Michalons.

Novembre 2010. 188 pages.

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EN BANDE SON :

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