Boomers et Bourses par André Gosselin
Les enfants des baby-boomers ne doivent pas compter sur un héritage pour assurer leur retraite et investir sur le marché des actions.
Parmi tous les facteurs qu’on a évoqués pour expliquer le marché haussier des années 1990, un des plus souvent cités est celui de la pyramide démographique. Atteignant l’âge où il faut penser à investir pour la retraite, les baby-boomers ont placé des milliards de dollars sur le marché des actions, faisant ainsi grimper la valeur des titres à des niveaux rarement égalés.
Les économistes financiers qui soutiennent cette thèse n’hésitent pas à prévoir des jours sombres pour le marché boursier quand nos baby-boomers se mettront à vendre leurs actions pour en tirer des revenus de subsistance. À qui pourront-ils vendre leurs actions et leurs obligations, s’il n’y a pas assez d’acheteurs sur le marché ? Devront-ils brader leurs actifs à des prix dérisoires ?
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Comme le dit l’économiste Jeremy Siegel, les conséquences d’une trop faible demande pour l’offre disponible d’actifs financiers seront catastrophiques non seulement pour les baby-boomers, mais aussi pour la santé économique de l’Amérique et de la plupart des pays riches. Une baisse structurelle des investissements n’est jamais une bonne nouvelle pour une société. Mais qu’en est-il vraiment ?
La réponse n’est pas simple. Non seulement les travaux des économistes ne font pas consensus, mais en plus on les compte sur les doigts des deux mains. Certaines études arrivent à la conclusion qu’il y a un lien entre la valeur des actifs (actions, obligations ou bonds du Trésor) et la part qu’occupent, dans la pyramide d’âge, les personnes actives sur le marché du travail. Si, dans une population donnée, la proportion des personnes actives est élevée, les actifs financiers atteignent des cours supérieurs à leur moyenne historique.
Ces conclusions sont toutefois remises en question par quelques travaux récents, dont ceux de James Poterba. Les données de recherche colligées par le professeur Poterba (« Population aging and financial markets ») ne lui permettent pas de conclure qu’il y aura, aux Etats-Unis comme dans les autres pays qui ont connu le phénomène des baby-boomers, une baisse drastique de la demande pour des actifs financiers entre 2020 et 2050. Selon lui, l’effet de la pyramide démographique sur la valeur des actifs financiers est ténu, du moins quand on regarde ce qui s’est passé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
D’ici 2030, les 65 ans et plus aux États-Unis passeront de 17 % à 27 % de l’ensemble de la population active (20 ans et plus). Au Canada, on trouve sensiblement les mêmes projections. Ces chiffres sont toutefois sujets à caution, car ils dépendent des politiques d’immigration que les deux pays adopteront au cours des prochaines années. Si le Canada et les États-Unis s’ouvrent davantage aux jeunes immigrants en provenance des pays en voie de développement, les baby-boomers ont des chances de vendre leurs actifs financiers facilement et à bon prix.
D’autres facteurs pourraient jouer un rôle significatif, comme le taux de naissance, l’espérance de vie, la propension à léguer un héritage et une attitude plus favorable à la diversification internationale du portefeuille.
La globalisation
Tout le monde a intérêt, à commencer par les gouvernements des pays libres qui veulent maintenir leurs programmes sociaux, à ce que les travailleurs arrivent à la retraite avec des épargnes substantielles. Encore faut-il leur donner accès aux marchés émergents, aux grandes places boursières des cinq continents, afin qu’ils puissent bonifier les rendements de leur portefeuille, mieux le diversifier et en réduire le risque.
À peu près tous les experts s’entendent pour dire que les baby-boomers nord-américains arriveront beaucoup plus facilement à disposer de leurs actifs financiers si ces derniers sont adéquatement diversifiés à travers la planète.
En temps normal, les générations des pays riches qui quittaient la vie active trouvaient preneurs parmi les générations les plus jeunes afin de disposer de leurs actifs financiers. Aujourd’hui, c’est une autre paire de manches.La génération née à la fin des années 60 et au cours des années 70 ne sera pas assez nombreuse pour absorber les ventes d’actions et d’obligations des baby-boomers.
Heureusement, dit l’économiste financier Jeremy Siegel, il existe une solution aux problèmes de transfert générationnel des actifs financiers dont disposent les baby-boomers. Cette solution ne se trouve pas aux États-Unis, au Japon ou en Europe. Elle vient des pays en voie de développement comme la Chine, l’Inde et ceux d’Amérique latine.
Au cours des 50 prochaines années, les individus en âge de travailler (les 20 à 65 ans) vivant dans les pays développés passeront de 60 % à 54 % de la population totale, alors que le pourcentage de la population active dans les pays en voie de développement passera de 51 % à 58 %.
Si ces pays poursuivent leur expansion économique, ils constitueront la voie d’accès, la réponse, aux actifs financiers que les baby-boomers occidentaux voudront vendre. Non seulement, dit Siegel, deviendront-ils les propriétaires de leurs propres capitaux, mais aussi des capitaux de nos entreprises.
Transfert de richesse
Parmi toutes les incertitudes qui pèsent sur les modèles élaborés par les économistes afin de prévoir ce qui arrivera avec les actifs financiers des baby-boomers, il y a la question des héritages.
Plusieurs gourous de l’investissement ont prétendu que la génération née après la Deuxième Grande guerre allait connaître le plus important transfert intergénérationnel de richesse dans l’histoire de l’humanité. Les générations plus âgées allaient notamment donner en héritage leurs actifs immobiliers et obligataires à leurs enfants, et ces derniers, plus instruits et attirés par le marché des actions, allaient alimenter la Bourse pour de nombreuses décennies à venir.
Cette théorie, aussi séduisante soit-elle, va peut-être un peu vite en affaire. Il n’est pas sûr que les baby-boomers auront tant de capitaux que ça à disposer.
Une étude publiée en 2000 par deux économistes de la Federal Bank of Cleveland jette une douche d’eau froide sur les prévisions à l’effet que les marchés boursiers vont recevoir, au cours des 20 à 30 prochaines années, un flot d’épargne (grâce aux héritages) comme jamais on ne l’avait vu auparavant.
Selon cette recherche, près de 92 % de la population américaine ne recevra pas un sous en héritage. Des 8 % restant, la moitié héritera d’une somme de moins de 25 000 $ US. À peine 1,7 % des Américains peuvent espérer recevoir plus de 50 000 $ en héritage. Si la tendance se maintient, il est bien possible que les futurs héritiers soient moins nombreux et moins riches encore.
Les auteurs de l’étude, Jagadeesh Gokhale et Laurence Kotlikoff, ont des arguments plutôt convaincants afin de remettre nos pendules à l’heure. Les personnes retraitées vivent de plus en plus longtemps, et elles ont besoin de tout leur argent pour assurer leurs vieux jours. Les dépenses de santé ne cessent de croître, et les nouvelles générations de retraités sont prêtes à payer ce qu’il faut pour avoir des conditions de vieillesse acceptables. Enfin, nos vieux, actuels et à venir, se mettent beaucoup moins de pression sur les épaules quant à la possibilité de laisser un héritage à leurs enfants.
Bref, les enfants des baby-boomers, tout autant que les baby-boomers eux-mêmes, ne doivent pas compter sur un héritage de leurs parents pour assurer leur retraite et investir massivement sur le marché des actions.
En fait, les deux économistes de la Réserve fédérale de Cleveland pensent que les enfants des baby-boomers seront vraisemblablement en déficit avec leurs parents, car ils devront payer pour prendre soin d’eux.
On peut reprocher plusieurs choses aux baby-boomers, mais eux également doivent s’occuper de leurs vieux parents et dépenser ce qu’il faut pour leur donner des conditions de vie acceptables. Si l’on considère que la retraite des baby-boomers durera en moyenne 25 ans, comment penser qu’il leur restera assez d’argent pour transmettre un héritage.
À ces contraintes de coût de la vie s’ajoute un changement profond de mentalité. Durant la décennie 1990 seulement, le pourcentage des Américains qui trouvent important de laisser un héritage à leurs enfants est passé de 52,5 % à 48,5 %. Chez les 65 ans et plus, ce pourcentage a chuté davantage, passant de 55,5 % à 46,8%. Et selon les économistes de la Réserve fédérale de Cleveland, il n’y a aucune raison de penser que ce mouvement s’arrêtera. Il s’agit d’une tendance lourde dans les attitudes des Américains, et je reste convaincu que c’est la même chose dans la plupart des sociétés avancées.
Les personnes âgées ont une propension à consommer qui est beaucoup plus grande que celle qu’avaient les vieux des années 1960, 1970 ou 1980. À un point tel qu’elles n’hésitent pas à s’endetter pour jouir de la vie, ce qui n’était pas le cas il y a 20 ans seulement.
Quand on prend conscience de ces changements majeurs d’attitudes, il est quasiment impossible de prévoir les effets de l’évolution démographique sur la valeur des actifs financiers.
Chronique de André Gosselin, parue dans Finance et Investissement.
André Gosselin PHD est le fondateur de la philosophie de gestion d’Orientation Finance