Agences de Notation

“L’Europe n’a pas résolu le problème grec” par Roland Gillet

“L’Europe n’a pas résolu le problème grec”

Roland Gillet est professeur de finance à la Sorbonne ainsi qu’à l’ULB (Solvay) et expert au sein de différents groupes de réflexion internationaux.

En juin dernier, Roland Gillet avait jeté un vrai pavé dans la mare européenne. Plutôt que de prêter encore de l’argent, donnons 80 milliards d’euros à la Grèce, disait-il (L’Echo du 4 juin). Une position très tranchée mais argumentée.

“À des niveaux de taux d’intérêt de marché qui dépassent les 15%, la Grèce n’a aucune chance de s’en sortir sans une aide rapide et substantielle. Lorsque les taux d’intérêt étaient encore de l’ordre de 3%, la Grèce était déjà entrée dans un processus insoutenable en matière budgétaire. Alors que dire à un niveau de 15%, voire même aux taux de ‘faveur’ accordés par les plans d’assistance européens? Demander aux Grecs, toujours en récession, en échange de nouveaux crédits, d’encore réduire drastiquement leurs dépenses, alors que le pays n’est pas le plus compétitif de la zone euro aboutit à une impasse. Je ne vois pas comment on pourra passer l’été sans mettre en place un véritable plan d’aide solidaire et durable”, disait-il.

Le 21 juillet dernier, un sommet européen a bouclé un nouveau plan de sauvetage pour la Grèce. Mention “insuffisant” aux yeux de l’économiste: on gagne seulement du temps pour éviter un défaut de paiement dans l’immédiat.

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Vous aviez dit qu’il fallait absolument donner, et non plus prêter, 80 milliards d’euros à la Grèce pour l’aider à surmonter la crise. Lors du sommet du 21 juillet, l’Europe a reporté les échéances et diminué les taux des emprunts. Cela vous satisfait-il?

Roland Gillet : Beaucoup de points restent encore à préciser. Mais mis à part les 470 millions d’euros de gains en intérêts à la suite de la diminution du taux des prêts de 4,5% à 3,5% accordée par les instances européennes, il n’y a, selon moi, pas grand-chose de changé pour la trajectoire budgétaire de la Grèce. “L’Echo” l’a écrit dans un éditorial: si on compare ce montant de 470 millions aux 12 milliards d’euros minimum qui doivent être trouvés, chaque année, par la Grèce, rien que pour assurer la charge de sa dette, cela met davantage les éléments en perspective.

À nouveau, on a surtout gagné du temps pour éviter un défaut de paiement dans l’immédiat.

Il reste donc toujours à définir un “business plan” réaliste, et donc crédible, intégrant un arbitrage sur plusieurs années entre apports solidaires de fonds et efforts substantiels de la population grecque. Ceci afin de permettre d’inverser la tendance intenable d’une récession qui s’accroît avec les plans d’austérité et d’un rapport dette/produit intérieur brut qui continue à exploser.

Pour ce qui est des États membres de la zone euro, certes, ils ne bénéficieront plus d’un différentiel positif entre leur coût de financement et le taux des prêts à la Grèce avec des taux réduits à 3,5%. Mais dans le même temps, il est à noter que marchés et agences de notation pensent toujours que la probabilité d’un défaut grec reste élevée, même si le timing est quelque peu repoussé. Les instances européennes et les États, avec au premier rang la BCE et le Fonds européen de stabilité financière, ne peuvent ignorer, voire se priver totalement, de ces deux indicateurs (marchés et agences de rating), certes imprécis, au moment où leurs expositions (montant et durée des prêts) relatives aux dettes périphériques ne cessent de s’accroître.

Bien entendu, la substitution (des prêts) au marché et l’allongement de la durée des prêts assortis de concessions sur les taux à appliquer, permettent sans doute de reporter le risque de défaut à court terme. Mais les plans de sauvetage manquent encore de robustesse, par manque de véritable solidarité collective et de mécanismes d’entrée et sortie clairement (re)définis dans la zone euro, pour éviter un risque encore davantage accru à plus long terme.

Eurobonds

Un taux de 3,5%, c’est en quelque sorte une préfiguration des obligations européennes, les “eurobonds”: un même taux de financement pour tous les pays européens.

 Pas nécessairement, car ce financement à bon compte règle surtout le court terme et aboutit davantage à anticiper que ce sont, en fin de compte, les autres États européens qui vont détenir ou supporter en grande majorité la dette passée et à venir des États en difficultés, dont la Grèce au premier chef. Avec les risques que cela comporte vu les résultats encore décevants (recul de l’activité économique, soulèvements sociaux et rapport dette/PIB qui vient de dépasser les 160%) obtenus depuis deux ans à la suite des plans successifs de prêts à la Grèce. Sans parler de l’effet “boule de neige” des intérêts qui ne peut plus être contenu partiellement que par des concessions sur les taux.

Pourquoi alors le Premier ministre grec Georges Papandreou semble-t-il aussi satisfait de ce nouveau plan de sauvetage?

Sans doute et surtout par le fait que c’était la seule chance pour son pays de ne pas sombrer dans le chaos et d’être, à très court terme, en défaut de paiement. C’est peut-être également parce qu’il se rend compte que les États européens détiennent à chaque fois davantage de dette grecque. Et qu’ils deviennent de plus en plus cause et partie au sauvetage de son pays et dès lors de moins en moins en situation de le laisser tomber en faillite. Si demain la population grecque descend dans la rue, si la situation dérape vraiment, si la Grèce ne peut plus rembourser, que pourra faire l’Europe, sinon mettre la main à la poche d’une manière ou d’une autre, via, au pire, des créances non remboursées?

Les capacités du Fonds européen de stabilité financière sont-elles suffisantes pour parer à toute crise?

Elles ne seront sans doute pas suffisantes si des pays comme l’Espagne et l’Italie venaient à connaître des problèmes graves. Le président français Nicolas Sarkozy a pourtant bien dit que ce qui a été fait pour la Grèce serait unique. Pas question de rééditer cela pour un autre pays. Mais si l’on regarde un pays comme l’Espagne, il faut se rendre compte que les problèmes sont radicalement différents du cas de la Grèce.

Dans le cas grec, on parle d’une gestion budgétaire désastreuse, à tout le moins par le passé. En Espagne, le budget a relativement été bien géré, mais c’est l’immobilier qui inquiète, avec des problèmes du type “subprime” pour les banques, et de sombres prévisions économiques, particulièrement en termes d’emploi.

Si l’Espagne trébuchait vraiment, je ne vois pas comment on pourrait ne pas agir si on veut alors éviter un risque grave d’éclatement de l’euro. Par ailleurs, voici environ trois semaines, Banco Santander n’est pas parvenu à se refinancer à long terme sur le marché. C’est à tout le moins un signe que la situation devient tendue.

Agences de rating: un rôle ingrat

Que penser des agences de notation qui poussent les ratings de certains États toujours plus bas. C’est le cas pour la Grèce.

Les agences mesurent bien que les problèmes ne sont pas encore résolus à ce stade. Elles ne sont d’ailleurs pas les seules à le constater. Et que la Grèce aura bien du mal à s’en sortir sans autre type de mesure plus radicale. Quand il s’agit d’un État en difficultés, qu’on tente en outre de sauver de la faillite avec de l’argent de la collectivité, leur rôle est assurément bien ingrat.

Car si même elles révisaient leurs ratings à la baisse pour de bonnes raisons, elles donneraient malgré tout l’impression de tirer par anticipation sur une ambulance, certainement, elle, bien méritante!

Propos recueillis par Marc Lambrechts/L’Echo aout11

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