Ce que préconise le Vatican pour sortir de la crise Par Paul Dembinski
Pour sortir de la crise, un document pontifical en appelle à l’avènement d’une gouvernance mondiale capable de gérer le bien commun. L’analyse, profondément éthique, souffre toutefois de nombreuses insuffisances techniques. Lecture critique du professeur Dembinski
Le Conseil pontifical Justice & Paix vient de publier un document, d’un accès ardu, intitulé: «Pour une réforme du système financier international dans la perspective d’une autorité publique à compétence universelle» (cf. www.vatican.va ). Il prend le pari audacieux d’avancer en parallèle sur deux plans: celui de l’horizon idéal tracé par la quête du «bien commun» et celui des solutions pratiques que cet horizon pourrait inspirer à un monde aux prises depuis plus de quatre ans avec une crise dont les prolongements toujours nouveaux ne cessent de surprendre.
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Le constat central du document est de nature éthique. En substance, le Conseil Justice & Paix affirme que si la crise est aussi profonde c’est parce que le souci du bien commun a été perdu de vue, supplanté progressivement par une vision et une pratique «utilitariste et matérialiste» d’inspiration «libérale» de la vie en société et plus particulièrement de la vie économique et financière. Cet important glissement éthique s’est opéré, poursuit le document, sous le couvert de choix souvent en apparence techniques – alors qu’ils étaient fondamentalement éthiques – qui ont jalonné les dernières décennies. Si nous ne voulons pas sombrer dans «la guerre de tous contre tous» décrite par Hobbes, le temps est venu pour «les peuples de la terre… (d’)assumer une éthique de la solidarité… en embrassant la logique du bien commun mondial qui transcende le simple intérêt contingent et particulier.»
Bien que le constat central se réfère au «bien commun», le document omet de préciser le sens de cette notion clé dans l’enseignement social catholique. Le Compendium de la doctrine sociale, publié par le même Conseil pontifical en 2004, consacre au bien commun les paragraphes 164 à 170. «Le bien commun ne consiste pas dans la simple somme des biens particuliers de chaque sujet du corps social. Etant à tous et à chacun, il est et demeure commun, car indivisible et parce qu’il n’est possible qu’ensemble de l’atteindre, de l’accroître et de le conserver, notamment en vue de l’avenir.» Et plus loin: «Le bien commun de la société n’est pas une fin en soi; il n’a de valeur qu’en référence à la poursuite des fins dernières de la personne et au bien commun universel de la création tout entière.» C’est seulement à la lumière d’un tel rappel que le document prend toute la force. Le bien commun n’est pas réductible à un cadre institutionnel ni à un ensemble de régulations, il donne une orientation idéale – selon la belle formule du Père Patrick de Laubier – ouverte sur la transcendance.
Une fois posé le constat de la «déshérence» du bien commun, le document se penche sur les moyens qui permettraient au monde contemporain de retrouver le souci du bien commun. Le regard pointe alors vers le politique dont le devoir prioritaire consiste, selon le Vatican, à reprendre la main sur l’économique et le financier. Comment alors mettre au diapason le politique, resté avant tout national, avec l’économique et le financier devenus globaux?
En théorie deux solutions seraient possibles: soit en ramener les questions économiques et financières au niveau national – c’est ce que prône la dé-globalisation de gauche comme de droite; soit, et c’est l’option prise par Justice et Paix, préparer dès aujourd’hui l’avènement d’une «autorité mondiale» supranationale (le terme est utilisé) à laquelle les Etats abandonneraient progressivement leurs compétences, notamment, en matière monétaire et économique. C’est seulement de cette manière que, selon les auteurs, les pays et populations les plus fragiles verraient leurs droits préservés, notamment ceux de bénéficier de ce bien public qu’est «un système économique et financier mondial libre, stable et au service de l’économie réelle».
Le document paraît au moment où nous assistons à la douloureuse naissance d’un pouvoir économique et financier supranational en Europe. Bizarrement, la note de J&P n’en fait pas état. Le vrai débat actuel est moins entre les solutions nationales et solutions universelles, mais sur le sens et le contenu de solutions supranationales partielles, qui peuvent être plus ou moins ouvertes (ou fermées) aux réalités mondiales; notamment aux déséquilibres mondiaux et aux relations changeantes entre créanciers et débiteurs au niveau global!
En prenant explicitement l’option universaliste, le Conseil Justice & Paix a fait siennes un certain nombre d’hypothèses de travail dont il ne justifie pas toutefois le bien-fondé dans le texte: a) le dépassement inéluctable de l’Etat-nation en tant que cadre adéquat pour réguler l’activité économique; b) le caractère irréversible et foncièrement positif de la globalisation économique et financière; c) la concentration – inéluctable, une fois de plus – de certains pouvoirs aux mains d’une autorité supranationale sans contre-pouvoirs explicitement mentionnés.
Le document se termine en contrastant deux avenirs possibles pour l’humanité, celui de la tour Babel – vers laquelle nous pousseraient les évolutions en cours – et celui de la Pentecôte. Pourtant, et paradoxalement par rapport à la ligne du document, c’est le projet Babel qui est sous-tendu par une volonté générale, alors que la Pentecôte, modèle retenu par les auteurs, est de nature métaphysique, ce qui implique l’insignifiance de toute structure ou institution humaine. Or le document se sert de Pentecôte pour prôner une «autorité mondiale», certes scrupuleusement respectueuse de la subsidiarité, mais tout de même centrale et sans-contre-pouvoirs. Babel ou Pentecôte donc?
Le texte publié le 24 octobre est une (simple) «note» qui doit inspirer les responsables politiques, notamment ceux du G20, qui se retrouvent dans quelques jours au chevet de l’économie mondiale à Cannes. L’argumentaire technique, qui laisse beaucoup à désirer, risque toutefois de desservir le cœur du message qui est éthique et spirituel. Ce dernier garde toute sa gravité: la civilisation, qui a fait de la dignité humaine sa pierre angulaire, est en danger de mort, empoisonnée par un matérialisme égoïste exacerbé. Nous voilà avertis.
La note du Conseil pontifical (en italien)
source le temps oct11