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Brésil: crédit, quand tu nous tiens

Brésil: crédit, quand tu nous tiens

 Le Brésil, qui carburait naguère aux exportations, a choisi de stimuler le crédit à la consommation pour soutenir sa croissance en ces temps difficiles. Un pari risqué.

source Wall Street Journal 

source Credit Suisse

Crise européenne? Panne américaine? Connaît pas, vous diront des millions de Brésiliens, qui continuent de consommer et d’emprunter avec une confiance peu commune ces jours-ci.

En septembre, pendant que le monde redoutait la faillite imminente de la Grèce et que les Bourses plongeaient, le crédit au Brésil a connu sa plus forte augmentation de l’année.

Parallèlement, les prix des maisons dans les principales villes du pays continuaient de grimper à un rythme de 22 à 28% par an en moyenne et ce, en dépit du ralentissement de l’industrie brésilienne qui, elle, ressent les effets du ralentissement économique mondial.

Crise, vous dites? Pas pour les Brésiliens, qui continuent à faire la fête parce que, au grand marché du crédit, on affiche «bar ouvert».

Un bond de 45,3%

Selon la banque centrale brésilienne, la valeur des prêts, pour la période de 12 mois se terminant au 30 septembre, a enregistré une hausse de presque 20% par rapport à la même période un an plus tôt.

Et ce n’est pas tout. Dans la foulée de la frénésie immobilière qui se poursuit dans la cinquième économie mondiale, le volume des prêts hypothécaires a bondi… de 45,3%!

Certes, emprunter est une habitude encore relativement nouvelle pour des millions de Brésiliens, surtout dans le secteur des prêts hypothécaires. Et les banques brésiliennes sont toujours en bonne santé, selon les agences de notation.

Si bien que la banque centrale brésilienne n’y voit pas de problèmes. Craignant un ralentissement généralisé de l’économie, elle vient même d’ouvrir les vannes du crédit.

Contre toute attente, la banque de l’État a abaissé les taux d’intérêt en août, en retranchant 1,0% au taux directeur, qui est passé à 11,5%. la BACEN a de nouveau revu en novembre  à la baisse de 50 pb son taux directeur Selic et a utilisé la suppression de la taxe OIF sur les achats d’actions et d’obligations réalisés par les étrangers afin de retenir les investissements étrangers et, par là même, d’empêcher lereal de se déprécier. Dans ce contexte, la devise brésilienne s’est appréciée de 5,16% face au dollar américain. La Banque centrale a ainsi abaissé à trois reprises consécutive son taux directeur à 11% l’an actuellement pour tenter de se protéger contre la contagion de la crise mondiale. Ce taux reste toutefois l’un des plus élevés du monde.

Et  les autorités bancaires ont relâché les restrictions sur le crédit aux particuliers, en vigueur pourtant depuis quelques mois seulement.le gouvernement a ainsi décider de diminuer les taxes sur les produits blancs et les crédits à la consommation

Le message aux Brésiliens: empruntez.

Pas surprenant que les grands commerçants de la planète, de Wal-Mart à Carrefour, se battent pour obtenir une plus grande part du lucratif marché brésilien.

Inflation

Toutefois, les économistes craignent les effets à moyen et à long terme de cette manne.

«Ces mesures (de la banque centrale) visent clairement à réduire la pression sur les consommateurs qui sont affectés par l’inflation et un ralentissement de l’économie», affirme la Banco Bradesco SA, dans une note économique. «Mais ces mesures risquent aussi d’attiser l’inflation», ajoute la banque brésilienne.

L’inflation est déjà un gros problème pour la première économie d’Amérique latine, avec une hausse généralisée des prix qui a atteint un taux inquiétant de 7,12% en octobre. L’inflation a encore progressé en novembre par rapport à octobre pour s’établir à 6,6% sur un an, un résultat supérieur à l’objectif fixé par le gouvernement: 4,5% pour l’année avec une tolérance maximum de 6,5%.  Les prix à la consommation ont augmenté de 0,5% le mois dernier contre 0,4% en octobre, accumulant une hausse de 5,9% depuis le début de l’année- Ils ont été tirés à la hausse par l’augmentation du prix des aliments et notamment celui de la viande. Le gouvernement table sur le fait que l’inflation commencera à reculer au cours des prochains mois et qu’elle baissera à 4,5% en 2012

L’augmentation du coût de la vie, particulièrement marquée dans les grands centres comme São Paulo et Rio de Janeiro, affecte de plus en plus les démunis, rapportent des médias locaux.

Or le Brésil, qui compte plus de 190 millions d’habitants, prétend avoir sorti de la misère plus de 30 millions de personnes durant les années de gouvernement du président Luiz Inacio Lula da Silva (2003-2010). Durant cette période, l’extrême pauvreté a chuté de 12% à 4,8% de la population. Un exploit remarquable qui a bénéficié des programmes sociaux généreux, mais aussi d’un meilleur accès au crédit.

Toutefois, certains voient gonfler une énorme bulle: 28% du revenu disponible des Brésiliens sert désormais à rembourser des dettes (contre jusqu’à 16% du revenu des Américains). Le nombre de Brésiliens ayant plus de 3000$US de dettes a plus que doublé depuis 2004, alors que 150 millions de cartes de crédit circulent dans le pays, trois fois plus qu’en 2008, selon des organismes locaux de défense des consommateurs.

En revanche, le gouvernement est confronté à une dure réalité: la grosse machine brésilienne ralentit face à une demande mondiale plus faible.

La croissance du Brésil a été nulle (0%) au troisième trimestre par rapport au deuxième, illustrant le fort ralentissement de l’activité dû à la crise de la dette des pays européens, a indiqué mardi l’Institut brésilien de géographie et statistiques (IBGE, public). En rythme annualisé, le produit intérieur brut (PIB) du Brésil a augmenté de 3,7%, précise l’IBGE. Et, au cours des neuf premiers mois de cette année, il s’est établi à 3,2%.

 Au second trimestre, le PIB avait progressé de 0,8% par rapport aux trois premiers mois de l’année et les autorités financières et les marchés avaient anticipé révu une croissance proche de zéro au troisième trimestre en raison de la crise mondiale. Au premier trimestre, le PIB avait progressé de 1,3% (par rapport au trois mois précédents).Par rapport à la même période de 2010, la croissance de la première économie d’Amérique latine a progressé de 2,1%. 

Pour cette année, le gouvernement brésilien a revu ses prévisions à la baisse et table maintenant sur une croissance de 3,5% – bien en deçà des 7,5% enregistrés l’année dernière – en partie grâce à une relance de l’activité économique prévue au dernier trimestre 2011. Les marchés sont moins optimistes et misent sur une croissance de 3% seulement. Au cours du 3e trimestre 2011, le secteur agroalimentaire a progressé de 3,2% par rapport au trimestre précédent, tandis que les services et l’industrie ont reculé de 0,3% et 0,9% respectivement, selon l’IBGE. 

En 2012, le gouvernement brésilien a prévu une croissance de 5% stimulée par la baisse des taux d’intérêt et des mesures de réduction d’impôts et d’encouragements à l’industrie.

 Visiblement, les autorités brésiliennes sont inquiètes. Et elles ont fait leur un choix: mieux vaut risquer la surchauffe économique que de succomber aux maux du reste du monde. Alors pour les consommateurs, la fête continue.

Publié nov/dec par Richard Dupaul /La Presse+agences

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