D’où l’espoir peut-il encore venir? par Konrad Hummler
EN LIEN : Commentaire d’investissement no 280 du 5 décembre2011
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EXTRAITS du Commentaire d’investissement no 280 du 5 décembre2011
La propriété résiste aux risques
Les droits liés à des titres comme les actions d’entreprise ont tendance à ressortir indemnes des périodes les plus troublées. C’est maintenant qu’il faut s’en souvenir.
Est-il justifié d’évaluer la propriété en vertu du même schéma que celui appliqué à toutes les autres classes de risque-rendement? La partie investie en actions doit-elle être considérée comme aussi interchangeable que toutes les autres composantes d’un portefeuille? Ou les actions méritent-elles un traitement particulier en vertu de cette qualité de «reflet de la propriété» qui est la leur? Si oui, le cours, qui n’est que le reflet de cette interchangeabilité, consti- tue-t-il donc le seul critère sur lequel l’achat, la vente et la «performance» doivent se baser? Autant d’interrogations qui, nous en convenons, viennent ébranler les fondements mêmes de notre activité bancaire.
Plus nous nous penchons sur la crise de la dette souveraine et – vu son élargissement au système bancaire – sur la crise financière 2.0, plus la notion de propriété nous paraît importante. Car il nous a été très clairement signifié comment, d’un simple trait de plume, on peut parvenir à un renoncement «volontaire» à 50% de créances et, partant, à un renoncement aux droits conférés aux créanciers dans la procédure de faillite, ainsi qu’à une totale dépréciation des assurances contre le risque de crédit. Le débat sur la «redénomination» des emprunts en euros en cas de démantèlement de la monnaie unique va dans le même sens: en période de crise, les valeurs nominales sont faciles à éliminer. Et cela vaut aussi pour les billets de banque et les avoirs en compte.
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En comparaison, on s’aperçoit que la propriété résiste bien mieux aux crises, preuves historiques à l’appui. Evidemment que là non plus, rien n’est jamais véritablement garanti. Même cette Suisse pourtant si favorable à la propriété a vu le lancement il y a trois mois d’une initiative populaire visant à instaurer un impôt sur les successions, avec effet rétroactif (!) au 1er janvier 2012. Une partie de la population est ainsi invitée à s’approprier un cinquième de la propriété d’une autre partie de la population. Et pour s’assurer que cette dernière n’en profite pas pour mettre les voiles, on inflige en sus une entrave à la propriété. Pas un mot par contre sur la suppression de l’imposition sur la fortune déjà en vigueur. On souhaiterait donc soumettre le même substrat à une double imposition. La propriété est nocive, et ceux qui en possèdent le sont plus encore.
Dans l’ensemble, cependant, la propriété résiste bel et bien aux crises et aux guerres. Elle porte sur des terrains, des maisons, des machines et des groupes d’individus qui font fonctionner l’ensemble et en retirent de la prospérité. Les traits de plume tirés sur les valeurs nominales n’ont ici qu’une incidence indirecte. Ainsi, la propriété n’est liée à la contre-valeur d’une devise que dans la mesure où l’évolution des taux de change peut influer sur la performance économique d’une entreprise ou d’un immeuble, et la situation des taux d’intérêt sur le coût du capital.
Propriété immobilière et propriété d’actions se différencient essentiellement au travers de l’ancrage territorial. Une propriété foncière, une maison par exemple, est immobile per se, ce qui signifie qu’elle est soumise intégralement aux conditions-cadres locales. Les entreprises, en revanche, sont des entités capables d’agir de manière stratégique.
A l’ère de la mondialisation, même des moyennes voire des petites sociétés sont en mesure de modifier l’organisation territoriale de leurs activités. Et ce n’est pas tout: des ajustements d’ordre matériel peuvent également être opérés. Les entreprises disposent d’une structure de direction et sont ainsi à même d’agir d’une manière stratégique. Elles peuvent opter pour l’évitement, délocaliser leurs centres névralgiques, saisir des opportunités. Quel que soit l’attachement au pays d’origine, la loyauté peut se heurter à des limites lorsque les conditions-cadres accusent une détérioration massive. Ce sont ces qualités propres à la liberté d’action stratégique qui nous fascinent dans la propriété d’actions.
Au travers de sa dimension de «propriété», une action renferme une option réelle, que l’on ne retrouve pas dans le billet de banque, l’avoir bancaire ou la créance obligataire. Et la crise en fin de compte imprévisible que nous traversons actuellement souligne précisément selon nous la valeur inestimable de cette option réelle. En clair, la probabilité que la fortune constituée de parts de propriété sorte plus ou moins indemne de cette période de turbulences est infiniment plus grande que celle de voir les promesses sur papier conserver une quelconque valeur. (…)
Réaffirmer la dimension de propriété qui caractérise les placements en actions ouvre d’autres pistes de réflexion. La propriété doit avoir force exécutoire, sans quoi elle est illusoire. Et cette force exécutoire doit subsister en temps de crise, sans quoi la caractéristique de propriété s’évanouit au moment le plus crucial. Cela dit, la propriété est aussi un droit formateur, et même un devoir formateur à vrai dire.
Si l’on prend la chose véritablement au sérieux, le voile est vite levé: obligations, produits structurés, certificats et actifs nominaux en tout genre sont au- tant de valeurs mobilières dont la possession peut parfaitement être organisée sous la forme d’un service de masse interchangeable, un genre de commodity. Mais s’agissant de la propriété d’actions au sens d’engagement entrepreneurial dans des sociétés, des structures de dépôt qualifiées devraient en réalité prendre place. Il n’est pas anodin qu’un actionnaire figure ou non dans le registre de l’entreprise en tant que copropriétaire, ou qu’il soit bien représenté ou non à l’assemblée générale. En outre, lorsqu’il s’agit de gérer un portefeuille globalisé, il est capital que la propriété d’actions soit valable même dans des pays lointains, caractérisés par des régimes juridiques et des usages différents, et qu’elle demeure inviolable en période de crise également.
Ces structures de dépôt qualifiées vont clairement à l’encontre de tous les efforts déployés au sein du système financier pour dépersonnaliser la possession de valeurs mobilières et la rendre prétendument plus efficace. Le global custody, avec une concentration effective des risques de propriété auprès d’un petit nombre de dépositaires centraux qui, d’un simple coup de crayon, peuvent se changer en «confiscateurs»: voilà qui est un vrai cauchemar!
Le private banking, compris comme l’exercice par procuration de la fonction de propriétaire, devrait précisément s’attacher à répondre à ces exigences particulières, qu’il s’agisse de la sélection judicieuse de participations à long terme, de leur surveillance et de leur gestion, ou encore de l’exercice des droits des actionnaires aux assemblées générales et, pourquoi pas, au sein des conseils d’administration. A la faveur d’un réseau de dépositaires dignes de confiance à l’échelle mondiale, le private banking devrait être en mesure de garantir que les fonctions de propriétaire en tant que telles pourront également s’exercer en Nouvelle-Zélande, au Canada, en Norvège et à Hong Kong.
Le banquier privé en défenseur des intérêts du propriétaire: un tel modèle d’affaires est une bouffée d’espoir. D’ailleurs, sa seule évocation réchauffe le cœur… (KH)
Konrad Hummler Extrait de la lettre d’Investissement No 280/ Banque Wegelin
http://www.wegelin.ch/sites/default/files/publications/wegelin_commentaire_investissement_280_0.pdf
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