Art de la guerre monétaire et économique

La Chine poursuit sa stratégie pour internationaliser le yuan

La Chine poursuit sa stratégie pour internationaliser le yuan

La Chine poursuit sa stratégie pour internationaliser le yuan La monnaie chinoise s’est appréciée de 4% en 2011

Le gouvernement chinois, les banques internationales ainsi que les stratèges en politique de change ont les yeux rivés sur l’évolution du yuan en cette fin d’année. Celui-ci s’est apprécié de 4% en 2011. La rumeur voudrait que Pékin ait lâché quelque peu la bride et l’ait laissé se renforcer ces derniers mois. Son objectif serait de freiner le flux de capitaux à l’étranger. Selon Bloomberg, près de 28 milliards de dollars auraient quitté la Chine en novembre à cause des incertitudes économiques.

La pression sur le yuan vient aussi de ses partenaires commerciaux, plus particulièrement des Etats-Unis. Ces derniers ont un déficit commercial massif avec la Chine, qu’ils accusent de sous-évaluer le yuan pour aider ses exportations. La faiblesse de la monnaie chinoise inquiète aussi d’autres pays, dont le Brésil, qui a pris l’initiative de réclamer une étude sur ses conséquences sur les échanges internationaux à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Le gouvernement brésilien a aussi demandé que celle-ci organise une discussion publique sur le sujet. Un séminaire aura bel et bien lieu sur le sujet ce printemps à Genève, malgré l’opposition de Pékin, qui a fait entendre que l’OMC n’est pas le forum approprié pour discuter des taux de change.

Pacte avec le Japon

Une autre raison expliquerait la souplesse chinoise. Lentement mais sûrement, les dirigeants chinois poursuivent leur stratégie pour internationaliser le yuan dans le but de réduire leur dépendance au dollar. Ils entendent négocier de plus en plus des échanges, à commencer en Asie, en monnaie chinoise. A ce propos, ils ont signé dimanche un pacte avec le Japon sur l’utilisation de leurs deux monnaies dans les échanges bilatéraux. Une appréciation du yuan encouragerait aussi le gouvernement japonais, qui veut diversifier ses placements, à investir dans les obligations chinoises. Lors d’une visite d’Etat ce week-end à Pékin, une délégation japonaise a affirmé qu’un montant équivalant à 10 milliards de dollars sera investi dans l’immédiat. Des analystes à Pékin estiment que le Japon ressent la nécessité, comme la Chine, de réduire les achats des obligations américaines. 

Mardi dernier, la Chine a accordé un crédit de 70 milliards de yuan (11 milliards de dollars) à la Thaïlande dans le but d’encourager l’utilisation de sa monnaie en Asie du Sud-Est. La plupart des pays de cette région jouissent d’un excédent commercial avec le géant chinois. L’Indonésie, le Vietnam, les Philippines, la Malaisie, le Cambodge, le Laos, Brunei, Myanmar et Singapour ont importé des produits et services chinois pour 154 milliards de dollars durant les onze premiers mois de 2011, contre des exportations de 174 milliards.

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Le nombre de transactions réglées en devise chinoise augmente. La Chine veut casser sa dépendance au dollar trop instable

«Nous assistons à la naissance d’une nouvelle monnaie de réserve mondiale et nous en sommes la sage-femme.» Vice-directrice de la Hongkong Monetary Authority (HKMA), Julia Leung est aux premières loges pour témoigner de la montée en puissance du yuan, aussi connu sous le nom de renminbi. «Nous sommes le laboratoire désigné par Pékin pour tester son comportement au sein du système monétaire international», explique-t-elle. Les autorités chinoises ne cachent en effet pas leur objectif de l’imposer dans les échanges commerciaux au même titre que le dollar américain et l’euro. La Chine est tout de même le premier exportateur mondial et le deuxième importateur depuis l’an dernier, disent-elles.

Installée au 25e étage de la New Government Offices au milieu de la forêt de gratte-ciel entre Admiralty et Central, non loin du bras de mer qui sépare la Manhattan tropicale de la Chine continentale, la HKMA est non seulement la gardienne de la politique monétaire de ce centre financier bien prospère, mais elle est aussi au cœur de l’internationalisation du yuan. Près de 30% des importations et exportations chinoises sont négociés et financés par les banques installées dans l’île. Aussi, l’essentiel des investissements étrangers directs qui partent à Shenzhen, Guanzhou, Pékin ou Shanghai transite par Hongkong. Grâce à son statut «un pays deux systèmes», l’ancienne colonie britannique conserve sa longue tradition de convertibilité des devises alors que Pékin garde la main sur l’évolution du taux de change de sa monnaie. «La part du yuan dans l’ensemble des dépôts auprès des banques hongkongaises s’élève à près de 10%, ce qui est remarquable», poursuit Julia Leung. Les Hongkongais, qui ont leur propre dollar, ne sont autorisés à convertir que 10% de leurs avoirs en yuan, au maximum.

Les premiers pas de l’internationalisation du yuan ont été faits en avril 2009 lorsque Pékin a donné le feu vert à cinq villes pour l’usage du renminbi dans le commerce avec les pays voisins. «Le résultat a été marginal, poursuit Julia Leung. Une nouvelle impulsion a été donnée en juillet 2010 lorsque cette autorisation a été étendue à vingt villes. Dès lors, nous observons un nombre croissant de transactions réglées en monnaie chinoise. Cette progression est plus rapide que celle du yen dans les années 60-70 lorsque le Japon avait une économie en plein boom.» L’an dernier, selon des chiffres publiés par la People’s Bank of China et Crédit Agricole, près de 8% des échanges internationaux ont été négociés en renminbi. Ceux-ci ont toutefois commencé à fléchir depuis cet été.

Si la montée en puissance de l’économie chinoise ne fait aucun doute, l’internationalisation de sa monnaie prendra encore du temps. Les autorités chinoises refusent de donner un calendrier précis de la convertibilité du yuan. Pour l’heure, la banque centrale fixe un taux de référence et limite la variation quotidienne du taux de change à 0,5%.  «Si la Chine veut convaincre les gens à garder des yuans, elle doit autoriser l’émission des instruments libellés en cette monnaie», poursuit-elle. En 2010 pour la première fois, McDonald, Caterpillar et la Banque asiatique de développement ont levé des fonds avec succès contre des obligations baptisées «Dim Sum Bonds». Auparavant, ce privilège était réservé à l’Etat et aux banques publiques.  JP Morgan, dans le cadre d’un programme spécial, a obtenu l’autorisation de la ville de Pékin pour lancer un fonds en monnaie locale pour un montant d’un milliard de yuans. Selon le Financial Times du 28 novembre, d’autres villes dont Shanghai, Chongqing et Tianjin, devraient suivre. A Hongkong même, plusieurs banques et institutions financières dont HSBC, Bank of China, Deutsche Bank, Goldman Sachs, Citigroup, ont émis des obligations dont une partie était libellée en yuan.

«Toutes les conditions sont réunies pour internationaliser le yuan», affirme Charles Ng, directeur de Hongkong Invest, organisation étatique chargée d’attirer des capitaux étrangers sur l’île. L’économie chinoise connaît la même évolution qui a permis aux Etats-Unis, à l’Europe et au Japon d’utiliser leur monnaie dans les échanges internationaux.» Selon lui, ces conditions sont la taille de l’économie, la part du pays dans les échanges internationaux et la stabilité du taux de change de leur monnaie. Seul inconvénient: le yuan n’est pas accepté dans tous les pays. Mais selon Charles Ng, au fur et à mesure que la Chine augmente ses relations commerciales aux quatre coins du monde, les entreprises auront tout à gagner à négocier les prix dans une monnaie moins volatile que le dollar ou l’euro. Il souligne aussi le rôle de Hongkong où la convertibilité ne pose pas le moindre problème.

Le grand avocat de l’internationalisation du yuan n’est autre que Zhou Xiaochuan, gouverneur de la Banque centrale chinoise. Dans sa vision nationaliste, il estime que la Chine, une grande puissance économique, doit aussi pouvoir utiliser le yuan dans les échanges et comme monnaie de réserve. Il souhaite encore que son pays dépende moins du dollar très volatil tant dans le commerce que dans sa réserve de devises.

Infographie. La monnaie chinoise se fait une place

Objectif: développer la place financière Par Mathilde Farine

Pour internationaliser le yuan, le pays devra cesser les contrôles de capitaux et développer des actifs pour les investisseurs étrangers

Une convertibilité du yuan en 2015, comme l’annonce la rumeur sur les marchés financiers? Pour de nombreux analystes, l’intervalle paraît bien trop court. «La Chine finira par adopter une convertibilité complète du yuan. Mais 2015 me paraît trop court. Car, pour y arriver, il faudra également libéraliser les afflux de capitaux étrangers et les taux d’intérêt. Ces trois éléments doivent intervenir en même temps. 2020 me paraît donc plus réaliste», explique Motoshi Nagai, gérant du fonds Callander – China Universe.

Patrick Artus, chef économiste de Natixis, est plus pessimiste: «Il faudra certes éliminer les contrôles des capitaux. Mais, en parallèle, il faudra développer l’offre d’actifs financiers dans lesquels les non-résidents pourront investir.» Pour l’économiste français, une convertibilité du yuan à l’heure actuelle aurait surtout pour effet de provoquer une énorme sortie de capitaux et donc, contre toute attente, une dépréciation du renminbi. «Au préalable, il faudra développer les marchés financiers, un processus lent», avertit-il.

Surclasser Wall Street

«Shanghai devra être plus grand que Wall Street pour détrôner le dollar», assurait Charles Wyplosz, professeur d’économie à HEID, dans un entretien au Temps au printemps.

Pour l’heure, la bourse chinoise est la deuxième plus importante au monde avec sa capitalisation de 3447 milliards de dollars. Par comparaison, Wall Street pèse 14 933 milliards de dollars. Surtout, le marché actions chinois, «très volatil, fait peur aux investisseurs», reprend Patrick Artus. Mais c’est surtout la présence d’un vrai marché obligataire qui manque cruellement: les banques concentrent toutes les activités de financement des entreprises, rappelle l’économiste. Avant d’ajouter: «Pour attirer les investisseurs étrangers, il faut également développer des produits dérivés, des options, etc. Dans ce sens, nous sommes à des années-lumière de pouvoir internationaliser le yuan.»

Ouvertures

Des ouvertures apparaissent. En novembre, dans un entretien à Bloomberg, la bourse de Shanghai s’est dite «essentiellement prête» à autoriser des entreprises étrangères à s’y coter pour autant qu’elles atteignent une certaine taille et aient des activités dans le pays. Coca-Cola et HSBC avaient déjà montré leur intérêt.

Côté investisseurs étrangers, les investissements en Chine sont très limités. «Il est possible d’acquérir à Hongkong un «tracker» sur l’indice composite de Shanghai», explique Raymond Hêche, responsable des fonds de placement à la Banque Morval. Autre moyen d’investir indirectement, négocier avec certains courtiers des certificats représentant des titres A (cotés en Chine) ou acheter les titres H (cotés à Hongkong) de nombreuses entreprises chinoises, poursuit-il.

Quoi qu’il en soit, «le fil conducteur de tout cela est la prudence et le gradualisme. Mais la direction d’une internationalisation de l’usage du yuan est absolument claire», assure Raymond Hêche.

source temps dec11

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