L’inflation en embuscade? par François Gilliéron

Progrès technologique et consommation en déclin permettent de garder pour l’instant l’inflation sous contrôle. Mais son retour risque d’être aussi soudain qu’explosif.

Ainsi, ils ont osé! Tour à tour, les patrons des banques centrales américaines et européennes viennent de réitérer, respectivement de décider de recourir à un usage intensif de la planche à billets pour essayer de relancer l’activité économique. Dans la mesure où de tels choix risquent de représenter un véritable point d’inflexion financier, il convient d’en peser sans tarder toutes les conséquences.

Première remarque: un tel choix est éminemment politique, car il s’agit d’un choix de société aussi durable que fondamental. Or, ce sont de hauts fonctionnaires – si compétents soient-ils – qui ont pressé seuls sur le bouton. Le jour venu, le coût politique d’un tel mélange des genres, aussi dangereux qu’imprudent, devra être payé.

Deuxièmement, dans notre vie de tous les jours, des signes évidents d’austérité prédominent. Finis les restaurants bondés dont les gérants vous refusaient une table si vous n’aviez pas réservé plusieurs jours à l’avance, finis les vendeurs de voitures de luxe qui affirmaient que c’était eux qui choisissaient leurs acheteurs; en un mot, finis les commerçants qui prenaient leurs clients pour des vaches à lait. Tout cela démontre une demande plus faible.

Troisième remarque: l’offre a drastiquement baissé ses prix, dans le domaine crucial de la télématique, notamment. Doit-on rappeler que les produits high tech ne coûtent aujourd’hui qu’une fraction de ce que l’on payait hier pour des objets bien moins performants? Bref, progrès technologique et consommation en déclin permettent de garder, pour l’instant, l’inflation sous contrôle.

Pourtant, il existe des secteurs où le vent a tourné et qui sont déjà touchés par une inflation réelle: les coûts de la santé et les prix alimentaires. Premier signe de chèques à venir dans d’autres secteurs, les fameux «food stamps» aux Etats-Unis, dont l’importance augmente tous les jours. Et dès que ces aides deviendront monnaie courante – pression politique oblige – parvenant ainsi à flots au consommateur final, le processus s’emballera, sans possibilité de faire machine arrière.

Autant dire que nous traversons une période économique très particulière. Sans vrai débat de société et donc par défaut, le choix de l’inflation vient d’être fait avant que nous en ressentions encore les effets inévitables. Et cela pour deux raisons: d’une part, parce que les mécanismes de rappel que nous venons de voir demeurent très puissants, et d’autre part, car notre mémoire a fini par en oublier toutes les conséquences après une génération de désinflation.

A l’instar d’une bouteille de champagne maintes fois secouée et dont le bouchon se prépare à sauter, le retour de l’inflation risque d’être aussi soudain qu’explosif.

Par François Gilliéron, consultant indépendant/Oct12 Le Temps