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Dilemme entre stagflation et dépression déflationniste par Andreas Höfert

Dilemme entre stagflation et dépression déflationniste par Andreas Höfert

L’empirisme n’est d’aucune aide pour déterminer quelle sera l’issue de la crise financière qui a éclaté en 2007.

Le débat sur l’issue ultime de la crise financière de 2007-2008 n’est pas encore tranché. L’empirie, même cinq ans après la crise, ne nous est d’aucune aide. Certains pays, notamment à la périphérie de l’Europe, affichent un PIB nettement inférieur à ce qu’il était en 2007, un taux de chômage supérieur à 20% et une dévaluation interne qui alimente la déflation. D’autres pays, à l’instar du Royaume-Uni stagnent et ont des taux d’inflation dépassant significativement les objectifs fixés autrefois par leurs Banques centrales.

Cette situation contrastée selon les pays peut s’expliquer par les interactions complexes entre la politique fiscale et la politique monétaire. Ces interactions sont à leur tour influencées par la domination que l’une exerce sur l’autre. Une telle idée peut sembler étrange dans un monde où les Banques centrales sont supposées indépendantes. Néanmoins, les économistes américains Thomas Sargent et Neil Wallace ont démontré, dans un article célèbre publié il y a déjà plus de 30 ans, que les politiques fiscale et monétaire sont indissociables l’une de l’autre.

Pour analyser la sortie ultime de la crise, il est donc crucial de savoir laquelle des deux politiques domine l’autre ou, politiquement plus correct, laquelle est celle qui fait le premier mouvement. Si l’accent est mis sur la politique fiscale, un gouvernement peut «ordonner» à la Banque centrale de monétiser une partie de son déficit. En revanche, si l’accent est mis sur la politique monétaire, une Banque centrale peut «contraindre» le gouvernement à pratiquer l’austérité. Toutefois, l’emprise d’une politique sur l’autre n’est jamais absolue. Un gouvernement qui abuse de la monétisation risque d’alimenter une inflation incontrôlée. A l’opposé, une Banque centrale qui impose une austérité excessive peut entraîner une économie en dépression et, du coup – paradoxalement – faire s’envoler le ratio dette/PIB tout en amenant, au bout du compte, le pays à faire défaut.

PLUS DHOFERT ET DE SCHWAMM EN SUIVANT:

Rendre les Banques centrales indépendantes a été l’un des moyens d’éviter une primauté dommageable de la politique fiscale et d’une inflation excessive. Mais cette indépendance n’est jamais absolue. La Réserve fédérale américaine et la Banque d’Angleterre (BoE) justifient leurs mesures d’assouplissement quantitatif par la morosité de la conjoncture dans leur pays. Toutefois, elles aident aussi leurs Etats à endiguer l’augmentation de leur dette. Etant donné l’endettement colossal de ces deux pays, qui dépasse 100% du PIB au Etats-Unis et 90% au Royaume-Uni, une hausse prononcée des taux d’intérêt pourrait être catastrophique dans la mesure où ni l’un ni l’autre ne dégage l’excédent primaire sans lequel il est impossible de ramener la dette dans des proportions gérables. La domination fiscale y prévaut donc et la sortie ultime de la crise se fera de façon inflationniste.

La Banque du Japon (BoJ) a rejoint le club des Banques centrales inféodées à la politique fiscale. Alors que l’ancien gouverneur de la BoJ exprimait des réserves quant à une politique monétaire excessivement expansionniste, le Premier ministre Shinzo Abe a clairement fait savoir, lors de sa prise de fonctions, qu’il souhaitait que la BoJ relève son objectif d’inflation de 1% à 2% et qu’elle utilise tous les moyens pour tenir cet objectif. Message reçu cinq sur cinq, à en juger par les orientations dévoilées, il y a deux semaines, par la BoJ. Il faut dire que Shinzo Abe avait menacé de révoquer «l’indépendance» de la BoJ. 

Sur le plan institutionnel, la Banque centrale européenne (BCE) est plus indépendante que la Fed, la BoE et la BoJ, ne serait-ce que parce qu’il faut convaincre plusieurs gouvernements (en réalité, seize plus l’Allemagne) de changer de politique ou d’imposer la suprématie de la politique fiscale. Il n’y a rien de surprenant à ce que la BCE (soutenue par l’Allemagne, qui a une sainte horreur de l’inflation) impose à la périphérie de l’Europe des politiques fiscales et monétaires restrictives qui précipitent ces pays en dépression. Mais, même en Europe, cette primauté des autorités monétaires n’est pas illimitée. En dernier ressort, un pays est souverain et a toujours la possibilité de quitter la zone euro, ce qui hypothéquerait l’avenir de la monnaie unique.

C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la promesse de Mario Draghi, l’an dernier, de faire «tout ce qu’il faut» pour sauver l’euro. Le programme d’achats d’obligations de la BCE (les fameuses Outright Monetary Transactions) est certes indissociable de programmes d’austérité très contraignants auxquels les pays périphériques de l’Europe se sont soumis. Cependant, si le risque qu’un pays quitte la zone euro devient trop important, la BCE relâchera sans doute la bride. On peut donc raisonnablement conclure que, même dans la zone euro, la politique fiscale finira par dominer la politique monétaire (ou alors l’euro s’effritera) et qu’à long terme, comme partout ailleurs, l’épilogue de la crise financière sera l’inflation.

Andreas Höfert  Chef économiste  UBS Wealth Management mardi, 16.04.2013

http://agefi.com/forum-page-2/detail/artikel/lempirisme-nest-daucune-aide-pour-determiner-quelle-sera-lissue-de-la-crise-financiere-qui-a-eclate-en-2007.html?issueUID=305&pageUID=9093&cHash=656996b17896fc203f7194919d4003ea

EN COMPLEMENT: La politique monétaire prend un virage très dangereux

Les banques centrales doivent-elles poursuivre l’assistance respiratoire artificielle au système financier pour qu’on en reste à une crise bancaire qui pourrait durer longtemps?

Plus les temps sont durs, plus on en demande à la politique monétaire. C’est particulièrement vrai aujourd’hui, où les pays industrialisés souffrent des suites des crises bancaires et d’endettement et où la croissance économique stagne. Dans la plupart des cas, les gouvernements ne jouent pas pleinement leur rôle d’acteur politico-économique, préoccupés qu’ils sont avant tout d’assainir leurs finances publiques. Seules les banques centrales semblent encore capables d’agir.

Pendant une longue période qui va en gros de 1985 à 2000 et que l’on appelle «Great Moderation», la politique monétaire avait pour objectif essentiel la stabilité monétaire. On pourrait en l’occurrence sans exagération parler d’un consensus mondial. Qui n’excluait toutefois pas quelques différences notables dans la transposition concrète des politiques monétaires nationales. C’est ainsi que la banque d’émission américaine mit de l’argent en circulation en achetant des obligations publiques (Treasuries only Policy). La banque centrale japonaise fit de même. Alors que la Banque centrale européenne (BCE) considérait que l’achat direct de bons du Trésor n’était pas une pratique acceptable. L’acquisition d’obligations publiques passait pour une forme cachée de financement public.

La BCE intervint en lieu et place sur le marché monétaire par achat ou vente de titres à court terme (Open Market Operations). Les Etats-Unis considéraient que cette façon de procéder n’était pas neutre en termes de concurrence et y voyaient une forme de politique industrielle cachée hautement critiquable. Les temps ont bien chargé puisque la Fed achète aujourd’hui en grandes quantités des obligations de banques et de sociétés immobilières et que le système euro détient de nombreuses obligations d’Etat dans son bilan.

Ce consensus s’est effrité au début des années 2000 lorsque la Fed s’est ralliée à une politique monétaire nettement plus expansive à la suite de l’éclatement de la bulle Internet. Elle a abaissé massivement le taux du marché monétaire jusqu’à mi-2000. On voit dans cette politique trop expansive une des principales causes de la bulle immobilière américaine qui a débouché sur la catastrophe des subprimes et par la suite sur les crises bancaires et d’endettement dans la zone euro. Depuis, les banques centrales pratiquent dans les pays industrialisés une gestion de crise. Elles ont inondé mondialement les marchés de liquidités dans une mesure jamais connue jusque-là. Le bilan des banques centrales américaine, britannique et suisse a été multiplié par trois et celui du système euro a été plus que doublé.

Dans le même temps, l’objectif initial des banques centrales – la stabilité de la monnaie – a été remplacé par un cocktail de nouvelles tâches complètement différentes. C’est ce que déplore Bernhard Herz, titulaire de la chaire Monnaie et économie internationale à l’Université de Bayreuth. Le taux d’inflation n’est plus un tabou. Les banques centrales se sont fixé d’autres priorités qui leur paraissent plus importantes que la stabilité monétaire, à savoir la lutte contre le chômage, la sécurisation de la stabilité des marchés financiers, la stabilité des taux de change. La Fed a par exemple fait savoir qu’elle persévérerait dans sa politique expansive jusqu’à ce que le taux de chômage soit tombé en dessous de 6,5%. Le président désigné de la Bank of England, Mark Carney, a laissé entendre qu’il avait de la sympathie pour le Nominal Gross Domestic Product Targeting qui combine les deux objectifs que sont le niveau des prix et la stabilité du volume de production (output stability). Si ces deux valeurs augmentaient plus que prévu, la banque centrale serait contrainte de recourir à une politique monétaire plus restrictive. Elle serait ainsi soumise à une énorme pression politique. Et, à moyen terme, une dérive inflationniste serait vraisemblable. Par sa fameuse déclaration de juillet 2012 («Nous ferons tout»), Mario Draghi a fait comprendre que la BCE voulait désormais surtout baisser les primes de risque des Etats en crise de la zone euro. À court terme, la plus grande importance qu’elle attache à la stabilité des marchés financiers signifie que la politique monétaire deviendra plus expansive. Il s’agit, par des achats de soutien, de stabiliser les prix des produits financiers qui sont importants pour la liquidité (et la solvabilité) des banques et des autres instituts financiers. La politique monétaire plus expansive qui en résulte doit en même temps réduire les risques conjoncturels pour le système financier. On oublie ce faisant que de telles mesures d’aide à court terme peuvent entraîner une crise à plus long terme, sous forme par exemple de taux d’inflation plus élevés.

Bref, pour Bernhard Herz, la politique monétaire prend un tour dangereux. Doit-elle poursuivre l’assistance respiratoire artificielle au système financier pour qu’on en reste à une crise bancaire qui pourrait durer longtemps? Ou faut-il revenir rapidement à la normalité en matière de politique monétaire en courant le risque d’une rechute dans une crise bancaire brève mais douloureuse? On comprend bien que les banques centrales se préoccupent de considérations à court terme dans la politique monétaire au quotidien. Pour autant, tout n’était pas faux dans la politique monétaire avant la crise. Les leçons de la «Great Moderation» gardent toute leur valeur. Dès que la situation économique le permettra, il conviendra de mettre fin à la gestion de crise. Et les banques centrales devront de nouveau se concentrer sur la stabilité de la monnaie, redéfinir des règles de conduite simples et transparentes, et agir en toute indépendance.

HENRI SCHWAMM Université de Genève Mars 2013

http://agefi.com/forum-page-2/detail/artikel/les-banques-centrales-doivent-elles-poursuivre-lassistance-respiratoire-artificielle-au-systeme-financier-pour-quon-en-reste-a-une-crise-bancaire-qui-pourrait-durer-longtemps%3F.html?issueUID=291&pageUID=8673&cHash=7fc6f55a01270de58b0b4755cb869b6d

1 réponse »

  1. Nous sommes reconduits immanquablement au problème épistémologique de base inhérent au théorème d’Ashby… il est impossible d’optimiser la réponse a une question complexe a partir d’une instrumentation relativement grossière …
    Au moment ou nos astrophysiciens réalisent des prouesses, le debat economique donne l’impression d’en etre encore a Jurassic Park..

    De meme qu’il existe une interrelation puissante entre les modalités de la création monétaire et l’evolution des prix relatifs (grand apport de l’ecole autrichienne ), les effets de circuit (grand apport du courant keynesien) constituent un must incontournable de l’efficacite opérationnelle…

    Ajoutez a cela que le temps monetaire n’est pas homogène (ce qui explique sans doute l’interet d’Einstein pour la question) et vous avez les ingrédients de la catalyse qu’il s’agit de faire « prendre » (comme une mayonnaise)…

    les debats academiques et politiques sont truffés de polémiques steriles qui accaparent un temps colossal…
    Les désormais celebres multiplicateurs de Blanchard et Leigh (0,9 a 1,7) doivent etre assumes dans leur pleine réalité tout en ayant a l’esprit les taux de prélèvement singulièrement dissuasifs pratiques ds de nombreux pays de l’UE
    Tel est l’apparent dilemme de base qu’il s’agit de transcender..moyennant une politique monetaire credible pcq judicieuse…

    Epistemologos

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