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La pause de la septième manche Par Bill Gross (Pimco)

La pause de la septième manche Par Bill Gross (Pimco)

  Les taux proches de zéro et les ratios dette/PIB de la majorité des pays ont tendance à menacer la finance et l’investissement dans l’économie réelle.

 Le match s’est arrêté il y a plusieurs décennies pour Hyman Minsky, auteur de Stabilizing an Unstable Economy et défenseur de la théorie selon laquelle le capitalisme est intrinsèquement instable, notamment en raison du financement à court terme de ce qu’il appelle des «actifs de capital» de long terme – obligations, immeubles, usines ou matériel. Sa solution pour atteindre la stabilité était que ceux qu’il avait baptisés «Grande banque» et «Grand gouvernement» amorcent la pompe avec des mesures monétaires et budgétaires, car il estimait que si la manœuvre était suffisamment rapide et puissante, il s’en suivrait une période de stabilité, même temporaire. 

Mais il jouait au baseball à une autre époque, avant l’apparition des stéroïdes et des battes nouvelle génération. Il ne pouvait donc pas prévoir, à l’époque, que la Grande banque et le Grand gouvernement allaient devenir aussi grands et que, avec des stimulations si excessives, parvenir à un équilibre même temporaire serait difficile dans une économie fermée ou dans un système mondialisé et en constante évolution. 


Depuis la chute de Lehman il y a cinq ans, les marchés financiers se sont montrés de plus en plus méfiants à l’égard du remède que le bon docteur Minsky préconisait pour atténuer les symptômes des excès du capitalisme, à défaut d’en guérir la maladie. En période de crise, il proposait au Grand gouvernement de creuser les déficits budgétaires pour stabiliser les bénéfices des entreprises, les prix des actifs financiers et in fine l’économie réelle. Parallèlement, il recommandait une croissance de la Grande banque, ce qui désignait chez lui la capacité d’une banque centrale à baisser ses taux et ses exigences en matière de réserves pour stimuler le crédit au secteur privé par le biais du réseau monétaire. Associées et d’ampleur suffisante, les deux opérations devaient permettre une stabilisation des prix des actifs et générer une croissance réelle de type «Ancienne norme», c’est-à-dire 3% ou 4% dans les pays développés et probablement aussi dans les économies émergentes. Nous vivons avec une politique «à la Minsky» depuis un certain temps déjà, mais malheureusement dans un contexte de «Nouvelle norme», c’est-à-dire de croissance faible. 

Ce que l’économiste ne pouvait pas imaginer à l’époque était que la dette, les déficits et les taux d’intérêt pourraient atteindre des niveaux si extrêmes qu’ils mettraient en péril la création même de crédit, qui était et reste la base du capitalisme. L’heure n’est donc plus à la pause de la septième manche, au Coca-Cola et aux Cracker Jacks avant la reprise d’un bon vieux match. 

Aujourd’hui, les taux d’intérêt proches de zéro et les ratios dette/PIB de la majorité des économies capitalistes ont davantage tendance à menacer qu’à guérir la nature de la finance et de l’investissement dans l’économie réelle. Les investisseurs se méfient non seulement des banques d’investissement surendettées telles que Lehman Brothers, mais aussi des pays criblés de dettes à l’instar de la Grèce, de Chypre et d’un certain nombre d’autres pays de la zone euro. Ils pencheraient donc plutôt pour une réduction des risques et non pour une augmentation telle que celle que la préconisait Minsky. Avec des taux d’intérêt proches de zéro, les investisseurs en obligations à moyen et long terme deviendraient par ailleurs dépendants de la Grande banque pour fonctionner. Quand le pouvoir d’achat du programme d’assouplissement quantitatif a été compromis par la perspective de sa réduction progressive (et d’une possible dernière manche en matière de rachats d’actifs), le processus d’extension des maturités et l’allongement des profils d’échéance typiques des prêts aux entreprises se sont retrouvés menacés. 

En quelques mots, et de manière bien trop résumée, les économies fortement endettées, où les taux d’intérêt sont proches de zéro, sont victimes de leurs propres excès, une situation plus difficile à stabiliser de manière cyclique parce que le Grand gouvernement et la Grande banque ont atteint leurs limites et que les investisseurs privés disposant d’immenses portefeuilles ont décidé de quitter le stade avant la fin du match. Pourquoi s’acharner quand votre équipe est largement menée au score à une manche de la fin du match? Pourquoi investir dans des actifs financiers ou réels si les prix des obligations ne peuvent que baisser et/ou que les cours des actions ne peuvent plus être soutenus par les dopants quantitatifs? 

La ruée vers les portes de sortie a été récemment accentuée par deux éléments: les limites de plus en plus visibles auxquelles se heurtent le Grand gouvernement et la Grande banque ainsi que les conséquences des actions du Grand investisseur et du Grand régulateur. L’aspect réglementaire n’est pas très difficile à cerner. Après avoir menacé l’économie mondiale avec leur endettement financier endogène, les banques sont soumises à des pressions de toutes parts – Bâle III, amendes de la SEC, enquêtes ou taxe potentielle sur les transactions financières dans la zone euro, entre autres – visant à les forcer à se recapitaliser et à réduire leurs risques. Si cette réponse aurait pu être logique dans un modèle minskyien historique de reprise économique normale, elle est aujourd’hui clairement excessive, ne serait-ce que du fait du gigantisme de la Grande récession. Quelle qu’en soit la cause, la durée de la contrainte réglementaire est néfaste à court et moyen terme pour la «stabilisation d’une économie instable», même si elle est bénéfique sur le long terme.

 Le rôle du Grand investisseur est plus délicat, notamment parce qu’il existe une multitude d’investisseurs «structurels» dont les intérêts sont divers et, dans bien des cas, contradictoires. Notre «économie mondiale instable» a donné naissance, par exemple, à un certain nombre d’économies émergentes (Chine, Brésil, Inde et Afrique du Sud, pour n’en citer que quelques-unes) et développées (le Japon notamment) dont les déficits ou les excédents commerciaux sont très importants et alimentent une valorisation artificielle des devises et/ou de la dette souveraine. Alors que ces déséquilibres suscitent des inquiétudes sur le plan national et chez les investisseurs internationaux, l’accélération du rythme des achats ou des liquidations d’obligations se traduit par une instabilité des fondements financiers. Minsky serait horrifié, ne serait-ce que par le fait que le Grand gouvernement et la Grande banque ne peuvent plus se coordonner dans le monde d’aujourd’hui, où l’économie est ouverte et mondialisée, et non plus nationale et fermée. Des aspects «techniques» impliquant des milliers de milliards de dollars de flux financiers prennent actuellement le pas sur les fondamentaux dans de nombreux marchés. 

Le Grand investisseur est désormais influencé non seulement par les entités publiques et souveraines, mais également par un marché privé à l’expansion exponentielle et disposant d’alternatives et de possibilités liquides. Citons l’argent des fonds de pension ou des indemnités des institutions. Citons aussi les investisseurs particuliers ou papa et maman et leur plan épargne- retraite: ils ont désormais tous un choix pléthorique pour manger un morceau pendant la pause. Obligations, actions, liquidités – marchés émergents et développés – euros, dollars, pesos. Cela a tout l’air d’un jeu intéressant, non? Le problème est que, quand le Grand gouvernement, la Grande banque et le Grand régulateur commencent à resserrer les cordons de leur bourse et le budget de risque alloué à leurs entités, les liquidités disponibles au menu des actifs se réduisent comme peau de chagrin. Dans la situation la plus extrême, papa et maman n’auraient plus d’autre choix que de se vendre des titres entre eux. Quand les dirigeants remercient l’assouplissement quantitatif pour ses bons et loyaux services et que les banques d’investissement ne sont plus en mesure de stocker un grand nombre d’actions ou d’obligations, la liquidité historique est en danger. 

Les ETF et les fonds communs de placement, une fois dopés par des politiques budgétaires et monétaires ô combien généreuses, se retrouvent seuls sur le marché. Poussée à son paroxysme, cette situation pourrait finir par ressembler à un jeu où l’ennemi, l’adversaire, l’acheteur de dernier recours, ce serait «nous» et non pas «les autres». 

L’objectif de stabilité, même temporaire, de Minsky est voué à l’échec parce que le Grand gouvernement et la Grande banque sont désormais beaucoup plus petits qu’ils ne l’ont proportionnellement été par le passé et se trouvent dans une économie dominée par les fonds privés ou les flux de pays individuels. 

Que faut-il donc faire maintenant? Pour ceux qui restent fans du passe-temps préféré de l’Amérique d’antan – j’entends par là le capitalisme et le fait de gagner de l’argent, comment jouer sur le terrain instable que nous avons créé? Quelle direction viser? Le bon sens voudrait que, dans une économie mondiale instable et de plus en plus difficile à stabiliser, un investisseur privilégie les actifs les plus stables. En poussant ce raisonnement à l’extrême, cela correspondrait à des liquidités dans la devise la plus stable du monde. Que votre choix se porte sur le dollar, l’euro ou la livre sterling (pour notre part, nous avons opté pour le billet vert), les liquidités ou les dépôts au jour le jour dans ces devises procurent un rendement proche de zéro. En somme, vous voulez obtenir quelque chose mais vous ne voulez pas perdre votre argent. L’humoriste américain Will Rogers n’aurait pas dit mieux. Vous vous préoccupez plus de récupérer votre argent que de le voir fructifier mais êtes tout de même un peu cupide (ou peut-être simplement dans le besoin). Alors disons, des actions – la grande mode en ce moment. Mais je ne suis pas sûr. Quand la Fed sonnera la fin du match de l’assouplissement quantitatif, les actions pourraient bien se retrouver sur la corde raide. Après tout, n’ont-elles pas vu leurs cours plus que doubler depuis 2009 en partie grâce à ces mesures? Sans les déficits du Grand gouvernement et les chèques de la Grande banque, mais avec les risques représentés par le Grand régulateur et les fantaisies techniques du Grand investisseur, l’option la plus sûre pourrait bien être non pas les actions, mais l’actif qui constituera bientôt l’unique préoccupation des banques centrales. A la place de l’assouplissement quantitatif, celles-ci optent pour des indications prospectives qui, si elles se révèlent fiables, permettront aux marchés financiers et aux économies réelles de prévoir l’évolution des taux de financement et des retours sur investissement sur plusieurs années. Si les estimations de taux de chômage et d’inflation se révèlent suffisamment précises, les rendements à court terme deviendront l’équipe la plus fiable du championnat. Même s’ils sont bas, ils peuvent servir de base à des stratégies de rolldown de la courbe et de volatilité qui ont un rapport rendement/risque plus élevé que des options alternatives de portage telles que la sensibilité, le crédit ou les devises. Si le Grand investisseur, aveuglé par le soleil, ne réussit pas à attraper la balle ou n’est pas certain de vouloir courir après – qu’elle prenne la forme d’une action, d’une obligation à long terme ou d’une devise, il vaut peut-être mieux envoyer sur le terrain des joueurs un peu lents, un peu ennuyeux à regarder, mais qui fondent leur jeu sur une stabilité des taux directeurs «sur une période prolongée». 

Gardez également en mémoire que la théorie du Grand gouvernement et de la Grande banque de Minsky a toujours entraîné une accélération de l’inflation à un moment donné. Le cas échéant, nous recommandons les TIPS à long terme comme assurance. 

Take Me Out to the Ball Game, la chanson mythique que l’on chante à la fameuse «pause de la septième manche», dit notamment: «achète-moi des cacahuètes et des Cracker Jack, je m’en fous si j’en ai une attaque». Que l’on mette ou pas un «s» à Jack, le retour au modèle de Minsky où le Grand gouvernement et la Grande banque sont des facteurs de stabilisation est aujourd’hui remis en question, tout comme les stratégies d’investissement et les rendements futurs qui en dépendent. 

Allez voler la médaille à Jack si vous voulez, mais sachez que la récompense la plus sûre et peut-être la plus gratifiante se trouve tout là-haut, au rayon des rendements à court terme et des titres indexés sur l’inflation qui sont adaptés à la nouvelle ère des «indications prospectives» des banques centrales. Je suis sûr que même Pete Rose parierait là-dessus.

La pause en bref

1) La «stabilité dans une économie instable» que Hyman Minsky appelait de ses vœux doit être adaptée à un monde où le Grand gouvernement et la Grande banque sont sur le banc des remplaçants. 

2) Les facteurs techniques du marché privé peuvent temporairement dépasser les questions relatives aux fondamentaux. 

3) Les investisseurs obligataires doivent opter pour un positionnement court – et donc plus sûr – sur les bons du Trésor ou sur le crédit en raison du changement opéré par la Fed en faveur des indications prospectives. 

4) Ne pariez pas sur les matchs de baseball. Les bookmakers sont trop gourmands. Et puis c’est assommant!

Bill Gross- Pimco/ Agefi Suisse Mardi, 24.09.2013

http://agefi.com/marches-produits/detail/artikel/les-taux-proches-de-zero-et-les-ratios-dettepib-de-la-majorite-des-pays-ont-tendance-a-menacer-la-finance-et-linvestissement-dans-leconomie-reelle.html?catUID=19&issueUID=420&pageUID=12555&cHash=55fe6a7153ec73e2dffbbb172e97527e

1 réponse »

  1. Bon ? Si j’ai bien compris, il s’agit d’acheter des peanut, pour voir ces mêmes peanut
    valoir à peu près la même chose qq temps plus tard ?

    Chouette ! Mais POUR CEUX QUI SONT ALLERGIQUES AUX CACAHUETTES,
    VOUS AVEZ QQ CHOSE D’AUTRE ? Genre chocolat NOIR 70% MINIMUM ?

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