Europe

Extrait GEAB n°83 (mars 2014)

TROUVER LES RESSOURCES INTRINSÈQUES À L’EUROPE POUR SE LIBÉRER DU PIÈGE

Mais si l’Ukraine, petit pays de moins de 50 millions d’habitants aux frontières des deux monstres que sont l’Europe et la Russie, n’a réellement pas eu d’autre option que de « choisir son camp » en effet, il n’en est pas de même de l’Europe. Et cette crise est bel et bien un test de la capacité des décideurs nationaux à se saisir de l’outil d’indépendance, de puissance et de paix que leurs pères (les générations de politiques qui ont gouverné jusqu’à la fin des années 80 essentiellement) ont mis à leur disposition, cette Europe unie et institutionnalisée, qu’il ne reste plus qu’à mettre sous contrôle politique.
La difficulté, c’est que l’outil dont les politiques doivent aujourd’hui se saisir, ce n’est pas l’Union Européenne. Comme nous l’avons maintes fois expliqué, l’UE est une étape de la construction européenne dont il faut au contraire se délester. La crise ukrainienne en est d’ailleurs l’ultime indice. Le cadre UE, né du Traité de Maastricht de 1992 (1), et qui aurait dû mener vers l’union politique et démocratique du continent a été détourné de ses objectifs. De Maastricht à Lisbonne (2), c’est une Europe tout-économique (élargissement sans fin d’une zone de libre-échange) qui s’est mise en place, celle que rejettent à juste titre les populations aujourd’hui, qui ne sert plus que les intérêts des plus gros lobbies bruxellois (qui ne sont pas les États membres, loin s’en faut) et dont on voit maintenant à quelles fins dramatiques (guerre, perte d’autonomie) elle est prête à exposer le continent.
Voici huit recommandations qui, selon notre équipe, sont à mettre en œuvre de toute urgence pour sortir l’Europe du piège qu’elle s’est tendu.

1. Revenir à la méthode intergouvernementale
Dans cette situation extrêmement grave, aucun espoir n’est à attendre de Bruxelles (pas plus de la Commission européenne que du Parlement européen, malheureusement), bien au contraire. Les affaires doivent donc impérativement revenir aux États membres et à la méthode dite « intergouvernementale ».

2. Désactiver ou mettre sous contrôle politique le Service Européen d’Action Extérieure
Pour ce faire, il est impératif de sanctionner la politique irresponsable du Service d’Action Extérieure de la Commission européenne et de le rappeler à ses devoirs d’exécution des décisions prises par les États membres. Le Service d’Action Extérieure est un service diplomatique européen qui n’a pas la légitimité de parler au nom des Européens, encore moins de prendre des décisions stratégiques dont les conséquences sont la destruction de nos relations de voisinage, la suscitation de guerres civiles dans des pays limitrophes et la création ex-nihilo de risques de guerre ou de rideaux de fer. Tant sur le fond que sur la forme, il n’y a rien de plus facile que de rappeler à ses devoirs le SEAE et de le raccorder à une instance politique décisionnelle démocratiquement plus légitime.

3. Formuler une position commune sur la crise
C’est là que les choses se corsent. En effet, si Mme Ashton et M. O’Sullivan peuvent faire n’importe quoi depuis leur tour d’ivoire, c’est que « les Européens sont incapables de parler d’une voix unique ». Combien de fois n’a-t-on lu cette phrase depuis 25 ans? Et elle en arrange plus d’un. Mais cette fois, l’Europe n’a pas le choix : elle doit parvenir à formuler une position unique, sinon d’autres agendas vont continuer à téléguider les opérations. L’objectif est donc impérieux et la question est « comment y parvenir? ».

4. Définir un agenda commun pertinent
Il s’agit tout d’abord de mettre d’accord tout le monde sur l’objectif de cette position commune. Et compte tenu du fait que la guerre et la mise sous tutelle étrangère sont les dangers que courent l’Europe aujourd’hui, disons que l’objectif de la discussion est de trouver le moyen de maintenir la paix et l’indépendance de l’Europe. Cela fait 60 ans qu’on nous vend l’Europe comme garante de paix; c’est le moment de prouver qu’elle sert bien à cela. Et exit les questions de type « comment garantir l’intégrité de l’Ukraine? » et autres balivernes. Si l’Europe n’est pas capable de maintenir la sienne propre, que pourrait-elle faire d’utile pour l’Ukraine? Et d’ailleurs, vu ce qu’elle a déjà fait, elle est hors-jeu pour le moment. Qu’elle remettre d’abord de l’ordre chez elle.

5. Identifier le groupe d’États membres pertinent
Le thème de la discussion étant maintenant posé, il faut se demander qui doivent être les participants, les acteurs de cette position commune. Mais déjà, quelles sont les possibilités?
. Les 28? Les 28, c’est l’UE, tout d’abord… cette UE qui a toujours été incapable de parler d’une voix unique… et qui dans le cas particulier de l’Ukraine l’est plus que jamais. Trop nombreux, aux intérêts trop divergents, les 28 se composent d’une frange de petits pays anciens satellites de l’Union soviétique dont il est, de manière assez excusable, difficile de compter sur l’objectivité dans les circonstances actuelles (même si l’anti-« russisme » y est en réalité beaucoup moins fort que ce que la Commission européenne essaie de faire croire dans un but évidemment instrumental); et d’un gros pays, faux-nez des États-Unis en Europe (même si le lien UE-RU s’est considérablement distendu ces dernières années : perte d’efficacité, éloignement des logiques continentales, mise sous tutelle du pays par sa place financière). Obtenir une position commune sur la question ukrainienne est un exercice de haute-voltige dans lequel il ne vaut mieux pas se fourvoyer.
. Le moteur franco-allemand? Il est malheureusement trop faible pour faire face à la violence de l’attaque à laquelle fait face l’Europe… Illégitime aussi : comment la position de deux pays pourrait-elle s’imposer à 26 autres dont il faut au moins remporter la passivité? Enfin, si depuis peu ce couple se mettait à bien fonctionner sur les questions de moyen-terme et de moindre importance (résurrection de l’Europe (3), protection des données UE de la NSA (4), Europe de la défense à l’horizon 2025, etc.), il ne semble pas capable de produire grand-chose face à une question urgente et de première gravité (5). Par ailleurs, les positions de l’Allemagne (surtout une Allemagne dirigée par une Allemande de l’Est) sur les questions de relations avec la Russie sont d’une cohérence pour le moins difficile à déchiffrer : entre une très forte interdépendance avec la Russie (énergétique notamment, mais aussi commerciale) et de vieux réflexes anti-soviétiques, la ligne droite ne semble vraiment pas être le chemin le plus court. Il faut néanmoins reconnaître à Merkel qu’elle est la seule à tenter d’émettre parfois une position plus équilibrée sur la question ukrainienne et de nos relations avec les russes (6) (ce qui lui vaut d’ailleurs d’être méchamment attaquée par les médias et plus hypocritement par les institutions européennes). Mais, du côté français, pays pourtant central au principe fondamental d’indépendance du continent, on va de déception en ébahissement. On tente désespérément de deviner de subtiles diplomaties échappant à l’intelligence du citoyen-lambda. On a réussi à en voir dans la position française par rapport à la Syrie; mais cette fois, on se perd en conjectures : camouflet diplomatique jeté à la face de la Russie par ce voyage aux États-Unis de François Hollande (7) le jour de l’inauguration de Sotchi, positions martiales intransigeantes vis-à-vis de Ianoukovitch ou de Poutine depuis (8) … Cela dit, nous l’avons vu, la pression des médias réduit considérablement la marge de manœuvre des politiques; mais lorsqu’on a été élu comme responsable politique, on a aussi le devoir de s’émanciper des trappes de ce genre… surtout en des circonstances aussi graves. Décidément, le couple franco-allemand ne sera pas moteur.
. Un groupe ad hoc de pays volontaires pour ramener le calme sur le continent? Ce serait une piste tentante… si elle ne revenait pas à la première : faire émerger une position commune de la cacophonie des 28. Oublions!

6. Demander une « Convention des chefs d’État de la zone euro pour la paix et l’indépendance de l’Europe »
En procédant par élimination, il ne reste qu’une piste : la zone euro ou Euroland, encore elle. Mais, autant sur les attaques de l’euro, elle était l’interlocuteur évident et incontournable, autant cela paraît moins simple sur la question géopolitique qui nous préoccupe. Et pourtant!
Tout d’abord, elle est et demeure l’entité naissante composée du noyau-dur des pays fondateurs; elle est libre de la frange occidentale et occidentaliste britannique de l’Europe; et concernant la frange orientale et anti-orientaliste (anti-russe) de l’Europe, elle est représentée (ce qui est important) mais d’une manière qui ne risque pas de peser trop lourd et laisse la possibilité aux pays plus centraux d’affûter des arguments destinés à rassurer cette partie des Européens sur l’innocuité de leur position frontalière avec la zone d’influence russe (et les arguments sont nombreux et faciles à trouver); sa composition est représentative de la diversité de l’UE, elle est donc à même de générer un effet d’entraînement et de remporter l’adhésion (ou comme on l’a déjà dit, au moins la passivité) des autres…

Notes:
(1) Source : Commission européenne.
(2) Source : Traité de Lisbonne, Wikipédia.
(3) Source : EUObserve, 17/02/2014.
(4) Source : EUObserver, 17/02/2014.
(5) La tentative de parole commune sur l’Ukraine à l’issue du sommet franco-allemand a accouché d’une souris. Source : European Voice, 19/02/2014.
(6) Source : Der Spiegel, 04/03/2014.
(7) Source : Europe1, 07/02/2014.
(8) Source : NouvelObs, 11/03/2014.

1 réponse »

  1. Certes, tout ceci est bel et bon ?

    J’y ajouterai un point n°9 si vous le voulez bien ?
    Lequel aurait l’avantage de résoudre l’équation d’une manière
    aussi simple qu’effective ?

    ET SI QU’ON SORTAIT TOUS DE C’TE MERDIER LÀ ?
    ET QU’ON REVENAIT OÙ C’QU’ON ÉTAIT AVANT …
    QUE TOUT CES BEAUX PENSEURS NOUS FOUTENT DANS LA MERDE ?

    Hein ?

    Ben tsé …….

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