Douce France

Quand l’intendance dicte la puissance Par Andreas Hofert

Quand l’intendance dicte la puissance Par Andreas Hofert

La politique frugale des gouvernements vise à réduire la dépendance du pouvoir public aux bailleurs de fonds.

 

La semaine passée, l’ancien ministre français de l’éducation, Benoît Hamon, a jugé que la politique de François Hollande «menace la République», la menant vers un «immense désastre démocratique», car cette politique «réduit les capacités d’intervention de la puissance publique». 

Dans la même veine, Jean-Pierre Dupuy, professeur émérite de philosophie à l’Ecole polytechnique et professeur à l’Université de Stanford en Californie, a publié, il y a deux ans, une critique approfondie de la pensée économique, de son impérialisme épistémologique et de sa mainmise sur la politique: «L’avenir de l’économie». Il s’y offusque des «marchés» qui dictent de plus en plus leur loi aux politiques et il a honte «de voir le politique se laisser humilier par l’économie, la puissance par l’intendance.» Qu’elle est donc bien lointaine, l’époque où le général De Gaulle s’exclamait: «… Vous savez, la politique de la France ne se fait pas à la corbeille». Loin aussi le temps où, Edith Cresson, éphémère premier ministre de François Mitterrand, avait osé: «La bourse? J’en ai rien à cirer!» 

Aujourd’hui, partout semble régner le célèbre TINA (there is no alternative), cher à Margareth Thatcher. Avons-nous des dirigeants plus incapables ou moins courageux qu’il y a quelques décennies? Sommes-nous vraiment dans un monde où «en politique la recherche du bien commun est un autre nom du suicide» comme l’écrit le philosophe Nicolas Grimaldi dans «Le crépuscule de la démocratie»? Peut-être. 

Il existe cependant quelques grandes différences objectives entre notre époque et celle d’Edith Cresson ou du général De Gaulle. Deux d’entre-elles sont particulièrement cruciales pour comprendre le mal-être de nos voisins. 

La première, c’est tout simplement l’arrivée de l’euro. L’abandon de la souveraineté monétaire par les pays de la zone euro a été, de fait, un abandon bien plus grand de souveraineté. Les rodomontades de Michel Sapin, ministre français des Finances, comme quoi «la Commission européenne n’a absolument pas le pouvoir de ‘rejeter’, ‘retoquer’ ou ‘censurer’ un budget (…) en matière budgétaire comme ailleurs, la souveraineté appartient au Parlement français» sont peut-être justes. 

Il n’empêche que la France rompt avec sa propre parole donnée et s’expose à des sanctions de Bruxelles. Et, même si le cas échéant Bruxelles se montre compréhensif, la France vient une fois de plus de donner le mauvais exemple. Quel sera son poids le jour où il faudra à nouveau sauver la Grèce ou soutenir un autre pays de la périphérie européenne? 

L’euro ne restreint pas seulement la souveraineté budgétaire, il restreint aussi la souveraineté en matière de structures économiques. Souvent, en France j’entends le lamento «c’est la faute aux 35 heures». Pourtant, je pense qu’un pays peut très bien vivre avec 35 heures tant qu’il jouit d’une souveraineté sur sa monnaie. Le déficit de compétitivité qu’entraine le choix des 35 heures peut être compensé par une dépréciation constante de la monnaie (et une inflation plus élevée que dans les pays concurrents). 

En revanche, avoir les 35 heures et partager une même monnaie avec un pays concurrent qui ne les a pas revient à creuser des déficits de plus en plus importants vis-à-vis de ce pays. Ces déficits devront être compensés sur le long terme par des transferts du pays qui travaille plus au pays qui travaille moins. Mais pourquoi le pays qui travaille plus serait-il d’accord de subventionner le pays qui travaille moins? 

Au-delà de l’euro, la deuxième grande différence entre aujourd’hui et il y a quelques décennies tient dans la taille des dettes publiques. Plus un pays est endetté, plus sa marge de manœuvre en termes de politiques discrétionnaires est réduite. Les dirigeants ne servent plus une clientèle, leurs électeurs, mais bien deux clientèles, les électeurs et les créditeurs du pays. 

Plus la dette est grande, plus le service de celle-ci le sera, et plus le pouvoir des bailleurs de fonds sera important. Ce n’est pas chose nouvelle. Déjà, au début du XVe siècle, Jacob Fugger dit le Riche, qui finança l’élection de Charles Quint comme empereur, affirmait: «Le roi gouverne, mais c’est la banque qui règne.» 

Dans un pays comme la France dont le taux d’endettement public est proche des 100% et qui se trouve sous l’épée de Damoclès d’une remontée subite des taux d’intérêts, ce n’est donc pas la politique actuelle qui «réduit les capacités d’intervention de la puissance publique», n’en déplaise à M. Hamon, mais bien les politiques passées qui ont conduit à un tel endettement. 

Evidemment, il y a toujours la possibilité, pour la puissance publique, de se dédire de ses engagements envers ses créditeurs, soit au moyen d’inflation (malheureusement difficile lorsqu’on a abandonné sa souveraineté monétaire), soit en faisant défaut. 

Ainsi la famille Fugger a été quasiment mise sur la paille au XVIIe siècle par les banqueroutes à répétition de Philippe IV, lointain successeur de Charles Quint comme roi d’Espagne. À mon avis, un tel scenario extrême créerait un désastre démocratique encore bien plus immense qu’une politique frugale, qui ne vise, en fin de compte, qu’à réduire le pouvoir des bailleurs de fonds sur la puissance publique. 

 ANDREAS HÖFERT Chef économiste  UBS Wealth Management/ AGEFI SUISSE 28/10/2014

http://agefi.com/forum-page-2/detail/artikel/la-politique-frugale-des-gouvernements-vise-a-reduire-la-dependance-du-pouvoir-public-aux-bailleurs-de-fonds-384709.html?issueUID=706&pageUID=21095&cHash=5ab15dd924ed63e6a4eff9309b0b2f94

2 réponses »

  1. « Plus un pays est endetté, plus sa marge de manœuvre en termes de politiques discrétionnaires est réduite. »

    pas forcément , et aujourd’hui ce n’est pas le cas, à CT c’est l’inverse
    getty » when you owe the bank one million it’s the bank’s problem »

    la dette étant aujourd’hui la monnaie, c’est celui qui en a emis quasi le plus qui fait la loi

    pour l’instant…

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